L’interminable extase
Les supporteurs du président gambien ont mis hier la barre haut, côté mobilisation. Après un séjour prolongé à Dakar, Adama Barrow est rentré dans l’après-midi. Des scènes de joie indescriptibles ont ponctué le retour du tombeur de Yahya Jammeh.
Hier, la démonstration jubilatoire n’avait pas une direction précise dans ses déambulations. Elle n’avait pas non plus de borne dans ses expressions. Mais elle avait une cause bien identifiée qui a fait se tenir debout tout le peuple gambien sur les tuiles des baraques, les arbres, sur les toits et dans les malles de gros véhicules : le président Adama Barrow. L’arrivée de celui qui a désincarné le mythe Yahya Jammeh a tenu toutes ses promesses de mobilisation populaire. Après avoir quitté le pays le 13 janvier 2017 en tant que président élu pour un sommet de la Cedeao au Mali, il n’est rentré qu’hier à Banjul en président ému. ‘‘Je suis un homme très comblé. La partie la plus désagréable est derrière nous’’, a-t-il déclaré. Les premiers mots qu’on a pu lui arracher dans une interview qui a tourné court à cause d’un manque d’organisation. Mais il n’empêche que la fête a été belle.
Il est 17 H 05 quand l’avion, un Casa 235 6W TTC de l’armée sénégalaise, atterrit une heure de temps après l’heure annoncée. Impossible de voir le président Barrow protégé par un mur noir de sécurité formé par les agents du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Il a fallu attendre l’hymne national et les honneurs militaires pour voir le nouveau leader drapé dans un grand boubou blanc et une chéchia assortie avant de prendre la tête d’un cortège que la Gambie n’est pas près de revoir de sitôt. Pour asseoir la sécurité, un hélicoptère survolait en permanence la zone tandis qu’un avion supersonique nigérian volait en rase-motte les lieux pour rappeler la puissance aérienne qui accompagne le président.
Un bain de foule grandeur nature a accompagné Barrow à sa sortie du terminal jusque dans l’intérieur de Serrekunda. Debout dans la petite ouverture du toit de sa voiture, il salue la foule dans une procession qui stagnait plus quelle n’avançait, permettant aux gens de venir se reprendre en photo avec les militaires sénégalais de la Mission de la Cedeao en Gambie (Micega) avec des bénédictions. ‘‘Vous n’avez jamais vu ça de votre vie ?’’ interroge une supportrice de la Coalition 2016 à bord de son véhicule et au bord des larmes. ‘‘Ne vous inquiétez pas. Nous non plus’’, s’écrie-t-elle sans vraiment s’adresser à quelqu’un.
Le vieux Sisawo Touray a transgressé son code vestimentaire pour ce jour. D’habitude peu enclin aux folies comme il dit, il est pourtant attifé aux couleurs gambiennes jusque dans les souliers qu’il porte. ‘‘Vous voyez ! ni le président Dawda Jawara, ni Yahya Jammeh n’ont jamais mobilisé autant de personnes pour quelque raison que ce soit. On va continuer à raconter ce jour dans le futur’’, lance-t-il devant la grande porte métallique noire hyper surveillée de l’aéroport. A quelques heures d’un atterrissage très attendu et très sécurisé, les entrées sont minutieusement contrôlées.
Deux soldats nigérians de la Micega sont dos à dos, visages derrière une cagoule noire surmontée d'un casque en treillis. Leurs mitraillettes en bandoulière débordent comme des excroissances sur leur poitrine. Protestant fermement contre les prises de photo, ils sont pourtant obligés de se rendre à l’évidence devant les objectifs d’appareils qui devenaient de plus en plus nombreux. Equipes de télévision et photographes lassées par les atermoiements de la communication de la Coalition 2016 ont pris les devants en précédant le cortège de presse officiel pour ne pas rater les premières images historiques de la Gambie sous Barrow. Les regroupements sporadiques où il était question de séances de tam-tam et de sifflets ont commencé à s’agréger pour former une grosse troupe. De vieux troubadours aux calebasses ont été complètement noyés par le rythme enfiévré du fameux ‘‘na gooré’’ sénégalais battu par un tambour sous les déhanchements de jeunes Gambiens et Gambiennes.
Folie à Westfield
Le parcours de victoire a tellement été long que l’adresse à la presse d’Adama Barrow a été reportée sine die. Alors qu’on croyait en avoir fini dans la zone aéroportuaire, l’allégresse était beaucoup plus intense à Westfield, l’un des quartiers, avec la Senegambia, où les Gambiens sont concentrés en cas de manifestation populaire. Sur Kairaba Avenue, une déferlante de personnes a obligé le cortège à se mobiliser quelques instants. Une exultation jubilatoire extraordinaire scandée aux cris de ‘‘Barrow by force thieuguine’’, ‘‘Barrow le mouté’’, (Barrow m’a battu) faisant référence au président déchu Jammeh, accompagne le bain de foule que se paie le président toujours souriant, les deux mains en signe de victoire. Les langues se sont déliées, laissant libre cours à des sobriquets qui auraient pu coûter cher quelques jours plus tôt. ‘‘Tony n’avait qu’à partir. C’est l’heure de Barrow et de la Gambie nouvelle’’, exulte un jeune homme en rasta, faisant le parallèle entre le comédien sénégalais (Tony) et le président Jammeh qui abhorrait ce surnom.
Une joie d’autant plus contagieuse que plus tôt dans la journée, le Parquet suisse a annoncé la détention de l’ancien ministre de l’Intérieur sous Jammeh, Ousman Sonko, après des allégations sur sa probable connaissance de graves abus aux droits humains. Ce dernier a fui la Gambie après avoir été limogé par le dictateur en septembre dernier. ‘‘J’espère qu’il ne sera pas le seul’’, lance Musa Kandeh. Pour lui et d’autres, être gambien la journée d’hier consistait pour l’essentiel à mettre un tee-shirt ‘‘#Gambia has deciced’’ ou brandir un drapeau du pays ou tout juste à se lâcher à sa convenance sur ce lieu mythique de Serrekunda, la deuxième ville du pays. Klaxonnant furieusement à bord de mobylette, balayant de son possible le champ de vision avec son téléphone pour capturer ce présent indélébile de l’histoire gambienne, un groupe de jeunes hommes oblige les passants à quelques pas de danse avant de continuer leur route. L’euphorie collective en Gambie n’a pas eu son pareil ‘‘depuis l’indépendance’’ de ce pays, assurent-ils. ‘‘Alors autant en profiter.’’
Les deux drapeaux des deux pays (Ndlr : Gambie et Sénégal) sont agités avec beaucoup de fierté comme pour annoncer une nouvelle page des relations sénégambiennes qui s’apprêtent à s’ouvrir. Dans la nuit, les hauts-parleurs distillaient des rythmes nigérians qui noyaient les klaxons, sifflets, et cris. Le commencement d’une idylle !
OUSMANE LAYE DIOP (ENVOYE SPECIAL EN GAMBIE)