Publié le 23 Mar 2018 - 04:32
MAURICE SOUDIECK DIONNE (DR EN SCIENCES POLITIQUES)

‘’Le Président ne fait qu’utiliser les transhumants pour ses intérêts personnels’’

 

Selon l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dionne, le président de la République est plus dans une logique d’affaiblir davantage le Parti démocratique sénégalais que dans une tentative de recomposition de la famille libérale.

 

Le président de la République continue de débaucher ses anciens frères de parti. Quelle appréciation faites-vous de sa démarche ?

Le Président Macky Sall est plus dans une logique de déstabilisation du Parti démocratique sénégalais. Son objectif n’est ni de massifier sa coalition par les transhumants encore moins de faire leur promotion. C’est en réalité une manière de les contrôler politiquement, en les soustrayant des rangs de l’opposition, tout en ne les intégrant pas totalement. Si on observe bien, il n’y a pratiquement aucun transhumant qui est placé à une station importante, essentielle, qui lui confère pouvoir, prestige, visibilité politique et médiatique, sachant que l’opinion sénégalaise condamne de plus en plus de telles pratiques.

Car il s’agit en effet d’une trahison de la volonté populaire : le peuple sénégalais a sanctionné clairement un régime, et les responsables de ce régime déchu veulent revenir par la fenêtre par la volonté du Président ! Le peu d’entre eux qui ont été promus occupent des positions périphériques afin de limiter l’impact négatif que leur réinsertion peut avoir sur l’image du régime, et d’autant plus qu’ils sont par ailleurs généralement rejetés par les militants et responsables de la première heure. Le Président ne fait donc qu’utiliser les transhumants pour ses intérêts personnels comme moyen d’affaiblir l’opposition, notamment le Pds.  

Donc qu’est-ce qui, selon vous, explique cet intérêt pour ses anciens frères de parti ?

Il ne me semble pas qu’il y ait une fixation sur les anciens frères libéraux. Le Président Sall cherche à affaiblir l’opposition, et l’opposition la plus significative est incarnée par le Pds. C’est pourquoi il cherche à attirer des responsables de ce parti vers son camp.

Le leader de l’Alliance pour la République veut-il simplement achever le Pds après avoir déstructuré ses bases ou plutôt, renforcer ses rangs ?

Le Pds est un grand parti qui a une longue expérience au pouvoir comme dans l’opposition, je ne pense pas que le Président Sall puisse le déstructurer. Les tentatives de déstabilisation du Pds datent de très longtemps depuis sa création en 1974. Toutes sortes de combines et de complots ont été ourdis pour liquider politiquement ce parti mais en vain. Mais il faut dire que cela est dû au charisme et à l’intelligence politique de Me Wade. Aujourd’hui, vu son âge avancé, il se pose la problématique de la transition et la succession qui met le Pds dans une situation particulièrement difficile. Tout dépendra de la manière dont le parti va gérer le passage de témoin, pour le remplacement de Me Wade. C’est à mon avis ce qui peut causer des problèmes au Pds. 

Depuis la création du Pds en 1974, ce sera la première fois, en 2019, qu’une élection se déroulera sans Abdoulaye Wade. Qu’adviendra-t-il, selon vous, de son électorat et de son héritage d’une manière globale ?

Cette question est intimement liée à la succession au Pds. Me Wade a réussi à faire de son fils le candidat du parti. Mais ce dernier est dans une situation assez difficile par rapport à la recevabilité de sa candidature. Il est vrai qu’il a été condamné par une juridiction d’exception, la CREI, à travers une traque des biens supposés mal acquis, politisée à outrance, sélective et attentatoire aux droits et libertés des mis en cause, et inacceptable dans un État de droit. Même si tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre la corruption, l’injustice ayant des soubassements politiques ou autres ne saurait servir la justice. Reste à savoir si cette condamnation injuste n’est pas un obstacle à sa candidature !

Au-delà des calculs politiques, est-ce que Macky Sall n’est pas dans une logique de reconstituer la grande famille libérale ?

Macky Sall ne peut pas reconstituer la grande famille libérale pour plusieurs raisons. D’abord, le Président Sall tient sa légitimité de sa victoire sur le Pds et ses alliés, appuyé en cela par des partis et coalitions de partis, formant Benno bokk yaakaar. Ensuite, dans cette grande famille libérale, il y a des leaders qui sont ses concurrents irréductibles comme Idrissa Seck et Pape Diop et dont les rivalités avec le Président Sall datent de l’époque où ils étaient tous au Pds.

