Publié le 29 Nov 2012 - 22:05
ABDOULAYE GAYE, SECRÉTAIRE EXÉCUTIF DE L’OQSF

''Il y a des complaintes quotidiennes''

 

Fort d’une expérience de 30 ans à la BCEAO, dont il a été Directeur national, Abdoulaye Gaye, Secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF), apporte son éclairage sur la question des taux bancaires, les différents frais de commissions et les litiges entre usagers et banquiers.

 

 

Pouvez-vous nous présenter votre institution ?

 

L’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF) est une institution à caractère consultatif, créée en 2009 et mise en service véritablement en 2010, à l’effet principalement de suivre la qualité des services rendus à la clientèle par les Services financiers : établissements de crédit, systèmes financiers décentralisés (SFD), sociétés d’assurance et Poste. Il est placé sous l’autorité du ministre de l’Économie et des Finances.

 

L'Observatoire a un caractère consultatif donc ?

 

L’OQSF n’est pas un organe de régulation ou de supervision des Services financiers précités. C’est, encore une fois, un organe consultatif dont les recommandations aux autorités monétaires et aux opérateurs financiers contribuent au renforcement de la transparence des opérations, de la concurrence et de l’émulation dans la recherche d’une meilleure qualité des prestations dans le secteur financier. Ces recommandations, tirées des conclusions d’études et enquêtes, singulièrement sur les meilleures pratiques et les anomalies récurrentes, sont validées au sein du Conseil d’orientation de l’Observatoire où siègent des représentants de tous les acteurs de la sphère financière : autorités monétaires et de contrôle, associations professionnelles des banques, des SFD et des sociétés d’assurances, associations de consommateurs, chercheurs universitaires, etc. L’Observatoire est également chargé d’informer et de renseigner le public sur les services financiers et par conséquent de favoriser la bancarisation et de vulgariser l’information financière.

L’Observatoire compte par ailleurs en son sein deux médiateurs indépendants, l’un chargé des assurances et l’autre chargé des banques, des établissements financiers, des SFD et de La Poste. Les médiateurs assurent gratuitement le règlement à l’amiable des litiges individuels opposant les établissements de crédit, les systèmes financiers décentralisés, les sociétés d’assurances ainsi que les services financiers de La Poste à leurs clients ou usagers, personnes physiques ou petites entreprises.

 

Quelle quantité de dossiers recevez-vous ?

 

Les médiateurs reçoivent des dossiers de tous ordres. A cet égard, il convient de distinguer la prise en charge des anomalies récurrentes signalées par les usagers ou ressortant d’enquêtes et les saisines formelles des médiateurs pour le traitement de litiges individuels avec les services financiers. Pour ce dernier cas de figure, après la phase de mise en place des outils, l’information du public ciblé et la sensibilisation des opérateurs, le processus de médiation a démarré plutôt timidement en 2010 avec une centaine de dossiers individuels traités. En 2011, les saisines se sont intensifiées et ainsi, 252 dossiers complétés ont été traités et ce chiffre ne serait pas loin de doubler en 2012. Ces données n’incluent pas, bien entendu, les difficultés et complaintes dont l’Observatoire est saisi quotidiennement sans qu’elles ne se traduisent in fine par des saisines du médiateur. En effet, nombre de clients ou usagers sollicitent fréquemment nos services pour des conseils ou éclairages. Il arrive également qu’un opérateur contacté sur un dossier de litige s’empresse de proposer directement un arrangement au client concerné.

 

Une médiation qui prospère, cela ressemble à quoi par exemple ?

 

Dans le cas où l’instruction d’un dossier de médiation arrive à son terme, le médiateur, sur la base des éléments probants recueillis, rend un avis fondé sur le droit mais également sur l’équité. Il faut rappeler à cet égard que l’accord proposé s’applique de façon amiable, le médiateur n’ayant pas de pouvoir coercitif, à l’instar d’un juge, par exemple, ou d’un régulateur. L’avis du médiateur ne lie pas les deux parties, toute partie qui n’est pas satisfaite pouvant par conséquent ester en justice. Il faut quand même reconnaître que l’avis du médiateur est très généralement suivi en raison de sa crédibilité aux yeux des parties en conflit et il présente l’avantage de préserver la continuité de leur relation commerciale.

 

Les taux des banques, jugés trop élevés, suscitent beaucoup de commentaires. Qu’en est-il réellement ?

