Dessous de cartes
C’est n’est plus un secret : le Sénégal va envoyer des soldats en Arabie Saoudite dans le cadre de l’opération « Tempête décisive » qui a pour objectif d’empêcher la prise du pouvoir au Yémen par les groupes armés Houtis. Fidèle à une tradition bien établie, l’armée sénégalaise ne s’est pas encore prononcée de manière officielle, laissant cette responsabilité au chef de l’Etat, chef suprême des armées, ce qui ne saurait tarder. On rappelle qu’avant d’envoyer le contingent sénégalais au Mali, le président de la République avait pris le soin d’informer l’Assemblée nationale.
Les Sénégalais semblent partagés sur la question de l’opportunité d’une telle mission à l’étranger des « Jambars », surtout dans un contexte international aussi tendu. La guerre contre le terrorisme concernera beaucoup de pays. On a entendu la semaine dernière un chef islamiste algérien revendiquer une attaque-suicide à Gao contre des troupes nigériennes de la Minusma en soulignant que le président Issoufou a participé à la marche de soutien aux victimes de l’attentat contre le journal satirique « Charlie Hebdo ». C’est dire que le Sénégal ne saurait faire le mort alors que l’intégrité de son voisin de l’est est menacée ; alors que la secte « Boko Haram » fragilise le Nigeria et s’attaque indifféremment au Cameroun et au Niger, avec des incidences sur une grande partie de l’Afrique centrale.
Cette situation a par ailleurs fait du Tchad le nouveau « géant » de la sous-région. Les troupes du président Déby Itno, aguerries, bien dotées en matériel et motivées ont, en effet, infligé de lourdes pertes aux djihadistes du nord Mali et aux rebelles de « Boko Haram », avec, il est vrai, de lourdes pertes à l’heure du bilan.
Ceux qui ne souhaitent pas l’envoi de troupes sénégalaises en Arabie Saoudite ne manquent pas d’arguments. Ils ne comprennent pas que notre pays envoie plus d’hommes au royaume des Saoud qu’au Mali tout proche, si c’est seulement la lutte contre le terrorisme qui l’anime. Ils mettent aussi en avant le corollaire de cette décision du chef de l’Etat, à savoir un « intérêt » accru des groupes terroristes à l’endroit du Sénégal, désormais dans leur viseur. D’autres sont convaincus que la décision du président Macky Sall va nous mettre dans une position inconfortable au sein des organisations d’intégration sous-régionales.
Certains rappellent le drame de 1991, quand 92 soldats sénégalais avaient péri lors du crash du C-130 qui les transportait vers La Mecque, à la fin de la première guerre du Golfe. Sous le commandement du général (futur Cemga) Mohamadou Keïta, avec le général Babacar Gaye (alors colonel) comme second, les Jambars avaient tiré leur épingle du jeu. Les Saoudiens ne l’ont pas oublié. Tout aurait été bouclé lors de la dernière visite du chef de l’Etat en Arabie Saoudite, il y a deux mois de cela.
Pour les souteneurs de l’expédition, c’est justement une opportunité pour le Sénégal de réaffirmer ses positions diplomatiques et renouveler son alliance avec l ’Arabie Saoudite. Naturellement, ils mettent en avant tout le profit que « la grande muette » pourrait tirer de cette expédition, avec surtout l’acquisition de nouveaux matériels et l’aguerrissement de ses éléments désignés pour aller contrer les Houtis qui contrôlent déjà la capitale, Sanaa. Mais il nous est revenu que les Jambars seront principalement chargés de veiller à la sécurité de certains sites situés dans le territoire saoudien, comme en 1991, quand la protection du complexe pétrolier de Safanyah leur avait été confiée, alors que Saddam Hussein avait donné l’ordre à ses soldats de faire la politique de la terre brûlée, en mettant le feu à des complexes pétroliers.
Mais cette nouvelle mission est délicate. Selon nos sources, le Sénégal est constamment sollicité pour mener des missions de maintien de la paix. Ce n’est pas nouveau. Il y a quelques semaines, l’Onu a sollicité le Sénégal pour résorber certains déficits notés dans la plupart de ses missions. Cette fois-ci, les amicales pressions de Ryad l’ont fait changer d’avis. Les missions à l’étranger de l’armée ont fini de bâtir la réputation des Jambars. Ils ont l’expérience de ce type d’opération. Déjà, en 1960, ils étaient au Congo ; puis dans le Sinaï (guerre israélo-arabe). Ensuite, ce sera le Liberia, le Rwanda, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, et le Mali.
L’intervention de l’armée tchadienne dans trois différents théâtres d’opération, à savoir le Mali, le nord-Cameroun, et le sud-ouest du Niger, montre que Déby Itno est le nouvel homme fort de la région. Les retombées de la manne pétrolière ont permis de relever le niveau d’équipement de l’armée tchadienne et, partant, son influence. La décision du président Sall aura donc des incidences aussi bien au plan militaire, qu’au plan diplomatique. C’est en tout cas ce qui est attendu…