Le business des puissants
Depuis quelques semaines, le gouvernement ne semble avoir qu’une seule priorité, améliorer son classement au prochain rapport (2018) de la Banque mondiale (BM) consacré à l’environnement des affaires. L’équipe dirigée par Mahammed Boun Abdallah Dionne en arrive même à faire passer ce classement avant la question du renchérissement incontrôlé des denrées de consommation courante. On en vient à se demander si ce sont les mêmes autorités qui brocardaient la BM en 2013, suite au rapport 2014 (voir le texte). En s’en prenant ouvertement à celle-ci, le Sénégal n’avait fait que répéter ce que d’autres pays avaient déjà dit. La RD Congo, mais surtout la Chine.
Toujours mal classé, le géant asiatique a dit tout le mal qu’il pense de ce rapport. ‘’Le rapport utilise des méthodes erronées, ne reflète pas les faits, et n'accorde que peu de valeur à l'amélioration de l'environnement des affaires en Chine", charge le vice-représentant du pays à la Banque mondiale, Bin Han. En 2013, une source interne de la Banque mondiale confiait à l’Express ce qui suit : ‘’C'est un rapport d'extrême mauvaise qualité. On classe des choses qui n'ont rien à voir entre elles. On n'est plus dans le domaine économique.’’
Un panel indépendant présidé par l’ancien ministre des Finances d’Afrique du Sud, Trevor Manuel, évaluant le rapport, a accusé la BM d’encourager le non-respect du droit des travailleurs et le non-payement des impôts. ‘’Plus d’un millier de morts dans les usines textiles du Bangladesh, des révélations incessantes sur l’optimisation fiscale massive des entreprises par les paradis fiscaux… La Banque mondiale ne peut plus tourner autour du pot et doit cesser de promouvoir le dumping social et fiscal dans le rapport annuel Doing Business dont le biais idéologique est devenu patent’’, peste Antonio Gambini, chargé de recherche au Centre national de coopération au développement (CNCD), une organisation belge.
Il suffit de voir certains résultats révélés par le rapport pour se rendre compte que ces accusations ne sont guère un mauvais procès. Par exemple, en matière d’accès à l’électricité, le Burkina, la RD Congo et même Haïti sont mieux placés que le Canada. Bizarre non ? Si seulement les Haïtiens pouvaient avoir du courant aussi disponible que celui des Canadiens ! De la même manière, la Guinée est mieux cotée que le Maroc, elle qui ‘’ne fournit, dans le meilleur des cas, que quelques heures d’électricité par jour à Conakry’’, comme le fait remarquer dans Jeune Afrique, le Tunisien Mohamed Amar. Autre aberration, à la catégorie "protection des investisseurs", la Sierra Leone (22e place) devance la Suisse (170e). Interdit de rire ! A quoi bon donc se tuer pour un rapport qui récompense des branchements dépourvus de service à la place de la disponibilité de l’électricité ?
Entendons-nous bien, nous ne sommes nullement contre l’amélioration de l’environnement des affaires. Mais la question qui se pose est de savoir : améliorer l’environnement pour qui et pour quelle finalité ? Faire plus de place à des entreprises étrangères qui vont par la suite rapatrier les devises ? Ouvrir nos frontières aux grands du monde pendant que nous avons du mal à leur faire accepter nos produits ? Si on suit la logique des institutions de Bretton woods, et le comportement moutonnier de nos autorités, on peut répondre par l’affirmative. Ou est-ce qu’il s’agit de baliser le terrain aux entreprises nationales, à des hommes comme Kabirou Mbodji le patron de Wari qui a eu l’audace d’acheter Tigo ? C’est en tous cas ce que souhaitent tous les patriotes. Malheureusement, aucun indicateur ne permet de répondre par l’affirmative. Ceux qui en doutent peuvent se rappeler les griefs du privé national, lors d’une rencontre avec le ministre de l’Economie et des Finances à propos des marchés publics, notamment dans le secteur le plus visible, les BTP.
L’artisanat ne fait pas mieux. Au-lieu d’accompagner les artisans pour qu’ils puissent absorber, à défaut de la totalité, du moins l’écrasante majorité de la commande publique, le président de la République leur attribue, comme une aumône, 15% de celle-ci. Et ses partisans, comme une partie des ouvriers, versent dans l’autosatisfaction et la glorification, face à ce qu’il considère comme un geste magnanime et qui n’est rien d’autre qu’un déficit d’ambition et de vision. Nos gouvernants devraient plutôt s’atteler à ce que l’autre appelait le ‘’doing business local’’, c’est-à-dire dégager un cadre macro et microéconomique favorable à l’entrepreneuriat local, plutôt que de s’acharner à remplir des conditions dictées par des organisations au service des puissants. Si le Fmi ou la Bm pouvaient aider les pays africains dans leur quête de développement, le continent ne serait pas aussi pauvre, des décennies après l’accession à l’indépendance.
Il est temps de se réveiller et de prendre conscience que le moment est venu de tracer sa propre voie pour le développement.
BABACAR WILLANE