La jeunesse africaine montre sa voie ses chefs d’Etat
« Colonialisme », « arrogance », « paternalisme français ». Le président de la République française a été bousculé, hier, par une jeunesse africaine décidée à redéfinir les relations entre la métropole et ses anciennes colonies.
En suivant le sommet Afrique-France, qui s’est tenu hier pour la première fois sans eux, les chefs d’Etats africains ont dû prendre note. D’abord, du courage du Président français de parler à leurs jeunesses à leur place. Mais surtout, des manières dont ces jeunes africains ont regardé Emmanuel Macron, les yeux dans les yeux, pour lui faire part de leurs préoccupations sans tabou. Une seule séquence peut suffire à montrer l’exemple. Celle d’un échange entre le président français et la représentante malienne de la jeunesse africaine, Adam Dicko.
« Si l’armée française n’avait pas été là (en référence au Mali), fait remarquer le président français, ce ne serait pas un grand vent de liberté à Bamako. Ce seraient des terroristes qui seraient à Bamako. Il ne faut jamais oublier qui nous demande de venir, pourquoi on n’est là et dans quel cadre ». Ce à quoi Adam a répliqué : « Je veux juste rappeler au Président que ce qui se passe au Sahel est la conséquence de l’intervention de la France en Libye qui avait, d’ailleurs, oublié à l’époque l’existence de l’Union Africaine. J’ai envie de vous dire, monsieur le Président, s’il n’y avait pas les Africains, il n’y aurait pas la France d’aujourd’hui. Nous sommes liés. Arrêtez de dire que vous êtes venus nous aider. Arrêtez ce discours paternaliste. Le terrorisme ne menace pas que le Mali. On a un ennemi commun et nous devons le combattre ensemble. »
Bousculé, Emmanuel Macron a eu le mérite de rester calme et courtois. Il a même reconnu les vérités d’Adam. « On n’est pas là simplement pour nos intérêts, lorsqu’on arrive en 2013 au Mali. Et je l’ai déjà reconnu publiquement. On n’a pas respecté la souveraineté d’un peuple en Libye et ça, c’est une erreur. » Et la petite malienne de conclure ce passage houleux mais civilisé : « Vous êtes au Sahel pour corriger votre erreur en Libye. Mais, par la même occasion, vous êtes en train d’en faire d’autres. »
Adam Dicko : « S’il n’y avait pas les Africains, il n’y aurait pas la France d’aujourd’hui »
Comme en novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou (Burkina Faso), le président de la République française s’est adressé à la jeunesse africaine. Mais cette fois-ci à Montpellier, en lieu et place des chefs d’Etats africains, lors d’un sommet inédit où la société civile africaine a joué les premiers rôles. Le sentiment anti-français grandissant de plus en plus à différents endroits du continent noir, s’est vu jeté à la face la frustration d’une jeunesse qui détient de multiples reproches à l’ancienne puissance colonisatrice. Ces derniers concernent d’abord l’intervention de la France au Sahel et l’insécurité qui persiste dans la zone.
Point de départ de cette lutte interminable contre le terrorisme dans la sous-région, la Mali a naturellement été au cœur des débats sur cette question. Occasion pour le président français d’apporter « ses vérités » pour effacer les « malentendus » : « Jamais, en tant que président, je n’ai maintenu ou créé une base militaire qui ne soit à la demande d’un Etat souverain. Quand je décide de maintenir l’Opération Barkhane (forces françaises au Mali), c’est parce que des dirigeants démocratiquement élus me le demandent. Tous les dirigeants de la région me le demandent et la Cedeao me le demande, pour que ces Etats ne tombent pas entre les mains des djihadistes. »
Huit années de présence des militaires français n’ont pas encore suffit à sécuriser le Mali. Pourtant, le bilan est lourd. 52 soldats y ont perdu la vie, dans le cadre de cette guerre, de plus en plus, impopulaire dans l’opinion publique française. Cela justifie-t-il le processus de leur retrait enclenché par l’Elysée ? Emmanuel Macron botte en touche. Selon lui, tout ceci était prévu. « Nous n’avons pas vocation à rester. C’est pourquoi, nous sommes en train de fermer des bases au Sahel. Chacun va devoir prendre ses responsabilités. Ce n’est pas moi qui vais faire l’école, la police ou la justice au Mali ou ailleurs », justifie-t-il.
Macron : « Ce n’est pas moi qui vais faire l’école, la police ou la justice au Mali ou ailleurs »
De 2013 à maintenant, deux coups d’Etat (de moins d’un an d’intervalle) ont été perpétrés au Mali, plaçant le pays aux mains des militaires, dans le cadre d’un gouvernement de transition. La junte au pouvoir a nommé un Premier ministre qui, lors de son passage à la dernière assemblée des Nations Unies, a accusé la France d’abandonner le Mali. S’en est suivi un désaccord avec Emmanuel Macron qui condamné Ses propos. D’où peut-être la dernière réplique du chef de l’Etat français, plus haut.
Si l’insécurité a colonisé tout le Sahel, les reculs démocratiques constatés dans beaucoup de pays de la sous-région font naître d’autres inquiétudes. Souvent, la jeunesse africaine vit avec cette impression, qu’ils sont bénis par la France. C’était le cas en Guinée et au Mali et cela a servi de prétexte à des coups de force militaires. La Côte d’Ivoire n’est pas arrivée à cette extrémité, mais a connu, à l’instar de la Guinée, des périodes de tensions découlant de la volonté d’un président de la République de briguer un troisième mandat.
