Publié le 19 Aug 2013 - 12:47
TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS

Dans l'enfer des paradis fiscaux

 

Naguère méconnus, les paradis fiscaux font désormais partie des discussions quotidiennes des Sénégalais. La traque des biens mal acquis, lancée depuis la chute du Président Wade, est passée par là. Nous avons essayé d'en savoir plus sur les liaisons dangereuses, les passerelles financières et les motivations qui peuvent amener des citoyens d'un pays pauvre très endetté comme le Sénégal à titiller les paradis fiscaux du monde qui pèsent, selon des chiffres d'Oxfam, au moins 18.500 milliards de dollars. Difficile à décliner en Cfa...

 

Que peut bien signifier un paradis fiscal pour un pays pauvre très endetté comme le Sénégal ? La preuve par les faits. Au moment où nous étions en train de creuser cette matière complexe, on apprend de bonne source  que le Procureur spécial de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao, se trouve dans la Principauté de Monaco, en France. Une délégation judiciaire émise par l'Etat du Sénégal avait permis de mettre la main sur un compte bancaire de deux millions d'euros, soit 1,4 milliard de francs Cfa environ. Mais ce n'était visiblement là que l'arbre qui cache la forêt, car c'est une bonne dizaine de milliards de francs Cfa qui ont été dénichés de divers comptes ouverts dans la principauté de Monaco. Karim Wade n'en est pas le seul bénéficiaire. Plusieurs noms sont avancés dont certains ont eu à exercer des responsabilités publiques. La Principauté de Monaco n'est décidément plus une citadelle imprenable. En effet, ces dernières années, la procédure pour contourner le secret bancaire et avoir des informations sur les comptes de personnes supposées être des délinquants à col blanc a beaucoup évolué. Avec la montée de la menace terroriste, la lutte contre le trafic international de drogue et la crise financière mondiale, focus a été mis sur les paradis fiscaux d'Europe, d'Amérique et d'Asie. Les pays qui les hébergent sont aujourd'hui obligés de collaborer pour éviter des représailles pouvant surtout venir des Etats-Unis. 

 

Dans les méandres des délégations judiciaires

 

Depuis un an, le Sénégal a instruit plusieurs délégations judiciaires en direction de pays hébergeant des comptes offshore. Selon la procédure consacrée, c'est le ministère de la Justice qui saisit ses homologues dans les pays visés. Le courrier passe par le ministère des Affaires étrangères pour atterrir dans le même service du pays concerné, qui le répercute aux services assermentés, généralement de Police. Pour la France, c'est le Quai d'Orsay qui réceptionne la demande pour le transférer au ministère de l'Intérieur. A ce stade, la collecte des informations n'est plus l'apanage de l'Etat demandeur qui attend que les  renseignements collectés lui soient transmis selon le même canal. D'une façon ou d’une autre, c'est la confidentialité qui est la règle. Les autorités judiciaires qui réceptionnent les dossiers sont tenues d'en faire un usage exclusivement judiciaire'', renseigne une source autorisée. La moindre  fuite peut occasionner des mesures de rétorsion comme par exemple ''le refus de collaborer pour d'autres dossiers''.

Mais ce cadrage général pour avoir des informations  apparaît plus complexe lorsque l'information demandée concerne un paradis fiscal. L'une des raisons tient à la définition même de ces îlots financiers au fonctionnement complexe. L'opacité et la rétention de renseignements font partie des critères qui singularisent un paradis fiscal. C'est la loi du silence qui crée l'attraction du fait de la sécurité assurée aux transactions que cela implique. Malgré tout, les renseignements financiers, même s'ils ne sont pas complets, tombent toujours. Surtout venant des Etats-Unis où des  mouvements de comptes appartenant à l'ancien conseiller spécial en Télécommunications, Thierno Ousmane Sy, placé sous mandat de dépôt le 27 février 2013 pour “détournement de deniers publics“, corruption et blanchiment de capitaux portant sur la somme de 3,5 milliards”, ont pu être dénichés et portés à l'attention de l'Etat du Sénégal... C'est une  délégation qui aurait permis de remonter la filière des mouvements de New-Jersey  aux Etats-Unis à...la Principauté de Monaco, très prisée par les Sénégalais. Cette affaire précise intéresse la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) qui veut circonscrire, à travers les mouvements de fonds via des comptes off shore, l'identité des personnalités de l'ancien régime qui ont bénéficié de transferts massifs de fonds. Selon nos sources, d'ici peu, des informations supplémentaires devraient être disponibles, venant de Monaco.

