Le temps des grandes manœuvres
Avec l’annonce d’une amnistie pour Khalifa Ababacar Sall, c’est une toute nouvelle ère qui va s’ouvrir pour la jeune et fragile coalition Yewwi Askan Wi. Si le projet se matérialise, les positions vont devoir se déterminer selon les affinités avec les deux principaux leaders Sonko et Khalifa.
Certains pensaient que pour 2024, le duel de l’opposition pourrait opposer Ousmane Sonko à Barthélemy Dias. Avec le recouvrement, par Khalifa Ababacar Sall, de ses droits civiques et politiques, les menaces qui planent sur la tête de l’actuel maire de Dakar (Barthélemy Dias) la donne est partie pour changer de manière drastique. Si l’on en croit le dissident de Yewwi Askan Wi, le président de la CDR/Fonk Sa Kaddu, Déthié Faye, il ne fait l’objet d’aucun doute que ‘’la réhabilitation de Khalifa va impacter lourdement sur l’avenir de Yewwi Askan Wi’’.
Dans ce compagnonnage, indique l’ancien membre de la Conférence des leaders de Yaw, il y a une sorte de jeu de dupes. ‘’D’abord, on a mis Khalifa comme président de la Conférence des leaders, parce que certains pensaient qu’il n’aurait pas la possibilité de candidater. Ils pensaient qu’en lui montrant une certaine considération et un certain égard, ils pourraient bénéficier de son soutien pour les échéances futures. Maintenant que le président semble aller dans le sens de la recommandation de la Mission d’évaluation du processus électoral et du dialogue politique en lui faisant recouvrer son droit de vote, cela va fausser complètement leurs calculs’’, analyse le leader démissionnaire de Yewwi Askan Wi.
Si la volonté du président de la République, exprimée lors du dernier Conseil des ministres, est matérialisée, Khalifa Sall va en tout cas participer, s’il le souhaite, à la prochaine Présidentielle. Et il est peu probable que l’ancien maire de Dakar se désiste pour aller soutenir un autre candidat, si l’on sait que cette échéance pourrait être sa dernière chance, lui qui aura 68 ans en 2024.
Déjà, dans une interview sur RFI et France 24, il affirmait avec force qu’il compte se présenter en 2024, nonobstant l’inéligibilité qui pesait sur sa tête. Déthié Faye persiste : ‘’Malgré ces déclarations et manifestations d’intérêt, chacun faisait ses calculs. Mais à partir du moment où il est clair que rien ne s’oppose à la candidature de Khalifa, il est certain que chacun va essayer de cultiver son jardin et se donner les chances d’être le président.’’
Certains leaders n’auront pas attendu ce moment pour aller prendre leur destin en main. Parmi eux, Cheikh Bamba Dièye, Moustapha Sy Djamil, Moustapha Guirassy, pour ne citer que ces derniers. Pour Déthié Faye qui a été l’un des tout premiers à claquer la porte, la liste est bien plus longue. ‘’Regardez tous les chefs de parti qui étaient là au lancement et ce qu’il en reste aujourd’hui. Même Malick Gakou, depuis quand vous ne le voyez pas dans les sorties de la Conférence des leaders ? En fait, tout le monde sait comment fonctionne cette coalition. Ceux qui ont des ambitions et qui veulent se positionner pour 2024 ont pris leurs responsabilités depuis très longtemps. Parce que personne ne veut être envoyé à l’échafaud’’, insiste notre interlocuteur, non sans préciser que la cassure est très profonde.
À Yewwi Askan Wi, les leaders qui restent sont ceux qui acceptent de se ranger sans condition derrière les responsables incontestés que sont Khalifa Ababacar Sall, Ousmane Sonko et, dans une moindre mesure, le Parti de l’unité et du rassemblement du guide religieux Serigne Moustapha Sy. Tous les autres ne sont que des variables, à qui on fait jouer des rôles selon les circonstances. D’ailleurs, lors des points de presse des leaders, la plupart du temps, ce sont les trois derniers à prendre la parole. Khalifa, bien que présenté comme le président de la Conférence des leaders, passe souvent avant Ousmane Sonko qui est le dernier à prendre la parole.
Avec ‘’l’amnistie’’, c’est le temps des manœuvres. En direction de la Présidentielle de 2024, chacun va devoir se déterminer selon sa proximité de l’un ou de l’autre leader. D’ailleurs, il faut rappeler que pour Ousmane Sonko, on n’a pas perdu du temps dans la course à la Présidentielle de 2024. À peine sorti des Législatives, alors même que certains n’avaient pas fini de cogiter sur les résultats, il a lancé en grande pompe sa candidature. Depuis, il ne cesse de clamer : ‘’Personne ne peut m’empêcher d’être candidat.’’
L’équation Barthélemy Dias
Certains pourraient trouver impertinente ou inopportune une telle question, pensant que logiquement, le maire de Dakar devrait se ranger derrière son leader Khalifa Ababacar Sall. Mais les confidences de certains proches de Yewwi laissent croire que le choix est loin d’être évident.
En effet, depuis l’emprisonnement de Khalifa Ababacar Sall, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Alors que le patron de Taxawu Senegal semble avoir perdu de son poids électoral, Ousmane Sonko et Barth n’ont eu de cesse de voir leur cote de popularité grimper. À tel enseigne que certains sont tentés de se demander qui de Khalifa ou de Barth a le contrôle de Dakar ?
Au-delà de la perte de légitimité de Khalifa, entre les deux, il y a eu le malaise des élections locales, quand le patron hésitait à se déterminer dans son choix pour le candidat, entre son poulain et Soham El Wardini. À l’époque, soufflait-on, Ousmane Sonko, en fin politicien, s’est très tôt positionné en faveur de celui qui va devenir le maire de Dakar. Beaucoup, parmi ses proches, pensaient alors que le choix de Barth pour la prochaine Présidentielle leur était déjà acquis. Et l’épisode du dépôt de la liste départementale de Dakar aux Législatives aurait pu en être un accélérateur.
Dans une allusion à peine voilée, Barth avait cité nommément un proche de Khalifa, en l’occurrence Saliou Sarr, comme complice d’un complot visant à l’empêcher d’être député de Dakar, en plus d’être le maire de la capitale. Pendant ce temps, ses proches ne mettaient pas de gants pour accuser directement Khalifa Ababacar Sall comme l’instigateur. Ironie de l’histoire, c’est Ousmane Sonko qui s’était vu obligé de laver à grande eau Khalifa (alors hors course), non sans rejeter toute la faute sur l’actuel maire de Dakar (présenté comme possible alternative de Taxawu Senegal).
Passé ce malaise qui a failli imploser la coalition Yaw, Khalifa et Sonko semblent de plus en plus se convaincre de la force de Barthélemy Dias qui n’est plus ce nain politique condamné à s’adosser à un quelconque appareil. Comme s’ils s’étaient passé le mot, lors de la dernière Conférence des leaders, aussi bien Khalifa que Sonko ont senti le besoin de faire une ‘’motion de soutien’’ pour la coqueluche de Dakar, dans son différend avec le Groupe futurs médias. Le premier s’est même vu obligé de rappeler ses 20 ans de compagnonnage avec son successeur à la ville de Dakar.
Si c’était un jeu auquel dépend le futur engagement de Barth, inutile de dire que le maire de Ziguinchor a remporté la manche.
MOR AMAR