Au Sénégal, vitrine démocratique de la France dans la sous-région, le président Macky Sall n’a toujours pas clarifié son intention de se présenter une troisième fois à l’élection présidentielle, après avoir gagné les deux précédentes. D’ailleurs, dans son intervention face au Président Macron, l’activiste Sénégalais Cheikh Fall, parmi les 11 sélectionnés pour faire face au président français, lui a demandé d’arrêter de renforcer le pouvoir des dictateurs africains.
Mais la situation des pays voisins du Sénégal n'est pas la même, rétorque Emmanuel Macron. Il ajoute : « J’ai condamné le troisième mandat en Guinée avant, pendant et après l’élection. Mais, je ne vais pas faire d’intervention et d’ingérence. (..) En Côte d’Ivoire, il y a un Président qui s’exprime et dit qu’il ne fera pas de troisième mandat. Ce que j’ai, quelques minutes après, salué comme historique. Mais le candidat de son parti est décédé. Je ne suis pas responsable du parti qui a proposé qu’il (Alassane Ouattara) soit candidat. Il a été dans une circonstance un peu exceptionnelle. Il s’est représenté et a été réélu. Mais, la France a été très claire dans la demande de préparer une nouvelle génération et d’œuvrer à la réconciliation. »
Et sur le Mali, reprend-t-il, « on condamne, par principe, tout coup d’Etat militaire. Car, il y a un Président qui a été élu par le peuple. Nous avons accompagné la Cedeao. C’est un Etat souverain qui a demandé à la France d’être présent pour lutter contre le terrorisme. »
‘’Comment faire que les valeurs démocratiques prônées par cette jeunesse africaine soient effectives dans leurs sociétés ?’’
Mais même bousculé de tout part, le président Macron n’en reste pas moins un excellent débatteur. Lui, le président français né en 1977, après les décolonisations africaines, n’a pas manqué de demander aux jeunes africains de prendre leurs responsabilités et de jouer leur partition. En effet, rappelle-t-il, la vraie question de toute cette contestation est : Comment faire que les valeurs démocratiques prônées par cette jeunesse africaine soient effectives dans leurs sociétés ? Question à laquelle il ajoute : « Je ne peux pas être celui qui dicte la légalité en Afrique. Quand un président de la République français dit qu’il ne doit pas y avoir plus de deux mandats. Cela n’a pas le même sens que quand c’est la société civile ou jeunesse africaine qui le dit. »
Il ne sera pas question que de la société civile. L’option de repérer les bons profils au sein des leaders émergeants peut être explorée. D’ailleurs, informe Emmanuel Macron, « On va porter un fonds de financement de la démocratie, doté d’une direction indépendante, avec des experts africains qui orientent les choses. Cela va aider à financer les alternatives démocratiques. »
Dans le large éventail des sujets évoqués, lors de ce sommet Afrique-France, d’autres sujets, notamment économiques et sociaux, ont été abordés. C’est le cas de la représentante Marocaine, Amina, avec les transferts de fonds de la diaspora vers l’Afrique. Trois fois supérieurs à l’aide au développement, ces fonds sont imposés jusqu’à 9 % dans certains cas. Ce qui est énorme, comparé aux transferts au sein des pays développés. Le chef de l’Elysée a saisi l’occasion pour proposer « une approche beaucoup plus transparente sur les migrations de travail, en partenariat avec les pays et on doit construire, dit-il, le cadre de cette relation de financement privé. C’est vrai qu’il y a des transferts beaucoup trop coûteux, pas assez sécurisés. C’est notre intérêt en termes d’investissement solidaire de lui donner un cadre. C’est ce qu’on veut faire avec l’AFD et notre système bancaire. »
Macron sur francs CFA : ‘’On fera ce que les gouvernements et les banques régionales nous demanderont de faire’’
Dans ce domaine de transferts de devises, dans lequel il avait été interrogé par Cheikh Fall sur les réserves de fonds de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), le Président français a affirmé que la décision annoncée avec le président Ouattara en 2019 sur la francs CFA a été mise en œuvre. « Les réserves obligatoires ont été transférées aux Africains. Ce sont les Etats concernés qui ont demandé à garder les mécanismes de garantie pour éviter de l’instabilité monétaire. On fera ce que les gouvernements et les banques régionales nous demanderont de faire. S’ils nous demandent d’aller plus loin, je vous le dis : je le fais », assure Emmanuel Macron.
Cette décision de lancement de l’Eco pour remplacer le franc CFA a été chamboulée par la crise du coronavirus. Mais l’Eco reste un projet important, et « c’est aux dirigeants de la région de le porter et de décider sur ce qu’ils veulent faire ».
Historique ! Symbolique ! Cette rencontre avec président français n’en demeure pas moins exposée à trois dangers qu’a soulevés Amina, au moment de conclure les préoccupations de la société civile africaine. « Le premier est que tout cela n’ait été qu’une vague mise en scène. Qu’en réalité, rien ne va changer et qu’on a manqué un rendez-vous avec l’histoire. Le deuxième est qu’on n’ait pas pu évoquer toutes les questions que cette jeunesse africaine souhaite voir abordées. Le dernier, et le plus dangereux, correspond aux demi-mesures et les semi-décisions », prévient-t-elle.
Comme l’ont pratiquement souligné tous les participants, l’Afrique n’a pas besoin d’aide, elle a besoin de plus de coopération.
Lamine Diouf