Ne brûlons pas les confréries !
‘’Maître, ils n’ont plus de corps, ils n’ont plus de chair. Ils ont été mangés par les objets. Pour se mouvoir, ils chaussent leur corps de grands objets rapides. Pour se nourrir, ils mettent entre leurs mains et leur bouche des objets en fer…’’ Cheikh Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë
J'ai lu avec beaucoup d'attention l'article qui a été publié dans votre édition du lundi 23 juin 2014, signée par notre compatriote Momar Désiré Wade, vivant à Tokyo, ‘’Amnésie, capitulards et réactionnaires’’. Si je réagis par cet écrit, c'est que, si j'ai bien lu la note qui a accompagné la publication de l'article, c'est à un débat que vous nous conviez, dans le respect, la courtoise et bien sûr la pertinence, qualité sans lesquelles, on peut pas DISCUTER au sens propre du terme. J’espère que vous me publierez pour observer les règles du jeu que vous avez défini au premier jour.
Je partage certains arguments de la réflexion développée dans ‘’Amnésie, capitulards et réactionnaires’’. Je suis bien d'avis, au même titre que Momar Désiré Wade que je ne connais pas, qu’il y a une sorte de faillite des élites africaines, qui ne jouent plus leur rôle. Je suis d’accord avec lui quand il écrit ceci, parlant du 23 juin : ''Je m’étonne sur le silence décidément suspect des élites de ce pays, à propos de la trahison de l’idéal du 23 juin. Comment en effet, ne pas s’émouvoir sur le fait qu’un évènement de cette envergure ne connaisse aucun traitement critique à la dimension de l’amnésie qui l’accompagne comme une ombre, trois ans seulement après ? Qu’est ce qui s’est passé pour que tout le monde oublie. J’ai particulièrement été frappé par les niveaux d’amnésie…''.
Je crois aussi qu'il a raison dans l'analyse quand, fustigeant l'absence de détermination dans la défense de la Constitution, il écrit ceci : '' Je ne l’ai en tout cas pas sentie lorsque la parité garantie par le texte fondamental, bible du citoyen, a été violée à Touba. J’ai surtout senti le manque de détermination, la peur, le cafouillage jusqu’au bégaiement des élites politiques, universitaires, de la société civile etc.
Tout le monde a tremblé, continue à trembler à l’idée même de dire que ce n’est pas normal ce qui s’est passé à Touba. Au contraire, tout ce que j’ai entendu et qui m’effraie, c’est qu’on cherche des arguments pour justifier l’injustifiable. L’injustifiable en République, c’est lorsqu’on viole la Constitution. C’est plus grave que tout..''. L’argumentaire est jusque-là bien mené. Mais je suis étonné de constater que la rigueur de l'analyse fait ensuite place à une déferlante passionnelle que j’ai du mal à comprendre.
Modèle occidentalo-laïc
Sans mesure, Momar désiré Wade fait la promotion du modèle occidentalo-laïc d'une société de liberté où le religieux n'a pas une très grande place dans la Cité. Il l’appelle de toutes ses forces et cela casse tout ce qui précède. Malheureusement. Je pense que c'est une erreur de souhaiter qu'un tel modèle puisse s'imposer au Sénégal. L'idée que les sociétés construites sur le modèle des Lumières sont des sociétés plus heureuses que celles africaines ou asiatiques est un mythe.
De mon point de vue, le grand malaise que vit la société occidentale est beaucoup plus profond qu'il n'est pas bien sondé. Combien sont-ils à se suicider chaque année dans ces sociétés supposées plus heureuses, parce qu'atteints d'un mal être difficile à qualifier ? J'ai été étonné par le nombre de personnes qui se sont suicidées dans une célèbre société française comme France Télécom qui a enregistré l'année dernière une série noire de suicides, comme une trainée de poudre.
