Publié le 27 Jan 2013 - 20:00
RETRAITÉS EN ACTIVITÉ

Ces papys toujours bosseurs

 

 

Retraités légaux, des hommes et femmes ''boudent'' le repos pour se remettre à l'ouvrage. Certains le font par passion ou par sollicitations de l’État ou du privé. D’autres par contre y sont obligés pour compléter leurs maigres pensions. EnQuête vous plonge dans le quotidien de ces seniors bosseurs.

 

Cheikh Hamidou Kane se refuse toute retraite. Chez lui, la vieillesse n’est pas synonyme de sénilité de submersion ou d’ennui. Ce matin frais de janvier, il reçoit dans son domicile du Point E un membre du Partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue (Parrer), Ong dont il est membre fondateur et président du Conseil d’administration. Agenda et bloc-note à la main, il décline avec une voix psalmodiant le projet du Parrer. ''Au-delà du retrait des 9000 enfants errant dans les rues de Dakar, nous avons réfléchi sur un programme d’éducation coranique, visant à assainir l’environnement en vue de moderniser les Daaras. En perspective, nous travaillons avec le gouvernement sur la possibilité d’introduire l’enseignement du Coran au primaire, pour les parents qui le veulent'', dit-il. Mais cela est loin d’être sa seule activité.

 

Vice-président des Assises nationale, il en fait aujourd’hui un suivi des conclusions. ''Il s’agit de vérifier si les conclusions des Assises sont mises en œuvre par le nouveau régime'', confie l'homme âgé. Avant d’envoyer une note au Président : ''Macky Sall est dans la bonne voie. Il a le sens de l’écoute et s’est entouré de bons conseillers. Il a fait de la transparence dans les affaires publiques son credo. Il a entamé la réforme des institutions et a décidé de faire un mandat de 5 ans, renouvelable une seule fois. Une des choses qu’on peut lui reprocher c’est de rester président de son parti, alors que les Assises stipulent que le Chef de l’État ne doit plus être Secrétaire général ou Président de son parti. Sur ce point, il n’a pas encore fait une déclaration.''

 

En sus de ce rôle de sentinelle des Assises et du devenir d'enfants malheureux, l’auteur de ''L’Aventure ambiguë'' se consacre aussi à la lecture et à l’écriture. ''Au mois d’octobre, j’ai été sollicité par le magazine (français, NDLR) Le Point pour leur numéro spécial sur la culture orale en Afrique et j’y ai produit un article. Au mois de mars, je dois participer à un jury pour le recrutement d’un Directeur d’un des départements de la Francophonie à Paris'', informe-t-il. Sans compter les diverses sollicitations des écrivains pour la relecture d’ouvrages et la participation aux colloques et conférences internationaux. A 85 ans, l’ancien Gouverneur de Thiès, et non moins ancien ministre du Plan sous Senghor, avant d’intégrer l’Unicef et le Centre de recherche pour le développement international (CRDI), court toujours. Même s’il tempère : ''Je sors de moins en moins maintenant, à part les voyages et les conférences, la plus part des activités se font à domicile.''

 

Cet agenda surbooké, il a le partage avec son parent Abdoulaye Elimane Kane, comme si c’était une affaire de famille. Même s’il a décroché au Département de philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) où il a fait une carrière de près de 30 ans, il ne reste pas moins lié aux activités intellectuelles. ''Mon activité principale est la lecture et l’écriture. Le matin, je lis les ouvrages techniques (philosophiques et scientifiques), parce que mon esprit est frais. Le soir, je me consacre aux romans, revues et autres essais'', énumère-t-il. Faisant siens les propos d’un philosophe Allemand stipulant que ''la lecture des journaux est la prière quotidienne du citoyen moderne'', il dit accorder une place de choix à la revue de la presse quotidienne : ''Je parcours toutes les publications, j’écoute la radio et je suis la télévision le soir.'' Aujourd’hui, il prépare un livre de souvenirs et d’anecdotes autour du thème ''Plaisirs et ennuis, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte''. Le philosophe poursuit aussi la réflexion à travers la participation à des publications comme ''Critique'' et ''La revue internationale éducation de Sèvre''.

 

Membre du bureau politique du Parti socialiste (PS), il participe aux réunions hebdomadaires et différentes activités des comités de coordinations. A côté des activités politiques, l’ancien ministre de la Culture, sous Abdou Diouf, participe aux débats et colloques internationaux. ''C’est ce qui fait que l’activité de documentation est permanente'', souffle l'homme de presque 72 ans. Nostalgique, il aime retourner dans son royaume d’enfance en parcourant les ruelles de la Médina. ''Il m’est arrivé de retrouver la maison de mon maître coranique. J’y ai trouvé sa famille, puisqu’il n’est plus et on a échangé et cela m’a fait beaucoup de plaisir'', se rappelle-t-il. Passionné de basket-ball du temps de sa jeunesse, la marche est son sport favori aujourd’hui. ''Je rencontre souvent des gens que je connais et on se met à discuter. A la fin, je me rends compte que je n’ai pas fait du sport. J’ai changé plusieurs fois d’itinéraire, mais je n'y ai rien pu'', dit-il avec le sourire.

