Publié le 26 Aug 2013 - 12:40
AFFAIRE DANGOTE- LES DESSOUS DES NÉGOCIATIONS

Nébuleuse autour de 6 milliards Cfa

 

Le litige opposant les héritiers de Serigne Saliou Mbacké à Dangote Senegal SA est loin d’être terminé. Le dernier épisode de ce feuilleton a eu lieu le 21 août dernier, avec le renvoi de l’affaire par la Cour suprême devant la Cour d’Appel de Dakar. Au-delà de la procédure judiciaire, les deux parties sont passées tout près d’un accord, qui aurait permis de mettre un terme à cette affaire.

 

Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Les héritiers de feu Serigne Saliou et Aliko Dangote l’ont compris. Les négociations ont commencé avec une lettre d’excuses que les héritiers ont exigée de Dangote Senegal SA, avant toute discussion. Le 17 février 2013, deux mandataires du Nigérian Aliko Dangote rédigent une lettre d’excuses en son nom, pour regretter le malentendu qui a conduit à ce litige, ainsi que les préjudices subies par la famille de feu Serigne Saliou Mbacké. Le même jour, les deux mandataires, en l’occurrence Ahmed Shehu Yakasai et Mahmoud Kazaure, se rendent chez Serigne Moustapha Saliou pour une visite de courtoisie de 48 heures. Ils étaient accompagnés du sieur Oumar Top, qui conduit les négociations en vue d’un accord entre les deux parties. Après leur séjour, les mandataires rédigent une seconde lettre pour remercier le chef religieux des honneurs et réjouissances qui leur ont été réservés, tout en réitérant les excuses de Dangote et sa disponibilité quant à l’ouverture de négociations.

 

Protocole d'accord

C’est dans cette dynamique et après de nombreux échanges et discussions, qu’un projet de protocole d’accord a été préparé, accompagné d’un procès-verbal de conciliation que les avocats des deux parties devaient signer. Le projet de protocole d’accord dispose, entre autres que : « Dangote Senegal SA renonce au pourvoi en cassation contre l’arrêt n° 276, rendu le 17 juillet 2012 par la Cour d’Appel de Dakar et à toutes les procédures ayant un rapport direct ou indirect avec cette affaire ; les héritiers renoncent entièrement et intégralement à leurs droits sur l’intégralité du périmètre occupé par Dangote et lui transfèrent entièrement ledit périmètre ainsi que les droits qui y sont attachés ; les héritiers renoncent au bénéfice de la mesure d’expulsion prononcée par l’arrêt n°276 rendu le 17 juillet 2012 par la Cour d’Appel ; les deux parties acceptent que la signature du protocole d’accord constitue un règlement définitif du litige et enfin Dangote s’engage à prendre en charge le préjudice subi par les héritiers de Serigne Saliou Mbacké, fixé d’accord parties à la somme de six milliards six-cent-soixante millions, ce montant inclut l’intégralité du préjudice, ainsi que les frais et débours de toute nature auxquels les héritiers ont pu s’exposer dans le cadre de la présente affaire. C’est l’exécution de ce dernier point qui va poser problème».

 

«Retard inadmissible»

En effet, dans une lettre datée du 4 mars 2013,  Serigne Moustapha Saliou Mbacké interpelle Oumar Top agissant ès-nom et ès-qualité pour le compte de DANGOTE en ces termes : «Suite à votre intermédiation, Dangote a manifesté sa ferme volonté de parvenir à un règlement à l’amiable de cette affaire. Les points essentiels de ce règlement ont d’ores et déjà été arrêtés ainsi que vous le savez. Dès lors, le retard noté dans la concrétisation des engagements s’avère inadmissible. Ces tergiversations relevées ne sauraient perdurer. A défaut de ce faire, les instructions seront données pour la reprise des actions de la main la plus ferme.»

Le 7 mars 2013, le collectif des avocats des héritiers de Serigne Saliou Mbacké adresse à son tour une correspondance  à la SCP Geni & Kébé, les conseils de Dangote Senegal Sa pour préciser que la lettre du 4 mars adressée au sieur Top «a été transmise à titre d’information et que le paiement en espèces constitue l’une des conditions posées par notre mandant».

En réponse, la SCP Geni & Kébé envoie une correspondance au collectif des avocats des héritiers pour attirer leur attention sur «le problème que pose le versement des 6 milliards 660 millions en espèces» et propose qu’«un compte soit ouvert soit au nom de Serigne Moustapha Saliou soit que la somme soit déposée sur le compte carpa des avocats». La SCP rappelle en outre «avoir bien compris que Moustapha souhaite que le versement se fasse en espèces et à son domicile» et évoque une concertation en interne «quant à la légalité et la régularité d’un tel procédé».

