Publié le 5 Aug 2017 - 19:56
ORGANISATION DES LEGISLATIVES DE 2017

Comptes et mécomptes 

 

Loin des diatribes et de la passion des hommes politiques, des spécialistes analysent le processus qui a mené aux législatives ‘’chaotiques’’ du 30 juillet 2017. Ousmane Sène et Moundiaye Cissé, respectivement directeur de l’Ong 3D et du Warc, passent au crible les difficultés et la responsabilité des différents acteurs.

 

Ce sont des élections qui resteront dans les annales. Les dysfonctionnements sont multiples. Selon Idrissa Seck, il s’agit des consultations les plus frauduleuses depuis celle de la présidentielle de 1988. Mais comment en est-on arrivé là ? Les experts analysent et donnent leur point de vue sur l’ensemble du processus électoral qui a mené au scrutin du 30 juillet 2017.

C’est d’abord Moundiaye Cissé, directeur Exécutif de l’Ong 3D (Décentralisation, Droits humains et Développement local) qui se prononce sur la question. Il estime que les responsabilités sont partagées dans le fiasco noté lors du scrutin de dimanche dernier. Pour ce qui est de la responsabilité incombant au ministère de l’Intérieur et à l’Etat, il déclare : ‘’Pour évaluer une élection, on doit se baser sur trois critères : le critère administratif, le critère organisationnel et celui de la participation. En ce qui concerne les deux premiers critères, je pense qu’ils n’ont pas été atteints. L’Administration a failli sur ces plans’’.

Selon le directeur de 3D, ces manquements sont d’autant plus regrettables que l’Administration sénégalaise nous a habitués à mieux que ça. ‘’Pour ce qui est de la production et de la distribution des cartes, je pense que fondamentalement, c’est une contrainte de calendrier qui a empêché la Direction de l’automatisation du fichier (Daf) de produire toutes les cartes. Cela est aussi dû à la précipitation et au défaut de dialogue. La non disponibilité du matériel dans certains centres est par contre moins compréhensible pour une administration aussi compétente et qualifiée que la nôtre. Il faut tirer les manquements notés durant tout ce processus pour éviter pareille situation à l’avenir’’, confie-t-il.

Ousmane Sène, Directeur du Warc, embouche la même trompette. Selon lui, il est grave d’empêcher un seul Sénégalais de pouvoir accomplir son droit de vote. ‘’Je voudrais être clair à ce propos. Même s'il s'agissait du cas isolé d'un seul Sénégalais qui n'a pas reçu sa carte et qui n'a pas pu voter, le manquement resterait tout aussi grave. En effet, la démocratie veut que tout citoyen qui jouit de ses droits civiques puisse voter en toute sérénité, en toute liberté et ceci chaque fois que la population est appelée aux urnes. Il appartient à l'Etat de mettre à sa disposition les instruments d'identification lui permettant d'exercer son droit et son devoir de vote’’, tranche-t-il.

‘’Retirer l’organisation des élections des mains d’Abdoulaye Daouda Diallo’’

Cette ‘’lourde’’ responsabilité incombant au ministère de l’Intérieur, certains acteurs n’ont pas manqué de demander la démission ou le limogeage du ministre de l’intérieur et de la Sécurité publique. Sur ce point, les avis de nos consultants sont divergents. Moundiaye Cissé préconise le dessaisissement d’Abdoulaye Daouda Diallo par rapport à l’organisation des élections, tandis qu’Ousmane Sène met l’accent sur la mauvaise foi des acteurs politiques. ‘’Je pense qu’on ne doit pas changer un système qui marche. Nous avons noté de manière générale que les scrutins qui ont été organisés par des personnes indépendantes se sont passées sans difficultés majeures.

Puisque Abdoulaye Daouda Diallo s’acquitte correctement des questions de sécurité, on a qu’à lui laisser ce département et lui retirer l’organisation des élections. Cela contribuerait à apaiser la tension dans l’espace politique’’, déclare le responsable de 3D. Ousmane Sène réplique : ‘’Confier l’organisation des élections à une personne neutre ne règlerait pas totalement le problème à mon avis. Ce sont les hommes politiques qui sont de mauvais perdants. Dans les grandes démocraties, c’est le ministère de l’Intérieur qui organise les élections. Si on n’est pas capable de le faire, c’est parce qu’on n’est pas encore une démocratie majeure. Le seul problème qui se pose est un problème de confiance’’.

Le Directeur du Warc  s’érige par ailleurs en défenseur de la Commission électorale nationale autonome. Il affirme : ‘’Je pense que le problème fondamental c’est la bonne foi des acteurs politiques. Quand ils gagnent il n’y a pas de problème. Quand ils perdent, ils cherchent des boucs émissaires. Il y a des limites aux prérogatives de la Cena. Cette dernière ne pouvait pas se mettre à fabriquer des cartes biométriques. Elle n'a pas eu de cas de fraudes avérées et graves à signaler ou sanctionner. En plus, tout le monde dans le landerneau politique a commencé à vociférer avec des menaces comme quoi il était hors de question de reporter les législatives. Je pense que dans ces conditions la Cena ne pouvait rien faire’’.

