Une opposition en quête d’identité
L’opposition au duo Sonko-Diomaye peine à se reconstituer autour de l’ancienne coalition présidentielle de l’APR. Cette reconfiguration de l’opposition pourrait s’accélérer au-delà des élections législatives.
Quelle opposition face au nouveau régime ? Cette question mérite d’être posée, au regard de la situation de l’opposition sénégalaise dont une grande partie est sortie groggy de l’élection présidentielle. Plus d’un mois après l’installation de Bassirou Diomaye Faye, on a une opposition qui se cherche une figure de proue. Le scrutin aux allures de référendum a envoyé à la retraite tout une grande partie de l’élite politique, sans toutefois permettre l’émergence d’une nouvelle classe politique autour de jeunes leaders comme Anta Babacar Ngom, Pape Djibril Fall, Déthié Fall, Aliou Mamadou Dia avec de faibles scores qui n’ont pas pu peser sur le scrutin.
De ce fait, ils ne peuvent pas bénéficier d’une quelconque dynamique pour les propulser comme nouveaux champions de l’opposition. Au lendemain de la Présidentielle, l’ancienne coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar, dont le candidat apparaît comme le chef naturel de l’opposition, a recueilli 35,79 % des voix. D’après des informations, Amadou Ba est sur les chantiers de son propre parti politique et devrait provoquer une scission au sein de l’APR qui est l’élément central de BBY. Un éclatement du parti en divers pôles, notamment autour des ‘’apéristes’’ historiques et des cadres qui ont rejoint l’APR durant le magistère de Macky Sall.
Déjà, l’Union pour le renouveau démocratique (URD) du secrétaire général Diégane Sène a annoncé avant-hier son départ de l’ancienne coalition présidentielle. Les partisans de l’ex-ministre de l’Intérieur socialiste Djibo Ka constatent ‘’l’absence de lisibilité dans la direction et les intentions de Benno’’. D’autres entités pourraient ainsi, dans les prochains jours ou semaines, leur emboiter le pas.
Ainsi, le duo Diomaye-Sonko n’est pas en face d’une opposition reconstituée autour de l’ancien parti au pouvoir.
Si, pour l’heure, le phénomène de transhumance ne semble pas s’ébranler, la perspective des élections législatives anticipées pourrait multiplier les défections dans les rangs de l’ancienne majorité.
Du côté des libéraux, le soutien de Karim Wade à la coalition DiomayePrésident n’est pas présenté comme une adhésion du PDS à la coalition victorieuse. Les membres du PDS semblent vouloir toujours garder une certaine indépendance et espèrent récolter les fruits de leur ralliement par la préservation d’une partie de leur base électorale menacée par un Pastef hégémonique. La formation du ‘’Pape du Sopi’’ compte maintenir son groupe parlementaire à l’Assemblée nationale afin de peser dans les débats. Le PDS pourrait constituer un front de l’opposition du style Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) sous l’ère de Macky Sall, afin de présenter un front commun en vue des Législatives anticipées.
Cette reconfiguration du champ politique ne manquerait pas aussi de dynamiter le pôle de gauche au sein de Benno. Selon le journaliste Ibrahima Bakhoum, l’opposition ne pourra s’organiser, à la condition que le nouveau gouvernement ait posé des actes politiques forts. ‘’Il est très difficile, pour l’opposition, de se positionner contre un gouvernement qui vient juste d’être monté. Les opposants, s’ils venaient à critiquer le nouveau régime, pourraient être taxés d’anarchistes. On tenait les mêmes discours du temps de Wade et de Macky Sall. Il faut laisser le temps au nouveau gouvernement d’agir et au gré des agissements et autres actes, l'opposition va s'organiser en conséquence’’, indique l'ancien directeur de publication de ‘’Sud Quotidien’’.
Les difficiles retrouvailles de la gauche au Sénégal
Les partis alliés au sein de BBY comme l’Alliance des forces de progrès (AFP) et le Parti socialiste (PS) en passant par les tendances d’AJ/PADS, de la Ligue démocratique (LD) ou le Parti de l’indépendance pour le travail (PIT) devront aussi faire face à une alternative générationnelle avec l’arrivée du pouvoir de Bassirou Diomaye Faye. Les forces de gauche ont joué un rôle primordial dans les dynamiques de changement et de promotion des idées de bonne gouvernance, de cohésion territoriale et d’approfondissement de la démocratie, lors des deux premières alternances depuis 2000.
Selon plusieurs spécialistes, la constitution d’un pôle de gauche regroupant les forces progressistes pourra faire renaître une nouvelle dynamique autour des problématiques liées au social. Pour Moussa Sarr, porte-parole de la Ligue démocratique, cette démarche d’une union de gauche est en marche depuis 2015. ‘’En tout cas, nous n'avons pas attendu cette échéance (NDLR : Élection présidentielle) pour appeler à l’unité des forces de gauche. À titre de rappel, la Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS), qui regroupe aujourd'hui neuf partis de gauche, existe depuis février 2015. Il s'y ajoute la Confédération pour la gauche plurielle, avec plus de 30 partis et personnalités de gauche, mise en place les 5 et 6 août 2023’’, affirme Moussa Sarr, responsable de la LD.
Pour un responsable socialiste à Rufisque qui a voulu garder l’anonymat, il serait tôt de parler d’une opposition en léthargie, dans la mesure où la reconfiguration politique ne pourra se faire qu’après les prochaines Législatives ou lors du discours de politique générale d’Ousmane Sonko. ‘’Le gouvernement dispose d’une période de grâce qui peut aller jusqu’à un an. Je pense qu’après les élections législatives, des pôles solides d’opposition vont se mettre en place autour d’un pôle de gauche avec les retrouvailles entre Taxawu et le PS ainsi qu’un pôle de droite avec des entités issues de l’APR et le PDS’’, affirme le responsable socialiste.
Mamadou Makhfouse NGOM