 

Il s’agit là d’une préoccupation sur laquelle je voudrais ne pas m’étendre, car elle a déjà retenu l’attention des plus hautes autorités. Le chef de l’État lui-même s’est prononcé récemment sur l’impératif de trouver les moyens d’infléchir les taux d’intérêt afin d’assurer notamment un meilleur financement de la croissance et de l’économie. De même, toutes les enquêtes de perception ainsi que les récriminations des clients des banques et des SFD insistent régulièrement sur la cherté des taux d’intérêt. Il faut juste rappeler qu’à l’exception des dispositions de protection de la petite épargne, les conditions des banques (les taux et commissions) sont libres au sein de l’UEMOA. Chaque établissement établit ainsi son barème de taux et tarifs librement, sous réserve de respecter le seuil de l’usure (plafond des taux) fixé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Le taux limite est de 18% pour les banques primaires et de 27% pour les systèmes financiers décentralisés. Évidemment, la réflexion se poursuit notamment auprès des autorités monétaires, BCEAO et ministère de l’Économie et des Finances. Et notre rôle à nous, en tant qu’instance consultative, est de mettre à leur disposition les éléments de contribution tirés des études et enquêtes disponibles sur la question.

 

Pourquoi cette différenciation dans le plafond constitutif du seuil de l’usure entre les banques primaires et les SFD ?

 

C'est parce qu’il y a précisément une différence de nature et en général de taille ou de possibilités entre les banques créatrices de monnaie et les autres institutions financières. Une banque collecte de l’épargne et la recycle sous forme de crédit. L’épargne constitue sa source principale de ressources mais elle a la possibilité, en cas de difficultés de trésorerie, de faire refinancer ses emplois (s’approvisionner) sur les marchés interbancaires et monétaires (marché des appels d’offres) ainsi qu’auprès du guichet (permanent) de prêt marginal de la Banque centrale, sous forme d’emprunts aux taux interbancaires ou aux taux directeurs de la Banque centrale - en principe les plus bas possibles sur le marché. Les systèmes financiers décentralisés, pour leur part, n’ont pas de compte à la Banque centrale. Ils constituent certes des leviers importants pour augmenter la bancarisation et l’inclusion financière et réduire le sous-financement de l’économie, en transformant l’épargne collectée auprès de membres sociétaires généralement à revenus plus modestes et à caractère plus vulnérable que les clients des banques.

 

Un SFD en difficulté, que se passe-t-il ?

 

Il n’a d’autre possibilité que d’emprunter auprès des banques commerciales, aux taux du marché sensiblement plus élevés. Les SFD sont en effet des clients des banques. Pour hasarder une image, un SFD moyen représente par rapport à sa banque ce que le détaillant représente pour le grossiste dans le commerce. Les SFD prêtent à très court terme en général et parfois, même si le taux est cher payé, le sociétaire qui n’est pas suffisamment informé du taux d’intérêt effectif global sur l’année, peut ne pas s’en rendre compte ou s’en préoccuper ; d’où l’intérêt de cette protection légale par la fixation d’un taux d’usure susceptible de ne pas constituer pour autant une entrave à la viabilité des SFD, surtout celles de petite taille.

 

Comment envisager une baisse des taux ?

 

Je vous rappelle que les autorités monétaires travaillent sur cette matière qui appelle sans doute, dans l’environnement actuel de liberté des conditions de banque, des concertations entre ces autorités, les banques et les SFD, à l’effet de s’entendre sur les leviers sur lesquels asseoir une politique de détente des taux débiteurs, au moins à la mesure du niveau actuel des taux directeurs de la BCEAO. Les actions à entreprendre, qui demandent une synergie d’efforts, devront cependant être mises en œuvre sans préjudice des mesures de renforcement de la concurrence entre opérateurs financiers. En ce qui concerne l’Observatoire, elle contribue à ce deuxième aspect en favorisant la transparence des taux et de la tarification des services et des opérations des différentes banques, afin de permettre au client de faire les arbitrages adéquats sur le type de service adapté à son besoin spécifique et l’établissement lui en proposant le meilleur tarif. Je ne veux pas rentrer dans les détails, les conclusions des travaux disponibles à cet égard devant alimenter des recommandations à porter de prime abord à l’attention des autorités publiques et monétaires.

 

Les usagers des banques déplorent beaucoup de frais liés à leur compte dont les prélèvements semblent les surprendre, car n’étant pas probablement connus par eux au moment de contracter. Comment régler ce problème ?

