Le Bâtonnier de Paris démonte le ''dossier judiciaire politique'' de Karim Wade
Karim Wade peut compter sur Me Pierre Olivier Sur. Le Bâtonnier désigné de l'ordre des Avocats à la cour de Paris s'est présenté hier devant la presse pour dénoncer la procédure enclenchée contre l'ancien ministre d'État. Il s'est lâché sur le procureur spécial et le président Macky Sall.
Hier, au point de presse convoqué par le collectif des avocats de Karim Wade, seul Me Pierre Olivier Sur, Bâtonnier désigné de l'ordre des Avocats à la cour de Paris, s'est présenté devant les journalistes. L'Ordre des Avocats a demandé à Maîtres El Hadji Amadou Sall, Ciré Clédor Ly, Demba Ciré Bathily, Mame Abdou Mbodji et Mohamed Seydou Diagne, membres sénégalais du collectif, de ne plus ''s'exprimer dans les médias''. C'est donc au Bâtonnier de l'ordre des Avocats de Paris qu'il est revenu la charge de se prononcer sur l'incarcération de Karim Wade et de dénoncer ce qu'il considère comme ''un dossier judiciaire politique''.
S'exprimant sur les conditions de détention de Karim Wade, l'avocat a indiqué que l'ancien ministre d'État est ''à l'isolement''. Étant entendu qu'il ne reçoit d'autres visites que celles de ses conseils. Toutefois, l'avocat ajoute qu'il est ''correctement'' traité par l'administration pénitentiaire. Son client, dit-il, ''vit cette période d'ostracisme comme une épreuve dont il sortira grandi''. Convaincu qu'on est en face ''d'un État à poigne qui a peur'', en atteste ''l'interdiction de la marche du Pds prévue ce jour'', il estime qu'on assiste ''à une chasse aux sorcières qui relève d'un règlement de comptes politique contre Karim Wade et certains membres influents du PDS''. Il dénonce ''un système juridique de la terreur et du non-droit'' que lui et ses collègues s'engagent à faire ''censurer''.
''L'accusation initiale de 4 000 milliards s'est transformée en une accusation de 700 milliards''
Outre ces dénonciations, Me Pierre Olivier Sur s’est évertué à démonter les accusations du procureur spécial près la Crei. ''Certains membres du premier gouvernement, dit-il, ont accusé l'ancien gouvernement d'avoir détourné 4 000 milliards de F Cfa vers l'étranger dont 2 400 milliards vers la France''. Alors qu'aucun État étranger, ''en dépit des recherches sérieuses, en l'occurrence la France, n'a établi que quelque argent que ce soit a été logé frauduleusement au bénéfice d'un mécanisme dit de biens mal acquis''.
Concernant les investigations en France, Me Sur révèle qu'à un moment donné, on est allé voir Coppé, Juppé et autres pour ''voir ce qu'il y avait à gratter côté famille Wade''. La brigade financière a été mise à contribution. ''Ils n'ont rien trouvé'', martèle-t-il. Conséquence : ''L'accusation initiale de 4 000 milliards s'est transformée en une accusation de 700 milliards''. Là aussi, l'avocat déclare que le procureur spécial a inventé un schéma pour asseoir son accusation. ''Il a identifié divers sociétés et les a imputées à Karim Wade. Il a valorisé lesdites sociétés par une notion inexistante en comptabilité et en droit, donc surréaliste : le poids financier disponible''. Sarcastique, il dira qu'il s'agit d'une ''construction de l'esprit du procureur qui non seulement viole la présomption d'innocence, mais aussi se fonde sur un texte qui n'existe plus''.
Situation juridique de Karim Wade
Auparavant, Me Sur est largement revenu sur la situation juridique de Karim Wade. En 1984, dit-il, le Code de l'organisation judiciaire a été installé au Sénégal par une loi organique qui a organisé la justice au Sénégal. Et elle n'a pas repris le dispositif de la loi de 1981 de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei). Ce qui lui fait dire que ''la Crei est une juridiction qui n'existe plus. Sauf à ce qu'on la recrée, à partir d'un autre texte''. Ainsi, le décret pris en 2012 par le président Macky Sall pour faire revivre la loi de 1981 ''est absolument illégal'', martèle l'avocat.
''On ne trouvera pas un juriste sérieux qui puisse affirmer qu'un décret peut refaire ce qu'une loi a défait. Donc cette procédure menée contre Karim Wade et contre d'autres relève d'un texte qui est illégal''. Me Pierre Olivier Sur estime aussi que le contenu du décret est ''foncièrement illégal''. La Crei, explique-t-il, ne connaît pas le deuxième degré de juridiction. Du fait que celui qui est condamné ne peut pas faire appel. L'avocat conteste également le renversement de la charge de la preuve, puisqu'en ce qui concerne l'enrichissement illicite, c'est à l'accusé d'apporter la preuve de son innocence.
En outre, l'avocat de Karim Wade ne s'explique pas pourquoi les avocats ne peuvent pas assister aux auditions, dans les procédures en cours. Autant de choses qui font dire au Bâtonnier de l'ordre des Avocats de Paris que la procédure enclenchée contre Karim et ses camarades est ''nulle''. Et comme tel, ''le mandat de dépôt qui permet l'incarcération du fils de l'ancien président de la République est nul''. Il parle de ''détention arbitraire''.
Macky Sall, François Hollande et ''leur situation d’échec''
Hier, contre toute attente, l'avocat de Karim Wade s'est permis de faire un rapprochement entre Macky Sall et François Hollande ''élus par une coalition socialiste, en appelant à un retour de la morale, un partage des richesses, à une solidarité en une période de crise''. Selon lui, ''un an plus tard, tous les deux sont en situation d’échec''. François Hollande, dit-il, est au plus mal dans les sondages. Dans la perspective d'une Présidentielle, ''il ne serait même pas au deuxième tour''.
Poursuivant son argumentaire, Me Sur laisse entendre que les deux chefs d'État ''cherchent actuellement à réactiver la mémoire d'exclusion qu'ils avaient opposée à leurs prédécesseurs pour se faire élire. Ils mettent les projecteurs sur une perspective judiciaire, avec au fond la prison et la condamnation''. Il rappelle que Nicolas Sarkozy n'a pas moins de cinq procédures à son encontre. Le Bâtonnier accuse les deux présidents de manipuler les populations en instrumentalisant la justice. Dans la même veine politique, il évoque le ''retour par le Sénégal à un réseau France-Afrique'', matérialisé par le retour de Bolloré au port de Dakar. Alors que ''les années Wade symbolisaient une ouverture vers les pays émergents''. Le Sénégal, selon lui, est en train de perdre au change, puisqu'il s'agit d'un partenariat ''perdant-perdant, parce que la France n'a plus un rond''.
Gaston COLY