Entre stratégies de survie et crise d'identité
La transhumance politique au Sénégal est un phénomène complexe et controversé. À peine élu, Bassirou Diomaye Faye, le nouveau président, est mis en garde par certains partisans sur ce phénomène jugé sans éthique qui sape le moral des militants authentiques. Reste à savoir si cette nouvelle formation politique aura les reins solides pour résister à ce phénomène qui continue de diviser les Sénégalais.
La transhumance politique au Sénégal désigne le passage d'un homme politique d'un parti à un autre, souvent en fonction des opportunités et des intérêts personnels.
Il est clair que certains cas sont liés au système politique lui-même, comme le manque de financement public des partis politiques et le système majoritaire uninominal à deux tours.
D'autres sont liés aux motivations individuelles des politiciens, comme la recherche de postes de pouvoir ou d'avantages matériels.
Ce phénomène n'est pas nouveau au Sénégal, mais il a pris une ampleur considérable ces dernières années, en particulier depuis l'alternance politique de 2000, avec l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade.
Idrissa Seck, l’ancien directeur de cabinet de Me Wade, avait suggéré une loi pour combattre la transhumance, suite à leur accession au pouvoir. Mais ce fait observé a fait pschitt. Il s’est accentué au cours des dernières années. Macky Sall et Cie ont suivi les pas de leur mentor. Le successeur de Wade a contribué à hisser la transhumance à travers de la politique sénégalaise à des sommets rarement atteints.
Le maire de Keur Massar Sud, élu sous la bannière de Yewwi Askan Wi (ex-Pastef), Mohamed Bilal Diatta, pense qu’il faut relativiser le phénomène de la transhumance. ‘’S’il y a des Sénégalais compétents, on doit les recruter, quelle que soit leur obédience politique. Ce qui nous intéresse, c’est développer ce pays. Toutefois, si certains ne sont mus que par leurs propres intérêts, c’est-à-dire pour s’enrichir, il n’est pas question de leur ouvrir la porte’’.
Pour autant, beaucoup de Sénégalais ne cherchent pas à comprendre cette nuance et exigent que ceux qui ont gagné administrent sans l’interférence des transhumants qui doivent rester à l’écart. C’est le cas de Moussa Ndao, militant de Taxawu Sénégal. ‘’C’est inélégant et irresponsable de profiter du labeur des autres qui ont combattu l’ancien régime pour accéder à ce stade. Il faut rester digne et constant’’.
Ce plaidoyer, comme la majeure partie des Sénégalais, revient à dire qu’au Sénégal, la transhumance a mauvaise presse. Elle est souvent considérée comme un signe de l'absence d'éthique et de conviction politique. Qu’on se souvienne, par exemple, des propos sans nuance tenus en 2015 par Souleymane Ndéné Ndiaye, qui fut le dernier Premier ministre d’Abdoulaye Wade : ‘’Ils doivent être exécutés ! Les transhumants doivent être fusillés ! Ce sont des traîtres ! […] Tous ceux qui ont quitté le PDS pour rejoindre l’APR sont des traîtres. Moi, je préfère mourir que de faire ça !’’
Aujourd’hui, on connait la suite, il a rejoint le régime du Président Macky Sall comme PCA d’Air Sénégal.
En effet, la transhumance est souvent perçue comme un acte de trahison envers les militants et les électeurs du parti d'origine. Elle est également accusée d'être motivée par l'opportunisme et la recherche de positions de pouvoir et d'avantages matériels. Alors que d’autres soutiennent que la transhumance est une expression de la liberté d'association et de la liberté de conscience garanties par la Constitution sénégalaise.
‘’Qui pour dire à Idrissa Seck qu’une opposition forte est un rouage essentiel dans le système démocratique ?’’
Dans une autre perspective, elle permet le renforcement de la majorité présidentielle, c’est-à-dire le parti au pouvoir de se renforcer et de consolider son assise politique. C’est le cas d’Omar Sarr, actuel membre de BBY, qui a tenu tête à l’ancien régime dans son bastion à Dagana. Son ralliement à la majorité présidentielle a permis à cette dernière de remporter cette commune du nord du pays. Une stratégie qui ne marche pas toujours. On se souvient aussi du cas de Sitor Ndour pour contrecarrer le maire de Fatick Macky Sall (2011-2012). Il avait lamentablement échoué lors de la Présidentielle de 2012 face à son ancien collaborateur.
Si certains transhumants parviennent à se fondre dans leur nouvelle fonction, d’autres peinent à s’imposer et perdent leur crédibilité aux yeux des électeurs. Idrissa Seck est un exemple patent de ce rejet.
Tour à tour allié et adversaire, puis à nouveau allié et adversaire, il a vu son électorat passé de 21 % en 2019 à moins de 2 % en 2024.
C’est pourquoi, lors des événements de mars 2021, l’essayiste et professeur de philosophie Alassane Kitane avait jugé le geste de l’ancien maire de Thiès d’affaiblissement de l'opposition. Pour lui, la transhumance fragilise l'opposition et affecte la crédibilité des institutions démocratiques. ‘’Qui pour dire à Idrissa Seck qu’il fait partie du problème, dans la mesure où il a abandonné l’opposition à une période cruciale ? Qui pour dire à Idrissa Seck qu’il a aidé Macky à réaliser son désir cynique et enfantin de réduire l’opposition à sa plus simple expression ? Qui pour dire à Idrissa Seck qu’une opposition forte est un rouage essentiel dans le système démocratique ?’’, s’interrogeait-il sur sa page Facebook.
Il poursuivait avec cette diatribe : ‘’Affaiblir une opposition, c’est renforcer le pouvoir. Or, tout pouvoir est oppressif. Ignorer qu’une opposition forte est nécessaire à la stabilité du pays et au renforcement de la démocratie, c’est oublier que le rôle d’une opposition, c’est aussi de cristalliser les rancœurs, de canaliser les affects, de sublimer les mécontentements dans les limites politiques raisonnables.’’
AMADOU CAMARA GUEY