Les travailleurs racontent leur calvaire
Installée au Sénégal depuis plus de 29 ans, l'usine Senecor fabrique des Braids ou mèches simples, des greffages, des perruques et des chignons. Les employés de cette entreprise coréenne se plaignent de conditions de travail très difficiles et de salaires de misère. Ils travaillent douze heures par jour. Un inspecteur du travail apporte son éclairage.
Au Sénégal, l'exploitation des employés est une réalité. Beaucoup de chefs d'entreprise n'ont aucun respect ni considération pour leur personnel. Pas de prime de transport ni de prise en charge médicale. Tout ce qui intéresse ces chefs d'entreprise, c'est que le travail soit bien fait. L'usine de fabrication des mèches, Senecor, ne déroge pas à cette règle. Cette entreprise coréenne, basée au Sénégal, emploie des centaines d'hommes, de femmes et de jeunes sénégalais. Avec les nombreux problèmes pour trouver un emploi au Sénégal, Senecor profite de cette situation pour se procurer une main-d'œuvre sénégalaise bon marché. Les travailleurs se plaignent de leurs conditions de travail.
En effet, à Senecor, les tâches sont réparties en sections : Production, Peigne, Filet, Crochet, Talon, Hologramme, Code-barres, entre autres. Les sections Peigne et Crochet sont les plus difficiles. Car ceux qui travaillent là-bas n'ont pas le droit de s'asseoir. Ils se mettent debout toutes les douze heures de travail qu'ils effectuent par jour.
Travailleuse à la Senecor depuis plus d'un an, une jeune dame de 30 ans environ, s'exprimant sous l'anonymat, révèle qu'elle avait arrêté d’y travailler, à cause des difficiles conditions de travail. "J'ai commencé à travailler dans cette usine en 2022. Vu les difficiles conditions de travail, j'ai décidé d'arrêter. Cependant, après quelques mois de chômage, de galère, je suis de nouveau retournée travailler à Senecor, parce que je n'ai pas pu avoir un autre boulot", raconte-t-elle.
Avant même de franchir les portes de Senecor, il y a un sévère contrôle. Les gros sacs n'entrent pas. "Nous travaillons dans de très difficiles conditions. Il y a trop de pression. Si, par erreur, une personne ne finit pas sa production, elle est sévèrement sanctionnée. Elle peut même être renvoyée. Je me rappelle, un jour, je n'avais pas fini ma production avant la descente ; ils m'ont mise à pied. À la section production où je travaille, on n'a même pas le droit de parler entre collègues. Il n'y a pas d'arrêt avant la pause de 13 h 30. À 8 h 30 mn, chacun doit être déjà à sa place. Aucun retard n'est toléré. Dans cette section, on se tient debout tout au long de la journée, c'est-à-dire de 8 h à 20 h, du lundi au samedi", renseigne-t-elle.
Se tenir debout pendant 12 tours d'horloge, ce n'est pas une mince affaire. "Au début, c'était très difficile pour moi. Quand je rentrai chez moi, j'avais mal partout. Je ne pouvais rien faire. Parfois, j'ai envie d'abandonner, de tout laisser. Mais quand je pense que si quitte, je n'aurai pas autre part où aller, je ne peux rien faire que rester. Et malheureusement, j'ai fini par m'y habituer", narre la jeune dame rencontrée à la sortie de l'usine.
Pendant le travail, les travailleurs de Senecor n'ont pas le droit de manipuler leur téléphone ni de répondre à des appels, même en cas d'urgence. Ils n'ont pas également le droit de manger en salle. Même le chewing-gum est formellement interdit. Toute personne surprise en train de manger est punie.
Des salaires misérables
Selon les travailleurs de cette entreprise, à l'infirmerie de la Senecor, on n’y trouve que du fer. Dans cette structure, les travailleurs tombent souvent malades. "Quand tu tombes malade, ils ne te donnent que du fer et ils coupent ça sur ton salaire. Il n'y a pas de gratuité à Senecor. Pire encore, si tu n'as pas travaillé le lundi, tu ne vas pas travailler les autres jours de la semaine. Et avant de reprendre, il faut apporter des justifications, sinon on te sanctionne. Si tu n'apportes pas de papiers justifiant ton absence, ils peuvent te renvoyer 15 jours, voire un mois", renseigne un autre père de famille travaillant depuis quatre ans à la Senecor.
Dans la structure, les salaires diffèrent. À la section Production, la journée est à 6 500 F CFA pour les femmes et 7 000 F CFA pour les hommes. Dans les autres sections, ils sont payés 3 000 F CFA. Ceux qui sont à la section Apprentissage perçoivent 2 000 F CFA. "Imagine, tu travailles 12 heures pour recevoir 6 500 F CFA. C’est minime, compte tenu des conditions dans lesquelles nous travaillons. Dans cette section, les hommes font le peignage et les femmes font des crochets. Parfois, ils nous coupent notre argent. À la fin du mois, on se retrouve avec des salaires insignifiants. Ils ne nous informent pas. C'est lorsque le dépôt Wave est fait qu'on se rend compte qu'ils ont coupé une partie du salaire. Le mois passé, beaucoup de personnes n'ont pas reçu leur argent. Ils nous ont dit qu'ils se sont trompés", informe-t-il.
