Publié le 19 Feb 2016 - 03:59

Macky Sall, Abdoulaye Wade, le droit et la parole

 

Sans verser dans l’auto-flagellation ou le nombrilisme, je me dois d’avouer ici que je suis habité par une satisfaction morale non feinte face à la décision du Conseil constitutionnel de rejeter la proposition du Président Macky Sall qui a voulu que la réduction du mandat du président de la République s’applique au sien en cours. Non pas parce que l’actuel chef de l’Etat va faire 7 ans, du moins pour ce mandat-ci, mais plutôt parce que l’histoire me donne raison.

En effet, je fais partie de ceux qui avaient défendu mordicus que le Président Abdoulaye Wade avait le droit de briguer un nouveau mandat en 2012. J’avais fondé ma conviction sur le principe de la non-rétroactivité de la loi. Un principe qui, tout de même, connaît quelques exceptions comme les lois expressément rétroactives ou les lois pénales douces… Une application rétroactive de la modification du nombre et/ou de la durée du mandat présidentiel (article 27 de la Constitution) nécessite donc obligatoirement une disposition expresse, même transitoire.

Il faut rappeler que le Président Abdoulaye Wade n’avait pas introduit dans la Constitution de janvier 2001, par omission volontaire ou involontaire, une disposition expresse précisant que la réduction du mandat de 7 à 5 ans s’appliquerait à son mandat entamé en 2000 sous la Constitution de 1963. Dès lors, la rétroactivité ne pouvait être de rigueur. Résultat : le Président Abdoulaye Wade avait bel et bien le droit de briguer un nouveau mandat en 2012. Ces détracteurs lui avaient opposé sa parole donnée de ne pas se représenter pour un troisième mandat. Mais, le Conseil constitutionnel a mis en avant la primauté du droit sur la parole d’un citoyen (qui n’a aucune valeur juridique sinon morale) fut il le président de la République.

La juridiction est restée à cheval sur ce principe. Et la décision qu’elle vient de prendre, en déboutant le Président Macky Sall, obéit à cette logique. La jurisprudence Wade est-elle passée par là. Les 5 sages ne pouvaient en tout cas faire du deux poids deux mesures en appliquant le principe de la non-rétroactivité à Wade pour ensuite le rejeter pour Macky Sall. L’auraient-ils fait qu’ils seraient qualifiés de « magistrats-tailleurs » à la solde de l’Exécutif.  

Le Conseil constitutionnel a refusé de suivre le chef de l’Etat dans sa volonté de s’appliquer une éventuelle réduction du mandat présidentiel considérant que « cette disposition doit être supprimée au motif qu’elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution ni à la pratique constitutionnelle ». Sans doute aussi pour éviter un fâcheux précédent qui permettrait à tout président de la République de tailler les lois à sa mesure. Parce qu’en réalité, la disposition transitoire ne visait qu’à permettre au Président Macky Sall de tenir un engagement personnel et de sauver la face. En somme, à ne pas faire du « wax waxète » (renier sa parole, en Wolof).

Alors, le Président Macky Sall a-t-il renié sa parole ? Ce serait trop lui tenir rigueur que de jeter l’anathème sur lui parce que le Conseil constitutionnel a refusé de le suivre dans sa requête. Pour peu que l’on soit attaché au principe de la séparation des pouvoirs, force est de reconnaître que le chef de l’Etat ne pouvait imposer son desideratum à la juridiction. Il faut dire tout de même que le Président Macky Sall a fait preuve de bonne volonté, non simplement pour avoir dit et redit, urbi et orbi, sa volonté de réduire le mandat du président de la République et de se l’appliquer. Il a surtout introduit une disposition expresse transitoire pour que la réduction du mandat prenne effet sous son magistère actuel. Récemment j’ai publié un article, encore disponible sur Internet, intitulé : « Mandat présidentiel, Macky Sall et l’obstacle de la non-rétroactivité ».

En substance, j’alertais sur le danger d’une personnalisation de la loi par le Président Macky Sall en cherchant, par monts et par vaux, à contourner le récif de la non-rétroactivité. Il n’empêche, le chef de l’Etat a introduit « sa » disposition rétroactive. A partir de ce moment, il n’y a plus de reniement de sa parole à laquelle il a joint l’acte. Son champ de compétence dans le cas d’espèce s’arrête là. La suite étant du ressort du Conseil constitutionnel qui a le devoir de protéger la Constitution des intérêts ou ambitions crypto-personnels et des questions d’ego. Ramer à contrecourant de la décision du Conseil constitutionnel serait pour le Président Macky Sall une défiance qui affaiblirait l’institution dont il est le gardien.

Mais tout cela demeure assujetti à la décision du peuple sénégalais souverain, appelé à se prononcer par référendum, le 20 mars 2016, sur la réduction ou non du mandat du président de la République. Un référendum qui garde toute sa pertinence parce que permettant au peuple de donner enfin son avis sur un débat jusqu’ici monopolisé par les politiques. Et de trancher définitivement la question de la durée du mandat du président de la République.

Amadou DIOUF

Journaliste

 

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