"L’ascension fulgurante de Macky Sall au Pds et dans l’État par la volonté de Me Wade s’est faite au détriment de ces autres responsables politiques en question, et contre lesquels Macky Sall a eu à mener des combats cyniques. Ensuite le Président Macky Sall, dans sa logique de déstabilisation du Pds, a été particulièrement répressif contre ses anciens camarades, avec la multiplication des emprisonnements, notamment pour offense au chef de l’État, en plus de la traque des biens mal acquis comme instrument de neutralisation et d’anéantissement des adversaires politiques, en plus de la négation et de la violation des droits et libertés des opposants. Enfin le chef historique de la famille libérale, au charisme hors pair, Me Abdoulaye Wade, est encore dans la scène politique.

À travers ce débauchage de ses anciens frères de parti, le Président Sall n’est-il pas en train de revendiquer sa part de l’héritage de Wade ?

Je ne pense pas que le Président Sall soit dans une logique de revendication de l’héritage de Me Wade. Car lorsqu’il a été frappé d’ostracisme au Pds, exclu de la succession et combattu à l’Assemblée nationale, il a démissionné de ce parti et de tous les postes obtenus sous sa bannière pour tracer son propre chemin, et se battre pour conquérir le pouvoir après trois ans dans l’opposition. Mais il y a encore un certain héritage du Pds et du Président Wade qu’on peut retrouver chez le Président Sall, à travers le partage de certaines pratiques politiques dans la manière de gérer le pouvoir, comme la priorité accordée aux infrastructures, les pratiques autoritaires, le clientélisme et la personnalisation du pouvoir.  

À quelques mois de la Présidentielle de 2019, est-ce que ce n’est pas l’après Me Abdoulaye Wade qui est en train de se jouer ?

Non, car on est déjà dans l’après Wade ! Le Président Wade a perdu le pouvoir en 2012 et ne peut plus être candidat à une élection présidentielle en raison de son âge. Mais à coup sûr, l’après Wade est en train de se jouer au Pds où pendant longtemps il a été différé, et ensuite n’a pas réussi à suivre le chemin que le Président Wade voulait, celui de la succession de père à fils au sommet de l’État. Aujourd’hui, c’est cette même problématique qui continue avec la candidature de Karim Wade comme candidat du Pds à la Présidentielle de 2019.

Entre le fils biologique qui est prédestiné à succéder à son père et les ‘’fils’’ putatifs de Wade que sont Idrissa Seck et Macky Sall, qui, selon vous, pourra le plus bénéficier de cet héritage ?

Abdoulaye Wade semble avoir choisi son fils biologique Karim Wade pour bénéficier de son héritage, puisque le Pds qu’il a créé est dans la logique de faire de Karim le successeur de Me Wade, car généralement dans les partis politiques sénégalais, c’est le Secrétaire général du parti qui est le candidat du parti à la présidentielle.

Tout porte alors à croire que son père s’apprête à lui donner les rênes du Pds. En le plaçant dans une position pour conquérir le pouvoir, il lui facilite la tâche pour contrôler le parti. Donc dans le schéma de Me Wade, le pouvoir et le parti qu’il a créé doivent revenir à son fils. C’est une constante dans sa démarche. Mais au-delà de cela, l’héritage de Me Wade est national, continental et mondial. Il a été un artisan remarquable de la construction démocratique au Sénégal, avec intelligence et courage. Les forces politiques les plus significatives de l’opposition sénégalaise sont constituées par le Pds. Le Président Macky Sall, Idrissa Seck, Pape Diop, pour ne citer que ceux-là ont tous été formés et promus par Me Wade, et sont aujourd’hui parmi les leaders les plus remarqués du pays. Au plan national, toujours l’héritage de Me Wade, c’est les grandes infrastructures qu’il a réalisées ou initiées sans avoir eu le temps de les terminer. Au plan continental, c’est un grand panafricain qui s’est battu toute sa vie pour la liberté et le rayonnement du continent dans le monde.

Est-ce qu’en enrôlant ses anciens frères de parti, Macky Sall n’est pas en train de prendre les devants sur Karim Wade et Idrissa Seck ?

Encore une fois, le Président Sall semble chercher seulement à diminuer les forces de l’opposition, car personne pratiquement d’entre ces responsables n’a été promu significativement, ni dans le parti l’APR, ni dans la coalition Benno bokk yaakaar, ni dans l’État où les transhumants nommés occupent généralement des positions excentrées, pour sauvegarder l’image du régime ! Mais cette logique qui est valable pour tous les transhumants pourrait avoir des conséquences néfastes en 2019, car s’ils sont démotivés pour la plupart, ces derniers pourraient ne pas s’impliquer sur le terrain, ou tout simplement se retourner contre le candidat Macky Sall au moment où il s’y attend le moins !

PAR ASSANE MBAYE

 

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