Embouchant la même trompette, El Hadj Mamadou Barry souligne qu'à Senecor, ils ne font qu'exploiter les jeunes Sénégalais. Parce que, dit-il, il n'y a pas de travail dans ce pays. ‘’Senecor sait qu'il n’y a pas de travail au Sénégal. C'est la raison pour laquelle son patron exploite et maltraite les travailleurs. Un lundi matin, j'étais venu pour avoir des renseignements à Senecor. Ils m'ont dit que je dois d'abord passer par la section Apprentissage pour une semaine, avant de devenir journalier. La semaine écoulée, on me dit encore la prochaine, ainsi de suite. Après avoir su qu'ils me mentent, en essayant de me faire croire à des promesses qui ne se réaliseront jamais, j'ai arrêté", raconte-t-il.
Dans l’entreprise, les contrats de travail sont renouvelés tous les six mois. "J'ai fait plus de quatre ans à Senecor. Je n'ai pas vu une seule personne dans la section Hologramme qui a un CDD ou CDI. Chaque six mois, ils nous font signer de nouveaux contrats. Je ne sais pas c'est quel genre de contrat de travail", fulmine Ibrahima Sarr, ancien travailleur de Senecor.
En 2022, le Collectif des travailleurs de Senecor était en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail
Le collectif des 1 500 travailleurs de Senecor avait organisé, en 2022, une conférence de presse au siège du Frapp/France dégage, pour dénoncer leurs conditions de travail. À l’époque, les travailleurs de l’entreprise Senecor-Mèche Linda étaient remontés contre leur direction générale qu’ils accusaient de mauvais traitements. Le porte-parole du collectif, Ousmane Diouf, et ses camarades renseignaient, en effet, qu’ils étaient, depuis 20 ans, victimes de vol et d’exploitation abusive.
"Dans notre entreprise, l’heure est payée à 380 F CFA, de 7 h à 20 h ; et les heures supplémentaires sont payées à 525 F CFA. Donc, de 8 h à 17 h, nous devons avoir un montant de 3 040 F CFA la journée. Et cette somme multipliée par 30 jours, en principe, nous devrions bien passer à 80 000 ou 90 000 F CFA. Malheureusement, aucun travailleur n’a réussi à avoir à la fin du mois 60 000 F CFA", fulminait le porte-parole.
Mieux, poursuivait-il, depuis 1983, il n’y a jamais eu de bulletin de salaire dans cette entreprise. "Il est tout simplement scandaleux que le ministre du Travail soit inaudible sur ce genre de question. C’est pourquoi nous lançons un appel au président Macky Sall et appelons le ministre du Travail pour qu’il aille faire un tour dans l’entreprise", ajoutait-il.
Dans la même veine, Ousmane Diouf et Cie déploraient aussi le manque de respect de la part des responsables de l’entreprise. Ils soulignaient que ces derniers leur servent des repas sans aucune qualité. "Ils nous traitent comme des moins que rien. On reste debout toute la journée. Et même pour boire, nous sommes obligés d’aller dans les toilettes. Leurs objectifs quotidiens sont si importants qu’ils nous obligent à travailler même pendant notre heure de pause", avait dénoncé le porte-parole du Collectif des travailleurs de Senecor.
Les éclairages de l’inspecteur du travail Amary Diop
Relativement au renouvellement du contrat de travail, renseigne l'inspecteur du travail Amary Diop, l’article L42 du Code du travail précise qu’"aucun travailleur ne peut conclure avec la même entreprise plus de deux contrats à durée déterminée ni renouveler plus d'une fois un contrat à durée déterminée".
Toutefois, dit-il, cette disposition admet des dérogations. "C’est ainsi que la limitation du nombre de renouvellements ne s’applique pas aux travailleurs engagés par des entreprises relevant d'un secteur d'activité dans lequel il est d'usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée définie par arrêté ministériel n°1887 du 6 mars 2008. Il en est de même pour les entreprises bénéficiant du régime de dérogation prévu par l’agrément de l’Apix qui offre la possibilité de renouvellement d’un CDD autant de fois que nécessaire pendant une durée de cinq ans", explique-t-il.
Conditions de travail
En ce qui concerne les conditions de travail, l'inspecteur indique que le maintien de la santé physique et psychique des salariés en milieu de travail incombe à l’employeur.
À cet effet, dit-il, "l’employeur doit mettre en place une organisation du travail permettant une exécution des tâches dans des conditions confortables, de façon à éviter tout trouble lié à leurs exécutions. C’est ainsi qu’en matière de santé et sécurité au travail, il est fait obligation à l’employeur d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail".
Par conséquent, l’adoption d’une organisation du travail consistant à instaurer une position debout durant toute la journée de travail constitue une violation des prescriptions en matière de santé et sécurité au travail, fait savoir Amary Diop.
La durée légale de travail par jour
Selon l'inspecteur du travail, la durée légale du travail est fixée à 40 heures par semaine, conformément à l'article L135 du Code du travail, sauf dans les secteurs admis en équivalence définis à l’article du décret n°70-183 du 20 février 1970. "Cette durée est répartie dans les jours ouvrables de la semaine, selon l’organisation du travail que le pourvoir de direction confère à l’employer, dans le respect de l’amplitude journalier. C’est ainsi qu’une entreprise peut prendre l’option de répartir ces heures en cinq jours dans la semaine, en raison de 8 heures par jour", informe-t-il.
Il poursuit : "Les heures effectuées au-delà de la durée légale de travailleurs sont considérées comme des heures supplémentaires rémunérées à des taux majorés, conformément à l’article 49 de la Convention collective nationale professionnelle du 30 décembre 2019. Par ailleurs, dans une entreprise où la durée journalière atteint 10 heures, l’employeur est tenu de payer une prime de panier en sus des heures supplémentaires."
FATIMA ZAHRA DIALLO (STAGIAIRE)