Le Pouvoir à vau-l'eau
Le président de la République a encore une fois écourté son voyage à l’extérieur pour venir résoudre l’équation de l’eau qui se pose en termes tantôt d’une abondance déferlante dans les demeures tantôt d’une pénurie de 15 jours ou plus. Ce scénario du retour précipité est à double tranchant : D'une part, l’approvisionnement de la capitale relevant depuis l’indépendance d’un banal service public est devenu une affaire d’État au bout d’un processus de réformes du secteur portant l’empreinte de trois régimes successifs. D’autre part, pour n’avoir pas pu avant son départ apprécié l’ampleur de l’avanie, le chef de l’État aurait pu se reposer sur son Premier ministre tout neuf dont l’épreuve du feu serait donc difficile à éteindre. Mais le Premier ministre aura toute latitude de prendre les sanctions qui s’imposeraient, n’ayant jamais exercé de responsabilité d’État qui la rendrait responsable, ne serait-ce que par association, de la politique énergétique qui a abouti à pareille déconvenue.
Le tout aussi nouveau ministre de l’Hydraulique et de l'Assainissement, Pape Diouf, est réduit à se poser des questions embarrassantes sur la fréquence des défaillances d’une conduite installée en 2004 au coût de 11 milliards pour une durée de 30 ans et qui a subi plusieurs pannes à partir de 2009. C’est connu que les cabinets ministériels ne sont pas composés prioritairement des techniciens du ressort. Pour cela, faute d’un rapport circonstancié de son ministre de tutelle, le chef de l’État a sorti la batterie coutumière des arguments de bonne gouvernance : ''Un audit des usines mais aussi des conduites'', la promesse de chiffres à milliards pour ''le renforcement de l’accordement'' et en attendant, ''un certain nombre de mesures à court et à long terme''. Bon bougre, le ministre a invoqué la fatalité d’une pièce de la conduite usée avant terme et plaidé la tolérance là où les Sénégalais attendaient une explication technique maîtrisée et des délais de réparation fiables.
La question reste pendante de savoir quelle maîtrise nous avons de nos sources d’énergie électrique comme hydraulique, les deux allant de paire d’ailleurs dans la priorité des pays qui ont voulu assumer une souveraineté énergétique pleine et entière. Sous le rapport de cette dépendance non payante à des sociétés françaises pour notre ravitaillement essentiel en eau, il est facile de comprendre les enjeux pour Kwame Nkrumah de construire le barrage d’Akossombo sur le lac Volta qui facilite par ailleurs l’exploitation de l’aluminium. Et pour Nasser de nationaliser le Canal de Suez pour le prix d’une guerre. Après plusieurs décennies d’indépendance, nous n’en demandons pas tant sinon la réalisation effective des projets de coopération entre la Mauritanie et le Sénégal en matière de livraison de gaz. Et les autres projets d’exploitation des ressources énergétiques que recèle le fleuve Sénégal pour les pays riverains que des querelles fumeuses dissocient depuis l’indépendance à chaque mise sur pied d’un projet souverain.
En attendant, les comptes devront être quand même soldés selon la promesse du Premier ministre qui ne devrait souffrir nul désaveu ni se contenter d’épingler des directeurs qui n’auront eu aucune responsabilité dans les choix d’orientation politique qui devraient être remises en cause. Le fond du problème reste que le Sénégal sous hégémonie libérale est devenu un pays poreux où les vieilles accointances entre les hommes politiques et les intérêts étrangers se sont amplifiées et déréglées plus que de raison. Celles-ci remontent au Premier ministre d’Abdou Diouf, son ami Habib Thiam, selon les révélations de confrères et se sont poursuivies en empirant jusqu’aux derniers jours du Premier ministre de Macky Sall, Abdou Mbaye. Si les actes qui ont tiré à mauvaises conséquences ne sont pas désintéressés, la traque des biens mal acquis devrait suivre d’autres pistes de prévarication et l’emprise du capital étranger sur nos hommes d’État serait alors remise en question.
Les masques tombent. Au moment où les plus tenaces opposants aux méthodes libérales de l’ancien régime sont enrôlés par le régime de Macky Sall, les libéraux de la seconde alternance posent des actes plus répréhensibles au regard de la morale, plus rétrogrades sur le plan du nationalisme et moins performants sur le registre de la gestion de l’État. Faute de ne s’en démarquer que sur un mode mineur d'embusqués, les factions politiques alliées dans le gouvernement montrent que leur principal lien découle de leur acceptation commune du pacte de subordination qui les lie principalement à la France et accessoirement aux puissances occidentales depuis l’indépendance. Dans un contexte d’incertitude grandissante quant à la survie de l’alliance en 2017, les diverses coteries préparent cette échéance dès maintenant. Et le soutien de la France ne saurait être plus acquis pour l’actuel Président plutôt américanophile que pour Ousmane Tanor Dieng, ponte de l'internationale socialiste.
Ces jours sans eau, interminables, révèlent la sublime fragilité du pays le plus adulé de l'Afrique de l'Ouest et pose en filigrane les carences libérales transmises à Macky Sall : pas de paix sociale, tous les secteurs de travail sont en goguette, les parlementaires en séminaires perpétuels, sans doute pour apprendre à voter les lois sans s'insulter comme des charretiers et les ministres s'embrouillent dans leur explication de texte pour presse complaisante. Un proverbe pulaar dit que l'homme s'habitue à tout, même au malheur. Seulement le peuple semble ne pas devoir s'habituer à ne pas se laver le matin pour aller au boulot, à n'avoir pas de quoi bouillir le petit déjeuner et les repas annexes, à ne pas laver son linge alors que par ailleurs, dans certains quartiers, les habitants pataugent dans l'eau des récentes pluies. L’État de grâce serait donc fini ?