Les sombres perspectives économiques d’une deuxième vague de la Covid-19 au Sénégal

Si, au plan sanitaire, la recrudescence des nouvelles contaminations au coronavirus justifie la restauration de l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu partiel à Dakar et à Thiès, les conséquences économiques de cette mesure augurent de profonds troubles économiques, dans les jours et mois à venir.
L’après-Covid. Cet épisode de marasme économique mondial annoncé par les grands économistes, aurait-il un concurrent avant de s’installer ? Au Sénégal, il semble bien que oui ! La deuxième vague de la pandémie de coronavirus s’est installée et a déjà amené le président de la République à décréter un deuxième état d’urgence sanitaire assorti d’un couvre-feu, de 21 h à 5 h. Premières mesures qui en appellent certainement d’autres. Et leurs conséquences sur l’économie, si la situation ne s’améliore pas, augurent de lendemains très difficiles pour le pays.
De l’avis de l’expert financier Guy Silva Thiam, ‘’si la deuxième vague a les mêmes conséquences que la première, on ne sera pas en mesure de faire face et cela va poser de gros problèmes. La première vague a fait passer les prévisions de croissance de 7 % à un taux négatif. Si l’on encaisse une deuxième pour 2021, tout ce qui est PAP2A ajusté ne pourra être réalisé dans les délais’’.
En appelant les Sénégalais à la vigilance et au respect des gestes barrières, en marge du Forum sur le numérique tenu le 26 novembre dernier, le chef de l’Etat insistait sur le fait que tant que la maladie ne sera pas vaincue à travers le monde, ‘’nous serons dépendants’’. Macky Sall d’avertir qu’une ‘’deuxième vague sera insupportable pour notre pays’’. La Covid-19 avait alors touché environ 16 000 personnes et coûté la vie à 332 Sénégalais.
Un mois et demi plus tard, la barre des 20 000 cas a été franchie avec 433 morts dénombrés. Une explosion des nouvelles contaminations grandement liée au non-respect des gestes barrières.
S’il a pratiquement fallu 7 à 8 mois pour observer une baisse de la courbe des contaminations, un scénario similaire augure d’une perspective très sombre de l’économie en 2021. Dans le format actuel, la tranche horaire du couvre-feu impact surtout l’activité nocturne et le secteur des loisirs. Alors que l’on sort d’une période des fêtes de fin d’année lors de laquelle ces activités ont été interdites, achevant un secteur durement touché par la crise. Cette nouvelle vague va être le coup de grâce pour beaucoup d’activités qui, selon le spécialiste en banque finance, risquent de déclarer faillite.
Guy Silva Thiam implique aussi une réduction des activités diurnes dans les effets du couvre-feu, du fait qu’il faudra rentrer plus tôt que d’habitude. Avec le ralentissement de l’activité informelle que cela va induire, l’économie sera fortement touchée par les chocs sur le négoce et la distribution.
Hier, le spectacle des travailleurs rentrant chez eux à pied a déjà, faute de transport, repris.
Toutefois, la grande phobie du président de la République confortée par le spécialiste concerne la capacité du gouvernement à répondre face à cette deuxième vague. En mars dernier, au début de la pandémie, afin d'en atténuer l’impact économique, le président de la République a créé le Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 doté de 1 000 milliards de francs CFA. Avec cet effort, l’économiste reconnaît ‘’que l’Etat a fortement soutenu l’économie à hauteur de 662 milliards de décaissements nets’’. Car, dans le montant global annoncé, la ligne de crédit de 200 milliards qui avait été mise en place n’a pas été suffisamment utilisée. De même que les remboursements de crédit d’impôts. Cet argent représente environ 400 milliards non utilisés dans le cadre de la Force-Covid-19.
Seulement, explique Guy Silva Thiam, ‘’la Force-Covid-19 était un plan d’appui. L’Etat ne peut pas remettre autant d’argent dans l’économie. Donc, il n’y aura pas de deuxième Force-Covid-19. Il ne faut surtout pas y compter’’. Tous les crédits alloués à l’appui des secteurs impactés par la crise ont été épuisés. Ce qui veut dire, poursuit le spécialiste, qu’’’il faudra que les entreprises et les ménages encaissent et supportent les pertes’’. Sans oublier que le défaut de paiement fiscal pour les entreprises n’était pas supprimé, mais reporté pour trois mois. Maintenant, elles doivent commencer à payer.
Ce fonds a été alimenté par l’Etat, le secteur privé, les partenaires au développement et toutes les bonnes volontés. La deuxième vague ne pourra plus compter sur ces trois sources de financement. Surtout les partenaires financiers. ‘’Dès l’instant que l’on est plus dans la logique de refinancer les entreprises impactées, il n’y a pas besoin de demander l’appui des institutions financières internationales. On a déjà contracté, il y a moins d’un an ; il ne peut y avoir de nouvelles demandes. Ce n’est pas une option utilisable’’, avertit le spécialiste en banque finance.
La situation peut virer à la catastrophe, car l’Etat espérait récupérer l’argent investi dans la Force-Covid-19 par la relance de l’économie. Celle-ci, sur la période 2021-2023, doit être bâtie autour d’un recentrage des priorités, afin de mieux redynamiser l’économie. Le gouvernement souhaitant arrimer les nouveaux projets du Plan d’action prioritaire 2 ajusté et accéléré (PAP2A) aux objectifs stratégiques de la phase II du Plan Sénégal émergent, avec un accent particulier orienté vers le développement endogène, porté par la quête des souverainetés alimentaire, sanitaire et pharmaceutique, avec un secteur privé national plus dynamique.
Ces belles promesses ne se traduisent pas par un dispositif légal et réglementaire adéquat pour accompagner ce plan, déplore Guy Silva Thiam. ‘’A l’heure où l’on parle, retient le promoteur de l’Institut africain de trading boursier (IATB), aucun dispositif du ministère du Commerce, de celui de l’Emploi, des Finances ou encore de la présidence de la République n’est pris pour inciter à la relance économique. Tout ce qui est proposé représente des solutions d’accompagnement à très court terme’’. Encore qu’une deuxième vague remettrait en cause ce plan.
Face aux lendemains incertains, l’économiste retient que la seule chose qui peut sauver les secteurs les plus impactés par cette pandémie, avec la deuxième vague, est un vaccin efficace dans les meilleurs délais.
D’ici là, l’Etat ne pourra que prendre des mesures d’interdiction et de limitation des activités.
Lamine Diouf