 

Avant tout engagement, le client demandeur doit s’intéresser de très près aux dispositions de la convention qu’il est appelé à signer, parce qu’en général, toutes les clauses y sont prévues ou en tout cas devraient l’être pour une bonne qualité de service. Mais, compte tenu du faible niveau d’instruction de certains clients, la bonne qualité de service appelle tout autant la mise en œuvre de modules d’éducation financière qui puissent informer les clients et usagers exposés sur les précautions élémentaires à prendre avant de signer leurs conventions de compte ou de crédit. L’Observatoire, de concert avec les structures d’encadrement des PME, travaille sur ce registre, et ainsi un vaste programme d’éducation financière a été élaboré pour les PME. Il faudra, cependant, que les chargés de clientèle des banques et SFD tiennent compte davantage de la nature particulière de certains clients (niveau d’alphabétisation), en leur délivrant spontanément, à temps et de façon compréhensible par eux, la bonne information, en particulier sur le taux effectif global, les frais de dossier y inclus et toutes les commissions s’ajoutant au taux nominal d’un prêt. Il faudrait également qu’ils insistent au départ sur les points qui font habituellement l’objet de contestations ou de litiges, notamment les différents cas ou formes de pénalité éventuellement applicables, le cas échéant, notamment en cas de remboursement anticipé ou de rachat de crédit ; ces éléments participant de l’arbitrage des taux, nécessaire à la mobilité et l’optimisation des effets de la concurrence au profit des clients. Il faut, enfin, qu’ils informent les clients sur les voies de recours interne qui leur sont proposées ainsi que sur le dispositif de recours externe que constitue la médiation.

 

Il y a une forme de publicité, surtout pour les prêts à la consommation, à l’approche des fêtes où le taux indiqué sur l’affiche est plus bas que le taux réel appliqué aux clients. Qu’en pensez-vous ?

 

Je pense que votre question gagnerait à être mieux libellée car je suppose que vous ne voulez pas insinuer qu’il y a quelque part une publicité commerciale mensongère. Je vous concède cependant qu’en tout état de cause, des efforts vers plus de clarté et de transparence sont recommandés dans ce domaine, pour tous les produits innovants et packages. Ce qui est conseillé aux banques et SFD, c’est, en plus du taux nominal affiché, de communiquer sur le taux effectif global, en renseignant sur toutes les commissions additionnelles éventuelles. Ils ne doivent pas occulter par ailleurs les pénalités susceptibles d’être appliquées, le cas échéant, aux clients qui soldent leurs précédents engagements afin de profiter de nouveaux produits commercialisés par leur banque, apparemment plus intéressants. Il appartient tout autant au client de bien s’informer de tous les cas de figure potentielle auprès de son gestionnaire de compte, pour disposer de toutes les informations susceptibles de lui éviter une mauvaise surprise éventuelle.

 

Il y a des pratiques qui n’existent plus en Europe, telles que les frais de chèque, les dates de valeurs, les frais de consultation de solde, la pénalité sur les remboursements anticipés, etc. que certaines filiales perpétuent dans les pays en développement. Qu’en dites-vous ?

 

Vous savez, nous appelons, dans le contexte qui est le nôtre, la réduction progressive des tarifs des services financiers de base, voire la gratuité de certaines prestations, afin de favoriser la bancarisation et l’inclusion. Dans les pays développés, le taux de bancarisation qui atteint 100% ou plus permet aux banques de développer leur produit net avec des marges unitaires beaucoup plus faibles et le niveau de concurrence impose quasiment une gratuité de certains services pour attirer ou fidéliser la clientèle. Dans les pays comme le nôtre où le taux de bancarisation est inférieur à 10 %, le problème se pose évidemment autrement. Toutefois, c’est bien vers les standards que nous devons tendre, progressivement mais résolument.

 

Mais en attendant, qu'y a-t-il à faire ?

 

En ce qui concerne en particulier les dates de valeurs, vous savez qu’elles sont normées et que la modernisation des moyens et systèmes de paiement impulsée par la BCEAO permet de réduire encore plus sensiblement les délais d’imputations des valeurs dans les comptes des clients. Elle milite en outre en faveur d’une réduction des coûts à facturer aux clients.

 

Et pour les pénalités ?

 

Pour les pénalités applicables en cas de remboursement anticipé de crédit, elles s’expliquent du point de vue des banques et SFD par le fait que le prêteur établit ses estimations de gains en fonction du volume et de la durée de paiement des crédits distribués. Ainsi, lorsqu’un client solde son encours par anticipation, le prêteur appréhende une perte, ne serait-ce qu’en termes de coût d’opportunité ; d’où la pénalité qu’elle impose au client concerné. Il y a lieu cependant de moraliser les pratiques en la matière, en appliquant, à défaut de la gratuité que nous encourageons, des pénalités au moins très raisonnables, car il ne faut pas en définitive sanctionner un bon payeur quel que soit le cas de figure, d’autant qu’il arrive que celui-ci ne quitte pas sa banque et même qu’il y souscrive à un autre produit ou package. Du reste, au-delà de ces aspects, il faut que les banques et SFD évitent de mettre des entraves de quelque nature qu’elles soient, à la mobilité des clients qui constitue une exigence d’une saine concurrence, réputée porteuse d’une meilleure qualité de service au profit des usagers et de l’économie.

 

 

PAR PIERRE BIRAME DIOH

 

 

 

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