 

«Versement en espèces de 6,600 milliards»

Le 11 mars, Serigne Moustapha Saliou s’impatiente et réécrit à Oumar Top pour lui signaler que ses «mandataires ne manifestent pas une volonté claire de souscrire à leurs engagements, en particulier au retrait du pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt du 17 juillet 2012» avant de lui demander «de faire venir M. Aliko Dangoté en personne pour la finalisation et la concrétisation du règlement à l’amiable».

Après cette correspondance, Serigne Moustapha Saliou ouvre un compte bancaire dans les livres de la Société Générale à Touba. Le chef religieux envoie alors à l’agence qui tient son compte de s’opposer à tout virement sur son compte sans son accord préalable.

Le 15 mars 2013, la SCP Geni & Kébé écrit à la SGBS Roume pour annoncer un virement imminent de 6 660 000 000 F Cfa provenant de Dangote Senegal SA. Le cabinet d’avocat précise dans la lettre que «cette somme est destinée aux héritiers de feu Serigne Saliou Mbacké dans le cadre d’un litige qui les a opposés à la société Dangote SENEGAL SA, litige pour lequel les parties ont convenu de mettre un terme par un protocole d’accord qui sera signé entre les parties très prochainement. Ce montant qui constitue la somme transactionnelle à verser par DANGOTE SA aux héritiers sera mis à la disposition de Monsieur Moustapha Saliou MBACKE, leur représentant. Ce montant ne sera versé qu’à la double  condition ci-après : 1- à la signature du protocole d’accord par les deux parties ; 2- à la transmission d’une lettre par les deux parties confirmant que le protocole a été signé et vous autorisant à verser sur le compte de Monsieur Moustapha Saliou ledit montant». Les avocats demandent par ailleurs à la banque «d’émettre un avis de crédit confirmant le virement et qu’il sera remis à qui de droit si les conditions sont remplies».

Le 27 mars, la SGBS atteste avoir crédité le compte Carpa de la SCP Geni & Kébé  de la somme de 6 669 696 392 F Cfa, moins les commissions d’un montant de 13 349 923 F Cfa. Le même jour, Serigne Moustapha Saliou demande à l’agence SGBS de Touba de lever l’opposition sur les virements au crédit de son compte. Le lendemain, la SGBS notifie au fils de Serigne Saliou le virement de l’argent sur le compte carpa de la SCP Geni & Kébé.

Les 6 660 000 000 de francs Cfa ne sont pas arrivés sur le compte de Serigne Moustapha Saliou et pour plusieurs raisons qui ont finalement conduit les négociations dans l’impasse. D’abord Dangote Senegal SA voulait faire valider le protocole d’accord par ses conseils, avant de procéder à sa signature avec l’autre partie. C’est pourquoi, le 5 avril 2013, le collectif des avocats des héritiers écrit à la SCP Geni & Kébé pour protester contre les lenteurs de la signature de l’accord, dont les corrections et les modifications pouvaient être apportées au lieu et au jour de la signature, une proposition refusée par les conseils de Dangote.

Ensuite, la somme envoyée par Dangote était de 6 669 696 392 F Cfa mois, les frais bancaires s’élevant à 13 349 923 F Cfa. Il reste donc 6 656 346 469 F Cfa, donc un peu moins des 6 milliards 660 millions prévus. Les mandataires de Dangote Senegal SA ont promis de rembourser la différence (3 653 531 F Cfa) en espèces lors de la signature du protocole, mais les héritiers n’ont pas accepté cette proposition. Enfin, Dangote Senegal SA a demandé à Serigne Moustapha Saliou de présenter une procuration attestant qu’il est le représentant des héritiers de Serigne Saliou. Ce qu’il a refusé dans un premier temps, avant d’accepter finalement. C’était trop tard puisque l’argent était déjà reparti dans les comptes de Dangote. Même si les contacts sont maintenus, les deux parties n’avaient d’autres solutions que d’attendre la délibération de la Cour suprême.

Au demeurant, ce litige est révélateur de la pagaille administrative qui règne dans le foncier au Sénégal. Les terres attribuées à Dangote et feu Serigne Saliou ne sont pas les mêmes. Aucune des deux parties ne disposent de titre de propriété, de bail, etc. Elles brandissent des décrets qui, au regard du droit foncier, n’ont aucune valeur et ne constituent en rien des titres de propriété.

 

 

 

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