BBY se fissure
La sortie ciblée contre l’avenant maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, par l’ancien ministre de l’Intérieur, Mbaye Ndiaye, a ouvert un 3e front dans la guerre que se livrent les partis domi-nants de l’alliance de gouvernement. L’implication de l’ancien ministre de l’Intérieur, un des cadres politiques de pointe de l’Alliance pour la République (APR), amène à se demander si la capacité de conception du parti présidentiel est réelle. L’ultimatum, fondé sur une reconnaissance du potentiel électoral individuel du maire socialiste, est un aveu de faiblesse. Mais aussi un manque de sens tactique qui anticipe sur l’affai- blissement du maire programmé par les caciques de son propre parti qui ne devraient se satisfaire de son éventuel renoncement à la lutte interne pour le leadership. Le calcul du directeur des structures de l’APR ne réalise pas que contrairement au sien, le Parti socialiste est un appareil entre les mains de son Premier secrétaire Ousmane Tanor Dieng, ce qui relativise le poids individuel de ses militants.
Au surplus, pour avoir hurlé avec les jeunes loups, Mbaye Ndiaye n’a pas pesé le risque d’un discrédit de plus que lui causerait un désaveu public en paroles ou dans les faits de son option de rupture de l’alliance électorale venant de son leader Macky Sall. Et c’est ce qui est arrivé après l’audience accordée à Ousmane Tanor Dieng par le président de la République au sortir de laquelle le leader socialiste a réaffirmé son ancrage dans la mouvance présidentielle. Habile politique qui perd rarement son sang-froid, Ousmane Tanor Dieng a su rappeler combien le soutien du Parti socialiste était nécessaire au pouvoir sur le plan international. Servi par le calendrier, dans le contexte délicat de la crise malienne, le président Macky Sall s’est rappelé que dans son alliance stratégique avec la France, il ne pouvait se passer de l’entregent du leader socialiste ni de son soutien devant l’opinion intérieure au cas où l’implication militaire sénégalaise s’enliserait dans le désert du Mali.
Les relations historiques entre la France et le Sénégal ont rarement souffert de l’affiliation des gouvernements qui présidaient leurs destinées respectives, mais le poids du soutien appuyé du président sénégalais nouvellement élu pèse sur elles aujourd’hui. Les socialistes qui ont accédé au pouvoir ont distingué qui était leur véritable ami, de surcroît leur allié dans l’Internationale socialiste. Pour cela, la position des socialistes reste confortable malgré la préférence marquée de Macky Sall pour la formation du président de l'Assemblée nationale . La défiance marquée envers le Premier ministre par le ministre du Commerce et n°2 de cette formation a d'ailleurs passablement émoussé sa position de pièce maîtresse de l’alliance gouvernementale pour n’avoir pas été désavouée par son mentor Moustapha Niasse. Malick Gakou par son coup d’audace quand l’APR montait à l’assaut de Rewmi d’Idrissa Seck, a mieux armé son parti contre les éventuels caprices de son imprévisible coalisé. Car la seule démarcation de la mouvance présidentielle en réponse aux provocations est celle d’Idrissa Seck avec en prime la volonté de renégocier un nouveau rapport de forces après les élections municipales. Les autres alliés importants supputent les conséquences d’une éventuelle sortie de la coalition gouvernementale sur la cohésion de leurs formations, sur le moral de leurs cadres et sur la constance de leurs bases.
La pression que les différents régimes ont exercée sur les pouvoirs locaux de l’opposition semble avoir instruit celle-ci qu’aucun maire ou président de communauté rurale ou même président de conseil régional ne peut engranger des réalisations significatives sans quelque concession au pouvoir exécutif. Et celle-ci ne peut prospérer dans l’ambiance de détestation qui imprègne d’ordinaire les rapports entre le pouvoir et l’opposition. Cette logique milite pour la volonté de se maintenir coûte que coûte dans la coalition du pouvoir pour se faire élire, les moyens d’État étant déployés pour la campagne, par ailleurs.
Au demeurant, toute cette agitation dévoile les multiples ambitions individuelles qui cohabitent mal dans les formations victorieuses lors des dernières élections parlementaires. Il est maintenant établi que les forces politiques en présence rechignent à maintenir cette alliance pour les prochaines élections municipales. La stratégie du parti présidentiel n’est pas pour le moment lisible,faute de cohérence, mais sa volonté de revenir sur les généreuses concessions faites aux alliés du second tour est réelle. Il faudrait pour y parvenir qu’il puisse conjuguer la volonté d’asseoir son hégémonie par le haut avec une habile politique d’élargissement de sa base sans que les éventuels migrants ne soient perçus ni comme des corrompus ni comme des vaincus à merci. La mise en jeu des promesses de postes politiques et administratifs est sous ce rapport à double tranchant si ceux qui les occupent présentement estiment devoir défendre leurs acquis.
Le projet de modification de la loi électorale aux fins de faire d’emblée élire le maire au suffrage universel participe à cette volonté de défendre ces acquis personnels. Car qui est susceptible d’être maire sinon le maire sortant, le mieux connu d’un conseil municipal souvent tenu dans l’ombre et dont les délibérations ne sont jamais portées à la connaissance du grand public ? Non content de fausser le travail d’équipe à tous les niveaux de pouvoir, la classe politique veut poser le premier acte juridique qui fera diriger les collectivités locales par un seul homme. L’adoption de la loi est imparable puisqu’elle réunit dans son assentiment la solidarité de caste des hiérarques qui composent la nouvelle classe politique. Un amendement conséquent devrait alors porter sur le cumul des mandats pour qu’un maire, imbu de sa gloire d’avoir été élu au suffrage universel, ne ferme la mairie de sa localité le temps de son voyage de noces avec la cinquième épouse étrennée avec ses émoluments qui auront certainement augmenté de façon astronomique.