“S’assurer que l’élection sera inclusive et transparente, y compris avec Sonko”
A trois mois de la prochaine élection présidentielle sénégalais, des poids lourds de l’opposition viennent de mettre sur pied une nouvelle alliance. Parmi eux, des membres du parti d’Ousmane Sonko et l’ex-première ministre Aminata Touré.
Une nouvelle coalition de l’opposition a vu le jour samedi 11 novembre à moins de quatre mois de l’élection présidentielle du 25 février 2024 au Sénégal. Le Front pour l’inclusivité et la transparence des élections (FITE) – qui signifie aussi « courage » en wolof – dénonce le « recul démocratique » qu’a connu selon lui le pays sous les deux mandats du président Macky Sall, arrivé à la tête du pays en 2012.
Au sein de ce mouvement, se sont alliés certains des plus importants adversaires de la coalition au pouvoir : plusieurs membres de l’ex-Pastef, le parti de l’opposant Ousmane Sonko qui a été dissous en juillet, ou encore Aminata « Mimi » Touré, l’ancienne première ministre de Macky Sall passée à l’opposition en juillet 2022. L’ex-alliée du président répond au Monde Afrique.
Des coalitions existent déjà dans l’opposition, comme Yewwi Askan Wi ou le F24. Pourquoi lancer le FITE ?
Aminata Touré. La situation a évolué. Le F24, coalition qui est composée aussi de la société civile, s’était constitué autour du combat contre le troisième mandat du président Macky Sall et il a obtenu une victoire importante [le chef de l’Etat sortant a annoncé en juillet qu’il ne se représentait pas]. Quant à Yewwi Askan Wi (YAW), dont je n’étais pas membre, elle a connu une évolution [avec l’exclusion du parti Taxawu Sénégal de Khalifa Sall].
Nous considérons désormais que la question électorale est primordiale. Il s’agit de s’assurer que l’élection sera inclusive et transparente, avec la participation de tous les candidats, y compris d’Ousmane Sonko [actuellement en détention et radié des listes électorales].
Nous nous battons aussi contre toute tentative d’élimination de candidats à travers le système de parrainage [chaque candidat doit recueillir les signatures de 0,6 %, soit quelque 44 000 électeurs] du fichier électoral, de 13 députés ou de 120 maires et présidents de conseil départemental. Tous les candidats de l’opposition ont un intérêt commun à être unis face à l’administration en charge des élections, notamment pour le contrôle des parrainages qui doivent se faire avec les équipes d’experts que nous avons constituées. Pour l’instant, il s’agit de mutualiser nos efforts. Nous verrons ensuite jusqu’où nous pourrons continuer dans cette dynamique.
Vous venez de partis différents, qu’est-ce qui vous unit ?
Nous avons décidé de mener un combat en justice contre la décision de Macky Sall de changer la composition de la Commission électorale nationale autonome (CENA). Le pouvoir en place a remplacé les membres de cette instance à moins de quatre mois de l’élection, c’est du jamais-vu et cela est inquiétant quant aux conditions dans lesquelles l’élection va se dérouler.
D’ailleurs, cela contrevient aux règles édictées par la Cedeao qui stipule qu’aucun changement dans le système d’organisation des élections ne doit être fait six mois avant le scrutin. D’autant qu’au moins un des nouveaux membres fait partie du parti au pouvoir et que cela viole les dispositions de la CENA qui est censée être autonome.
Vous-même étiez membre de la coalition présidentielle, Benno Bokk Yaakaar (BBY), jusqu’en juillet 2022. Votre alliance avec le Pastef, qui était le principal parti d’opposition jusqu’à sa dissolution, n’est-elle pas contre-nature ?
Pas du tout. Nous avons fondé le F24 ensemble sur l’idée d’un respect de la Constitution et avons combattu ensemble pour la défense de la démocratie et la bonne gouvernance. J’ai été députée à l’Assemblée nationale, d’abord sous les couleurs de BBY puis en indépendante. Nous avions eu des initiatives conjointes régulières avec les députés du Pastef, dont une motion de censure contre le gouvernement qui n’a pas été adoptée. Depuis un an, nous travaillons ensemble sur les thématiques de la réforme constitutionnelle et de lutte contre la corruption.
Le FITE regroupe plusieurs candidats déclarés à l’élection présidentielle, dont vous. Une candidature unique est-elle envisagée ?
Nous n’en sommes pas encore à un programme minimal commun mais les possibilités sont ouvertes. Après le premier tour de l’élection présidentielle, j’espère que les membres du FITE s’uniront derrière le candidat de la coalition qui sera arrivé au deuxième tour.
Ne faudrait-il pas une alliance dès le premier tour, le 25 février ?
En 2012, il y avait treize candidats en face du président sortant Abdoulaye Wade. Cela n’a pas empêché Macky Sall, alors candidat de l’opposition, de remporter le scrutin au second tour. Pour le moment, le plus important est de s’assurer d’un contrôle efficace des parrainages, que ceux qui veulent être candidat puissent l’être, et que le vote soit transparent. Une diversité au premier tour permettrait à chaque candidat de l’opposition de mobiliser ses électeurs contre le candidat de la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar (BBY), Amadou Ba, qui représente la continuité du régime de Macky Sall.
Dans ces conditions, pensez-vous avoir une chance de faire concurrence à Amadou Ba, le premier ministre, qui défendra les couleurs de la majorité présidentielle ?
Notre coalition est plus large que la leur. Le but commun est d’écarter le candidat de Macky Sall, qui risque de ne pas aller au deuxième tour étant donné les divisions au sein du camp présidentiel, qui est éclaté en plusieurs morceaux : l’ancien premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne est candidat ainsi que l’ancien ministre de l’agriculture Aly Ngouille Ndiaye, entre autres.
LE MONDE