‘’Renouveler les membres de la Cena’’

Quant à Moundiaye Cissé, il est catégorique : ‘’ La Cena souffre de l’usure de ses membres. Elle doit être renouvelée conformément à la loi. C’est une structure incontournable dans le processus électoral. Elle a toutes les prérogatives pour peser de tout son poids sur le processus. Malheureusement, lors de cette élection, on ne l’a pas trop sentie. Il ne faut surtout pas parler de sa suppression. Je pense qu’il faudrait surtout la refonder en appliquant correctement la loi qui exige son renouvellement tous les trois ans. Il est temps d’apporter du sang neuf à cette institution’’, soutient-il.

Par ailleurs, si l’on en croit à nos deux experts, tout ne peut être expliqué par les défaillances dans le processus. Le principal problème au Sénégal, c’est le manque de confiance entre les acteurs. Moundiaye Cissé de regretter le retrait de l’opposition du processus électoral qui  a mené aux législatives de 2017. ‘’Le refus de l’opposition était certes légitime. Mais à mon avis, elle n’avait pas à être radicale. D’autant plus qu’une solution était possible et nous avions beaucoup travaillé à l’époque pour contourner ce blocage’’, renseigne M. Cissé.

Le dialogue rompu, Abdoulaye Daouda Diallo et ses hommes ont foncé droit vers le mur. Ils ont tenu coûte que coûte à tenir une élection dans les délais, alors qu’il aurait été plus judicieux de décaler le scrutin d’un mois. C’est du moins la conviction de Moundiaye Cissé.  Il dit : ‘’Imaginez combien de personnes auraient pu récupérer leurs cartes, si on avait décidé de repousser l’élection jusqu’au mois de septembre. Evidemment, cela n’aurait pu se faire qu’avec le consentement de tous les acteurs. Ce qui n’était pas possible à cause de la rupture du dialogue. Ma conviction est que si les différentes parties s’étaient mises autour d’une table, elles auraient pu trouver une solution. On ne l’a pas fait, c’est ce qui nous a menés vers ces contentieux postélectoraux». Or, poursuit le responsable de 3D, «le dialogue qui prévient est plus efficace que le contentieux devant les juridictions’’.

Le Vin est maintenant tiré, il faut le boire. Tirer les enseignements de ce scrutin pour éviter les contentieux à l’avenir, telle est la recommandation de nos consultants. D’après eux, le dialogue est la seule voix du salut. Ils indexent également le nombre pléthorique de partis politiques et appellent à leur rationalisation. Pour ce faire, les experts estiment qu’il faudrait restaurer la confiance entre les acteurs. A ce propos M. Sène invite les différentes parties prenantes au fair-play. Il donne en exemple Abdoulaye Baldé qui a félicité son challenger à Ziguinchor.

Renouer les fils  du dialogue

Moundiaye Cissé quant à lui considère que le Sénégal continuera de connaitre des lendemains électoraux tumultueux tant que la confiance n’est pas restaurée entre les acteurs. Il appelle le Président de la République à se mettre au-dessus de la mêlée et d’inviter la classe politique à un dialogue pérenne et sincère. Quant à l’opposition, elle est priée de répondre au chef de l’Etat s’il la convie à la concertation. ‘’Ce serait une excellente chose avant d’engager les échéances à venir. Notre rôle en tant que société civile, ce n’est pas d’être contre qui que ce soit. Nous devons être à équidistance des différentes chapelles. C’est ainsi que nous pourrons jouer les intermédiaires en cas de blocage dans le processus démocratique’’, déclare le Rufisquois.

Les couacs notés lors de ces élections ont presque enseveli les bons points recensés lors de ces joutes qui viennent de se dérouler. En effet, les législatives de 2017 ne comportent que des points négatifs. Il y a aussi quelques points positifs à consolider. ‘’D’abord, il faut féliciter la population qui a encore une fois montré sa maturité. Elle a prouvé une fois de plus qu’elle est en avance sur la classe politique. Le deuxième point, c’est la participation. On a noté une participation record pour des élections législatives. Ce qui augure une présidentielle âprement disputée en 2019 avec un taux de participation qui sera à la hauteur d’une grande démocratie. Enfin, il faut noter qu’avec la refonte totale du fichier, il y a un assainissement du fichier électoral avec la suppression du stock mort’’, analyse Moundiaye Cissé. Même son de cloche chez  Ousmane Sène qui  se félicite  lui aussi de  cette maturité du peuple qui sait ‘’voter, rentrer chez soi, prendre son bon Tiébou djeun (Riz au poisson), son Attaya (Thé) et attendre tranquillement les premiers résultats’’.

Le directeur du Warc recommande enfin de faire l’inventaire de ceux qui n’ont pu retirer leurs cartes pour savoir le nombre effectif des personnes qui ont leurs documents et qui se sont abstenus de voter. Il demande à l’Etat de jouer la carte de la transparence pour éviter pareils conflits à l’horizon 2019. 

MOR AMAR

 

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