L'affaire Sidy Lamine
L’interpellation du Président-Directeur général du groupe Walfadjri au seuil d’une nouvelle année que le peuple sénégalais souhaite moins éprouvante que celle qui se termine, est une épreuve de plus pour la classe dirigeante sénégalaise.
Notre confrère Sidy Lamine Niasse aurait-il outrepassé les bornes de la liberté d’expression que la question qui devrait être posée est de savoir si son propos, en dépit des illustrations éventuellement pittoresques qui l’émaillent, sont cohérents, vrais et participent donc à la clarification du débat politique, économique et social nécessaire à l’orientation de la nation.
Les cris d’orfraie qui l’ont accueilli sont tout aussi indicatifs du parti-pris des uns et des autres et il nous semble qu’en la circonstance, ce sont ceux qui ont fait une injonction publique aux autorités étatiques de l’arrêter qui ont dépassé les limites de leur compétence et qui ont manqué de respect aux autorités constitutionnelles et institutionnelles habilités à en juger.
Car en la circonstance, il est avéré que ce n’est pas le président Macky Sall mais le pouvoir judiciaire, selon le principe tiré de la Rome antique et déjà républicaine que : ''De minimis non curat praetor'', (le préteur ne s’occupe pas des petites affaires). Pour dire que le gouverneur de province, fût-il un magistrat, ne s’occupait pas de broutilles. Ainsi avait pensé Ponce Pilate en 36 d’une affaire qui sera la plus grande des affaires dans les siècles des siècles à venir.
Si Pilate s’en était tenu à son opinion première, il n’aurait pas eu à ''se laver les mains du sang de ce juste''. Rendu à sa dimension humaine au sens musulman du terme, je crois pouvoir témoigner que Sidy Lamine Niass est un juste. Pour l’avoir suffisamment approché dans la période où il mettait sur pied le premier maillon de ce groupe de presse devenu un fleuron, l’hebdomadaire éponyme. Dans un élan fusionnel, il avait loué des locaux dans le même immeuble que le groupe Sud Communication dont j’étais membre fondateur.
La première fois que j’entendis parler de lui, c’est à la période de dissidence armée avortée de son frère, Ahmed Khalifa. Après avoir lu son ultimatum au président Senghor sur le téléscripteur du ministère de la Communication, j’ai confié mon désir de le rejoindre à un de mes confrères arabisants.
Si c’était son frère, je t’aurais encouragé parce que je le connais, m’avait-il dit. Le temps aidant, je découvris le frère, Sidy Lamine donc, au moment de l’essor des mouvements islamistes, organisant des débats de haute facture sur l’islamisme, le professeur Pathé Diagne étant l’un des principaux contradicteurs de l’islamisme radical auquel il opposait le modèle saint-louisien vertueux et convivial. Ayant eu une certaine proximité avec l’Organisation démocratique des Moudjahidines du peuple iranien (ODMPI) jusqu’à sa trahison pendant la guerre Iran-Irak, nous constituions une frange intermédiaire marxiste qui citait la société de Médine et le khalifat d’Omar comme précurseurs d’un socialisme exemplaire.
Jamais je n’ai vu pendant cette période Sidy Lamine perdre patience, s’énerver ou se mettre en colère, alors que les débats volaient bas à cause du peu d’érudition de certains islamistes qui nous promettaient l’enfer juste parce que lors des diners-débats, nous utilisions le couteau et la fourchette comme de bien entendu : ''Seuls les adeptes de Satan mangent avec la main gauche !''. Un jour où il recevait au ''Soumbédioune'', toujours égal à lui-même, Sidy Lamine remerciait qui le remerciait en prenant congé.
Comme je lui en faisais une remarque interrogative, il me répondit par un proverbe arabe dont je n’ai pas à ce jour compris le sens : ''Le bien se paie par le bien mais le meilleur est le dernier…'' Un jour que je suis monté à Walfadjri pour un brin de causette, Tidiane Kassé, un de mes jeunes confrères perdu de vue, me remit une enveloppe que je pris distraitement. Après l’avoir ouverte, je vis qu’elle contenait de l’argent, un montant correspondant aux piges des articles que j’avais écrits.
Je fis la remarque à Tidiane Kassé que je n’écrivais pas pour me faire payer, ayant déjà un salaire. Il me dit que le principe de Sidy Lamine était de rétribuer tout labeur. C’est la seule raison pour laquelle je cessais d’écrire pour ne pas ''monétariser'' notre relation, exception faite de la note de lecture d’un livre de Cheikh Touré, ancien rédacteur en chef du Bureau de presse arabe du ministère de l’Information, et dont je l’ai convaincu que c’était un service rendu par lui à son ami l’imam Touré.
Je peux donc témoigner que ce patron de presse n’est ni un cupide ni un exploiteur. Je peux aussi témoigner de notre action commune dans le comité de solidarité tiers-mondiste quand à l’aube où les bombes pleuvaient sur le peuple irakien, nous avons marché sur l’ambassade des États-Unis, de Grande-Bretagne et la représentation des Nations-Unis pour y déposer des motions de protestation contre le démembrement programmé de l’Irak. Et avons été reçus par l’Ambassadeur de Palestine, de Syrie et d’Irak pour y déposer des motions de solidarité avec la nation arabe.
L’homme, ''Rajul'', que j’ai connu mérite que l’on s’interroge sur ses bourreaux éventuels. Voilà que le président Macky Sall est très sollicité comme toujours par une pression convergente vers une sanction exemplaire. Certaines autres voix ont pu suggérer le contraire parmi lesquelles la plus bouleversante a du être celle du Khalife de Léona Niassène quêtant sa mansuétude devant l’épreuve imposée à son frère.
Le marabout doit avoir une piètre opinion de la séparation des pouvoirs, pour avoir vécu sa perversion coloniale et sa duplicité tropicale. La liberté provisoire a été la panacée très provisoire du dilemme présidentiel que l’on devine. La justice des hommes est en effet soumise à rude épreuve puisque, quoi qu’on en dise, les hommes ne sont pas contents d’elle et elle n’est pas satisfaite d’elle même. En outre les concepts brandis par les théoriciens de la petite semaine comme la séparation des pouvoirs, l’indépendance des magistrats et même la cohésion nationale doivent être relativisées à l’aune de certaines solidarités qui puisent leurs racines dans le pays profond.
Au surplus, son action publique de toutes ces dernières années témoignent que Sidy Lamine n’est pas un sectaire dans son vécu avec les diverses communautés religieuses musulmanes comme chrétiennes.
Mais la plus grande déconvenue subie par le corporatisme apparent de la société de l’information a été, après toutes les jérémiades sur la liberté d’expression et la nécessité de la ''déprisonalisation'' des délits de presse, de laisser l’un des pionniers de ce combat subir quasiment seul avec son groupe de presse, la foudre de la répression d’État.
Lors de la fermeture de la Radio Sud FM par le régime défunt et l’embastillement de ses journalistes, si prompte qu’ait été ma réaction dès l’annonce de la nouvelle, Sidy Lamine était déjà dans les locaux du commissariat central. Si bien que ma première impression fut qu’il avait été arrêté lui aussi.