 

Du ''paradis fiscal'' à l'enfer opaque

 

Mais selon un fonctionnaire du ministère de l'Economie et des Finances ayant requis l'anonymat, ce n'est pas parce que c'est un paradis fiscal que c'est illégal. Le terme a été galvaudé, explique-t-il. Spécialiste de la question, il définit un paradis fiscal comme ''un lieu où la fiscalité est réduite ou à la limite nulle''. Plusieurs critères sont avancés dont le plus important est la facilité fiscale. Le taux d'imposition qui est dans certains pays à 40 ou 50% des revenus, est tellement faible dans les paradis fiscaux que des personnes physiques ayant des moyens financiers n'hésitent pas à taper aux portes.

Le fonctionnaire fait d'ailleurs la différence entre ''Monaco n'est pas un paradis fiscal'', mais plutôt un ''paradis bancaire''. La différence tient au fait qu'on peut déclarer une société dans n'importe quel paradis fiscal, les Îles  Britanniques par exemple et ouvrir le compte affilié à...Monaco. Dans tous les cas, le mécanisme de mise en place de ces comptes est toujours rapide, par rapport à la norme bancaire. Dans certains paradis, un compte, avec toutes les caractéristiques d'anonymat, peut être ouvert en seulement une heure de temps. La confidentialité bien supérieure à la norme bancaire et l'opacité sont aussi des signes distinctifs. Dubaï Ports World Dakar, épinglé dès le début de la traque des biens mal acquis est sans doute un trompe-l’œil. Plusieurs sociétés, bien souvent filiales de multinationales, ont ouvert des comptes off-shore dans des paradis fiscaux, tout en maintenant des opérations financières sur la place  dakaroise. ''Dans la plupart des cas, c'est pour contourner certaines rigidités fiscales que ces pratiques ont cours'', explique-t-on. Il faut sans doute faire remarquer que si Dubaï Port World Dakar a été mise en valeur du fait du contexte de la traque des biens mal acquis, une société comme GTI, qui a fourni de l'électricité à la Société nationale d'électricité (Senelec), avait un compte off-shore dans un paradis fiscal bien identifié, avant même l'arrivée de Wade au pouvoir. Une société comme Total dispose de comptes dans les paradis fiscaux. Et bien d'autres qui s'activent dans les Télécommunications. 

Mais il y a aussi une autre facette de la nébuleuse des paradis fiscaux qui explique leur puissance de feu. Dans l'univers des affaires, c'est en effet un secret de Polichinelle que certaines opérations se passent sous le nez et la barbe des citoyens et organismes de contrôle. Lorsqu'une société veut par exemple verser des commissions à des personnalités de l'Etat qui l'ont aidée à gagner de façon nébuleuse un marché, elle peut passer par les paradis fiscaux. ''Ce canal est plus sécurisé  parce qu'il ne laisse que peu de traces. Pour les retracer, il faut vraiment disposer d'un bon réseau d'informateurs financiers de haut niveau parce qu'il arrive que les virements se fassent à travers plusieurs comptes écrans dont la  fonction est justement de brouiller les pistes'', renseigne-t-on. Le modus operandi a-t-il été utilisé dans le cas de Dubaï Port World Dakar, société offshore établi aux Îles Britanniques ?

 

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