Combien sont-ils aujourd'hui, ces ''robots'' achevés du capitalisme mondial, expérimentant un patriotisme sans spiritualité, une laïcité creuse, une République sans âme. Le débat n'est pas seulement de dire que la République est agressée par les maisons religieuses. Personnellement, je ne crois même pas qu'elle le soit. Il faudra bien faire une analyse fine pour savoir qui tient réellement les cordons…
du vrai pouvoir, depuis la colonisation. Qui manipule qui ? Qui espionne qui ? Qui élimine qui ? Et de façon plus profonde, je ne vois pas pour quelle raison on devrait contester à Touba, Tivaouane, Ndiassane, Médina Baye, les îlots de pouvoir qui leur reste. Ceux qui connaissent bien l'histoire de ce pays, savent que la légitimité qui fonde leur pouvoir n'est pas construite sur des sables mouvants.
Bien au contraire, les historiens savent que les petites armées de royaumes ont rapidement été défaites par les colons et que la vraie résistance, celle pacifique et culturelle a été menée par des personnalités religieuse comme Serigne Touba, El Hadj Malick Sy etc. On pourra me rétorquer qu'il n y avait pas que de la résistance, c'était un mélange assez complexe de ‘’non’’ et de ‘’oui’’, mais il y avait tout de même du ‘’non’’ et c'est cela qui est important à relever.
Le problème de fond avec beaucoup d’Africains nourris à l'école française, c'est que ces derniers laissent perler des avatars, excroissances des effets de la longue présence coloniale en Afrique. Cela laisse forcément des traces plus profondes et encore douloureuses. Il ne faut pas négliger le poids de la colonisation dans les prises de position de nos élites, même les ''plus libérées''. Il ne faut pas oublier l’avertissement de l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.
Ce qu’on a gagné avec la colonisation vaut-il ce qu’on a perdu ? Question essentielle ! Je constate bien que les pièges idéologiques travaillent de façon inconsciente nos élites intellectuelles occidentalisées, qui ne parlent plus leur langue, qui ont oublié leur culture et qui sont souvent le suppôt d’intérêts cachés, très cachés. Ce n'est pas forcément parce qu'on a fait une formation dans les écoles françaises qu'on est sur la voie de la vérité, de la justesse argumentative et de la clairvoyance intellectuelle. Souvent les discours que je lis, sont idéologiquement travaillés par des a priori de la culture occidentale.
Piège Idéologique
Je suis étonné de constater que dans l'argumentaire de mon ami Momar Désiré Wade dont j’apprécie bien la finesse du début, aucune allusion n'est faite sur le rôle que les confréries jouent aujourd’hui dans le maintien de la cohésion sociale. Si personne ne le souhaite des troubles majeurs devraient éclater au Sénégal, sur quelles forces sociales sérieuses le pouvoir en place s’adosserait pour calmer le jeu si ce sont les confréries ? Nous avons au Sénégal un islam qui ne génère pas de violence alors que dans le monde entier, y compris dans les pays qui veulent extirper tout ce qui est islam de leur territoire, cette religion formidable au sens principiel, y est vécu comme un vrai traumatisme à la fois psychologique et social.
Alors que l'internationale terroriste fait bouger le monde entier, le Sénégal est un havre de paix où musulmans, chrétiens, animistes et non-croyants vivent sans aucun conflit. Pourquoi ce pays ne vendrait-il pas cette richesse-là, que mêmes des démocraties avancées comme la France n’ont pas, au lieu de passer tout son temps à s’auto-flageller ? Quelle est cette logique qui consiste à cracher sur ce qui fait à la fois notre identité profonde, notre richesse et notre force ? Momar Désiré Wade ne se gêne pas de citer le père de la révolution Turque qui a instauré une laïcité positive dans son pays.
‘’Mustapha Kemal Attaturk a été, à un moment donné, obligé de déposer le sultan sous prétexte que ce dernier avait trahi. Je me suis toujours demandé pourquoi le Président Macky sall ne développe aucune stratégie pour échapper à la toute puissance des confréries qui ont déjà prouvé qu’elles n’avaient aucune emprise sur les citoyens’’.
Mais pour vaillant qu’il soit, il ne saurait constituer un archétype qui s’imposerait aux sénégalais, aux Africains qui n’ont ni la même histoire, ni la même culture. Nous devons certes rester sur les rails de l’histoire. Fermement. Mais on ne peut pas continuer à servir le ‘’colon’’ qui n’a pas totalement disparu. Il s’est installé dans nos esprits et façonne notre intellect.
PAR ALMAMY OUSSEYNOU LAM – CAIRE - EGYPTE