Âpre bataille de procédures
Les avocats de Khalifa Sall et Cie ont obtenu un renvoi, hier. Mais ce n’est pas pour les arguments qu’ils ont avancés ni pour le délai de deux mois qu’ils voulaient. Car ils ont buté sur le refus catégorique des conseils de l’Etat et du procureur Serigne Bassirou Guèye qui en a profité pour solder ses comptes avec ses détracteurs.
Si à l’audience du 14 décembre dernier, le président Magatte Diop n’avait pas mis beaucoup de temps à annoncer le report, tel n’a pas été le cas hier. Il a fallu presque deux tours d’horloge à Malick Lamotte qui juge désormais l’affaire pour annoncer le renvoi au 23 janvier prochain du procès de Khalifa Sall. Car la bataille des arguments pour le renvoi et celui des contre-arguments pour le jugement de l’affaire pour hier même a fait rage.
En fait, après la vérification des constitutions, le président Lamotte a donné la parole à la défense pour formuler sa demande de renvoi faite déjà à travers une correspondance datée du 2 janvier. C’est Me François Sarr qui a fait l’économie de la correspondance signée par le collectif des avocats de Khalifa Sall. D’emblée, la robe noire a expliqué que le dossier n’est pas en état d’être jugé pour différentes raisons. D’abord, certains avocats n’ont pas jusqu’à présent reçu leur avis d’audience. Le second argument est lié à la convocation de témoins.
‘’Nous souhaitons faire comparaître un certain nombre témoins. Il y a une liste de 70 et il y a d’autres qui spontanément ont décidé de témoigner au titre de bénéficiaires pour apporter des précisions sur l’usage des fonds politiques. Nous sommes en train de rassembler leur état civil’’, a renseigné Me François Sarr. Et de poursuivre : ‘’nous voulons citer aussi des membres du gouvernement dont les ministres des Finances et du budget. Pour cela, il faut une autorisation par décret présidentiel. Or, la procédure d’examen de cette demande prend du temps’’.
En somme, Me Sarr estime qu’ils ont besoin d’un délai de deux mois. Sur sa lancée, il a invité le parquet à faire les citations non sans demander que l’intégralité du dossier leur soit communiquée. Pour convaincre de l’opportunité de leur demande, Me Sarr a relevé que même si le dossier était en état, la loi permet trois renvois. Mais les conseils de l’Etat ont manifesté leur opposition en rejetant tous les arguments brandis par leurs confrères.
Me Papa Moussa Félix Sow a affirmé qu’il n’y a plus d’avocats constitués devant le Juge d’instruction qui n’a pas reçu d’avis. Par rapport à la citation des témoins, il a laissé entendre que la défense aurait dû prendre toutes les dispositions pour le faire auparavant d’autant plus que le dossier a fait l’objet d’information et qu’aucun autre acte n’a été posé depuis le mois d’avril dernier. ‘’Si l’on suit la défense, chaque jour on présentera une liste de témoins alors que les dispositions de l’article 431 sont très claires : la défense aurait dû les faire comparaître’’, a asséné la robe noire avant d’ajouter que ‘’la stratégie de la défense, c’est de faire retarder la procédure pour gagner du temps’’ mais eux, ils sont prêts. ‘’C’est un moyen d’user du dilatoire car tous les confrères cités sont là.
Même s’ils n’ont pas reçu d’avis, l’argument de l’absence d’avis ne saurait justifier le renvoi’’, a renchéri Me Baboucar Cissé. Pour lui, l’attitude de leurs confrères de la défense signifierait que ‘’l’affaire va traverser l’année judiciaire 2017-2018’’. Or, fustige-t-il, ‘’même si les droits de la défense sont sacrés, on n’a pas le droit d’en abuser’’.
Sa conviction est que dans cette affaire, on refuse d’aller au fond et on a peur. Me Yérim Thiam a abondé dans le même sens en martelant : ‘’Les procédures dilatoires, nous en avons beaucoup vu. Nous voulons que l’affaire soit jugée et le droit à un procès équitable ne suppose pas le choix d’une date à être jugée ou de refuser d’être jugé.’’
Serigne Bassirou Guèye déverse sa bile sur ses détracteurs dont la mairesse de Paris
Outre les conseils de l’Etat, le procureur de la République s’est opposé au renvoi et a démonté les arguments de la défense. Serigne Bassirou Guèye a commencé par lancer des fleurs au tribunal avant de distribuer des piques à la défense. ‘’C’est avec satisfaction que je suis là car je connais cette composition qui me rassure, mais quand est-ce que vous déciderez d’arrêter cette téléologie judiciaire consistant à refuser d’aborder le fond ?’’ a-t-il martelé d’emblée. D’après lui, tous les avocats ont reçu un avis. ‘’Nous avons fait le listing et chercher les mails des avocats. J’ai même dressé la liste que j’ai donnée au Bâtonnier qui m’a assuré que les avis ont été envoyés, donc cet argument ne peut pas prospérer. Même s’ils n’avaient pas reçu d’avis, ils sont tous là’’, a souligné le maître des poursuites.