 

''Source de motivation''

 

Mbaye Sidy Mbaye - qui ne souhaite pas donner son âge - est de ceux qui se refusent le repos. Après sa retraite comme agent du service public audiovisuel, où il a terminé comme directeur de la Communication et de la Cinématographie, Sydi Lamine Niasse lui expose son désir de mettre en place un groupe de presse. La transition est vite faite. ''En ce moment, il n’y avait que Walfadjri quotidien, et dès qu’il a appris que j’étais à la retraite, il est venu me voir pour créer le groupe. On a mis en place la radio, il en était le président et moi le Directeur exécutif. Donc le groupe a commencé avec le journal et la radio'', remonte le journaliste. Quid de la fin de leur compagnonnage ? ''Je préfère ne pas entrer dans ces détails, car ce sont des choses oubliées'', évacue-t-il.

 

A partir de Walfadjri, il assume avec Kader Diop, une autre icône de la presse sénégalaise, le Conseil pour le respect de l’éthique et la déontologie (Cred). Pendant près de 10 ans, il est secrétaire permanent et porte-parole de l’organe de veille et, en bon sage, il fait souvent des rappels à l’ordre à la nouvelle génération. ''Quand je me suis senti fatigué de cela, j’ai arrêté moi-même'', soutient-il. Pour partager son expérience, il perpétue ses enseignements au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), entamés en 1978, mais aussi à l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic), à l’Institut africain de management (IAM), à l’Institut supérieur de management (ISM) et à Sup de Co, entre autres. M. Mbaye dispense des cours de radio, de communication, d’éthique et déontologie, de géopolitique. ''Pour moi il n’y a jamais eu de rupture en vérité. J’ai immédiatement continué mon travail qui s’articule en deux activités principales : le journalisme et l’enseignement. Il y a une vie active qui commence après la retraite'', expose-t-il.

 

Contrairement à Mabye Sidy Mbaye, Alassane Paye, qui a terminé sa carrière de magistrat comme président de Chambre à la Cour d’appel, voulait se reposer après la retraite en 2003. Mais son départ pour le repos a coïncidé avec la création des maisons de justice pilotes. Le ministère de la Justice, sa tutelle, lui demande d’assurer le rôle de médiateur au niveau de la maison de justice des HLM. Réticent au début, il finit par accepté et même y prendre goût. ''Je voulais vraiment me reposer, car le travail d’un magistrat n’est pas de tout repos. Quand le ministère m’a sollicité, j’ai réfléchi pendant près de 3 mois avant de répondre favorablement à l'appel'', souffle-t-il. Aujourd'hui, il préside les audiences de médiations-conciliations les mardi et jeudi, et liquide les affaires courantes les autres jours de la semaine : ''On éprouve une satisfaction morale quand on arrive à concilier les partis, ce qui est une source de motivation pour un sage.''

 

Pas d'autres choix

 

A côté de ce groupe de retraités actifs par passion ou sur sollicitations de l’État ou du privé, il y a un autre groupe condamné à travailler pour prendre en charge le quotidien de la famille. Cheikh est de cette catégorie, esclave de la famille ou de la progéniture. Surpris par ses 55 ans qui mettent un terme à sa vie active comme agent de l’État, sa maigre pension peine à assurer la dépense quotidienne et la scolarité de sa jeune famille. ''Je me suis dit que je suis encore jeune et responsable et ce n’est pas en restant à la maison que je vais entretenir ma famille avec une pension. Il me fallait des ressources additionnelles'', assure-t-il. Il fait quelques piges d’abord dans une agence de communication où il est chargé d’organiser des séminaires et autres colloques internationaux. En 2004, une maison de justice ouvre aux pieds de son quartier. Il est plébiscité par le comité de coordination pour occuper le poste de coordonnateur. ''Aujourd’hui, les enfants ont grandi et les charges se sont étoffées, mais ce n’était pas du tout évident au début'', confesse-t-il.

 

Comme Cheikh, Amadou a été contraint de chercher des ressources complémentaires pour assurer une vie descente à sa progéniture. Avec la complicité de son ancien employeur, qui a compris la situation de précarité qu’il devrait affronter avec une pension insignifiante, un contrat lui a été proposé pour garder son salaire, sans les indemnités. Une aubaine pour Amadou. ''Je suis resté quelques temps et les ressources humaines ont fait appel à moi pour le bilan financier à cause de mes compétences en comptabilité. Depuis lors on m’a gardé sous forme de contrat renouvelable. Cela me permet de prendre en charge ma famille en attendant une relève pour me reposer''.

 

Lamine est maître d’hôtel de son État. Malgré quelques brûlures qu’il ressent au pied, sans doute liées à la station debout, qui caractérise son travail, il continue toujours à faire des piges dans son ancienne entreprise pour combler sa fiche de paie. ''L’aîné a commencé a travaillé, mais je ne peux pas lui laisser toutes les charges, car il n’est pas responsable de la situation et il est appelé aussi à fonder sa propre famille. C’est pourquoi, avec l’accord de mon patron, j’ai continué comme contractuel à temps partiel dans l’entreprise'', à l'en croire. Adama, lui, fut un conducteur d'engin lourd. Après la retraite et au vu de sa maigre pension, il a introduit une demande pour revenir et continuer son travail. Malgré la réticence du médecin d'entreprise qui le juge inapte à cet âge, il fait un lobbying pour réintégrer la boîte. Quelques temps après, il se voit cloué au lit par une hypertension artérielle doublée de problème articulatoire. ''C'est ce qui l'a emporté finalement. Pourtant, il voulait juste subvenir aux besoins de sa famille'', relate un proche.

 

NB : Les noms de la deuxième catégorie des retraités actifs ont été changés.

 

PIERRE BIRAME DIOH

 

 

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