Et d’ajouter sur un ton ironique : ‘’Est-ce qu’il y a un Sénégalais qui ne sait pas que le procès se tient aujourd’hui ? Nous devons avoir respect envers le peuple.’’ Par rapport à la citation des témoins, le Procureur a relevé que le Code de procédure pénale ne permet pas à la défense de les citer lorsqu’on est devant le TGI. Cela incombe plutôt au Procureur, au président du TGI, à la partie civile… Les conditions dans lesquelles la défense peut le faire, c’est lorsque le témoin est présent à l’audience ou bien devant la Chambre criminelle. C’est pourquoi, conclut le parquetier avec raillerie : ‘’je vois un piège. Si vous l’acceptez, on vous demandera de citer un million de témoins. Peut-être le président de l’Assemblée nationale du Comores, ou un volubile maire de paris qui se mêle de ce qui ne le regarde pas’’.
Par rapport à la disponibilité du dossier réclamé par la défense, il a rétorqué qu’aucun texte ne l’exige et que le fait que le dossier soit scanné et remis aux avocats est une innovation salutaire du tribunal.
La réplique de la défense ne s’est pas fait attendre et c’est Me Doudou Ndoye qui a réagi en premier pour indiquer qu’il est prêt et qu’il l’a toujours été, mais le renvoi est une question d’opportunité en vue d’une justice juste et équitable. Dans la foulée, il a fustigé le fait que les avis aient été envoyés au Bâtonnier. ‘’Le bâtonnier n’a pas reçu mandat de transmettre les courriers procéduraux du procureur. Le bâtonnier n’est pas intermédiaire ; cela ne relève d’aucune loi’’, a asséné Me Ndoye dont les propos ont été accueillis par une salve d’applaudissements qui a poussé le Président à lancer une autre mise en garde au public. ‘’Nous ne continuerons pas à accepter les acclamations et autres signes d’approbation ou d’improbation. C’est la dernière fois que j’avertis’’, a lancé d’un ton ferme le juge Lamotte. Intervenant à la suite de ses confrères, Me Moustapha Ndoye a rétorqué au parquet : ‘’entendre que nous voulons éterniser le procès alors que notre client est en prison, c’est nous manquer de respect. Nous voulons une date qui arrange tout le monde’’. Son confrère camerounais de renchérir : ‘’nous voulons préparer notre défense pour que tous les conseils soient présents’’.
Me Ousseynou Fall met de l’huile sur le feu
Si la tension était ambiante à cause des observations du parquet, l’intervention de Me Ousseynou Fall a mis de l’huile sur le feu. Le conseil s’est attaqué ouvertement à Serigne Bassirou Guèye. ‘’J’ai fait 35 ans de barre, mais c’est la première fois que je vois un procureur s’opposer avec véhémence à une demande de renvoi. Cet empressement est un peu suspect et j’ai honte devant vous mais je suis à l’aise et prêt à défendre ce dossier’’, a fulminé l’avocat libéral. Aussi accuse-t-il le maître des poursuites d’avoir violé le droit avec ‘’ses conférences intempestives, en violant le secret de l’instruction’’. ‘’Vous devez avoir honte’’, a-t-il conclu. Suffisant pour que le président joue à nouveau les sapeurs-pompiers. ‘’Je suis clair. Je veux la sérénité et je serai extrêmement ferme. Si le procureur est là, l’échange devait être un échange de droits et non une occasion pour insulter.’’
En reprenant la parole, le parquetier a campé dans sa position de refus. ‘’Comment aviser si chaque seconde on me sort un avocat constitué ? Et je n’ai pas dit que le bâtonnier est une courroie de transmission. En plus, le texte ne parle pas de la forme de l’avis, donc je peux passer par le Bâtonnier, un chauffeur ou un gendarme’’, a fulminé M. Guèye. Et d’ajouter toujours avec le même ton ironique : ‘’Donnez-moi tout de suite les noms et je les citerai à haute et intelligible voix.’’ Joignant la parole à son engagement, il a lancé du haut de son perchoir : ‘’Me Wagane Faye, je vous informe que l’audience se tiendra.’’ A sa suite, Me Amadou Sall a voulu intervenir. Empêché par le tribunal, il a voulu créer un incident. Finalement, le calme est revenu et le Président a accédé à la demande de renvoi mais pas pour les arguments.
Le Juge Lamotte a fait savoir à Me François Sarr et Cie qu’il leur appartient de faire comparaître les témoins qu’ils désirent et le tribunal appréciera. ‘’Nous ne voulons pas créer de précédent car nous ne pouvons pas attendre quelqu’un qui n’est pas là pour démarrer le procès. Les avis ont été envoyés avec accusé de réception. Nous ferons tout pour que les conditions d’un procès équitable soient respectées. Nous n’accepterons pas d’autres demandes ; l’affaire sera jugée le 23 janvier prochain’’, a conclu le juge. Mais le procureur a tenté de faire avancer la date sans succès. ‘’Le délai est extrêmement long. Un jour me suffit, au maximum une semaine’’, murmurera-t-il. En vain.
FATOU SY