Artiste, les mains dans la poubelle
Alioune Doucouré est de ceux-là qui savent prendre leur destin en main. Ecologiste, le jeune Thiessois utilise des déchets pour réaliser des accessoires utiles au quotidien de l’homme. De l’art à l’artisanat, la limite est très mince pour le jeune homme qui excelle aussi bien dans l’un que dans l’autre.
Regard franc, gestuelle mesurée, l’air serein, Alioune Doucouré est parmi ces jeunes modèles en termes d’esprit d’entreprenariat. A 27 ans, il a fait du recyclage ou de la récupération - c’est selon - son combat. Il veut lutter contre la dégradation de l’environnement, un engagement qui, aujourd’hui, lui permet de prendre en charge sa famille et d’élaborer de nouveaux projets. Son chiffre d’affaires s’élève à 700 000 F Cfa le mois. Un montant qui peut atteindre un ou deux million (s) de nos francs, une fois à Dakar, selon ses calculs. Salons, poufs, chaises, tables, pots de fleurs, poubelles, colliers pour chiens et chats, lits, balançoires, jouets… Bref, presque rien n’échappe à la dextérité de ses mains. Toutes ses réalisations ont pour matière première des pneus ramassés çà et là ou achetés chez des vulcanisateurs. Ce produit usé sera ensuite lavé à l’eau de javel et transformé pour entamer une nouvelle vie. Et puisque charité bien ordonnée commence par soi-même, le père de famille qu’il est a décoré sa maison avec ses propres meubles.
Outre les pneus, il utilise aussi des tissus colorés, du plastique, de la peinture, du cuir, des contre-plaqués et des éponges. Bref, presque toutes les matières susceptibles d’être transformées par un travail manuel. Surtout lorsqu’il s’agit d’objets hors d’usage, jetés dans la rue, comme si elle était une poubelle. ‘’Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu des tas de déchets trainer dans les rues de Thiès et dans celles de Dakar. Cela ne dérange personne. Pourtant, les populations sont souvent malades à cause de ces déchets. Les pneus sont souvent abandonnés dans des mares d’eau qui deviennent par la suite de vastes nids de moustiques’’, se désole-t-il.
Ce constat regrettable a créé un déclic, puis une réflexion sérieuse, qui va accoucher d’un métier qui lui vaut l’admiration, le respect et les encouragements de tous. Celui qui préfère garder un sachet d’eau vide dans sa poche plutôt que de le jeter par terre, estime que les autorités devraient agir en amont en multipliant les poubelles dans les endroits publics, afin de préserver l’environnement. L’artisan nous en donne un exemple. ‘’J’en fais toujours à partir des pneus. Sur 100 m, par exemple, je fabrique une poubelle pour tout ce qui est fer, une autre qui ne contient que du caoutchouc et la troisième du papier. Cette répartition facilite la collecte aux agents de ramassage, puisque le tri est fait, ils n’auront qu’à emporter les sacs contenus dans les pneus’’. De Dakar à Thiès, les commandes pleuvent, et ce même hors de nos frontières.
Notoriété mondiale grâce à Facebook
Marié, le jeune homme vit avec sa petite famille à Grand Thialy, un quartier niché au nord de la ville de Thiès. Discuter avec Alioune, c’est aussi accepter d’être interrompu fréquemment par de nombreux coups de fil ou messages. Son téléphone, il ne le lâche jamais. C’est sans doute pour répondre à des clients établis au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Haïti, en France, au Chili et aux Etats-Unis. La demande est forte, au point qu’Alioune pense que ‘’ne pas avoir de local à Dakar est un handicap’’. ‘’Il m’est arrivé de perdre des clients à cause de cela. L’exportation se fait à partir de la capitale et les étrangers qui sont intéressés y sont établis. C’est ma plus grande difficulté, mais cette année, je compte vraiment tout faire pour ouvrir un local à Dakar et embaucher des jeunes’’.
Cette popularité, il la doit à Facebook. Le réseau social a été un puissant moteur de son business. ‘’Ma dernière publication a enregistré 17 millions de partages en quelques jours. Les photos des commandes et de mes œuvres, je les reçois et les envoie par Whatsapp’’, affirme-t-il. Pour l’heure, par manque de temps et d’assistance, ses publications sont assez espacées. Un déficit qu’il compte combler avec l’aide d’un communicant.
En effet, Alioune Doucouré est à la fois au four et au moulin. En plus de la réalisation des commandes et de leur transport qui ne lui laissent aucun répit, il doit aussi assurer la gestion de la clientèle par les outils de communication. Il travaille seul, faute d’un cadre de travail adéquat à même de recevoir du monde.
En attendant, il fait avec les moyens qu’il a et croit savoir que son succès repose sur la compréhension et le soutien de sa femme. ‘’C’est mon âme sœur. Je suis arrivé à ce stade parce qu’elle a accepté de faire des sacrifices pour moi et pour nos enfants. Elle était là quand j’étais sans un sou. Jamais elle ne s’est plainte. Je la remercie et toute ma vie je la remercierai’’, relate-t-il avec beaucoup d’émotions. Cette dernière, qui a été à l’école d’Alioune, se débrouille bien dans la décoration ; elle aide de temps à autre son mari dans la finition de ses commandes.
Retranchée dans un coin du salon avec son bébé, elle sourit et préfère garder le silence. En attendant la réalisation de ses projets tels que la création d’une chaine de télé sur le net, spécialisée en culture, Alioune parle à ses frères sénégalais : ‘’Il faut créer, innover et ne pas tout attendre de l’Etat. Nous jeunes, nous devons créer nous-mêmes l’emploi. Beaucoup reste à faire dans ce pays. Moi, j’ai commencé comme balayeur dans les rues de Dakar. Aujourd’hui, j’ai ma propre entreprise. Il faut donc avoir de l’audace et laisser les séances de thé à longueur de journée. Il faut travailler.’’
Un parcours sinueux
C’est en 2012 que commence son aventure. Alioune faisait dans la fabrication d’œuvres d’art. Des tableaux, de la décoration d’intérieur et aussi des accessoires pour les femmes, à partir du pagne wax. Un an plus tard, il se lance dans la fabrication de chaussures, mais le marché devient saturé avec la multiplication de fabricants à travers la capitale. Le recyclage devient alors une nouvelle aventure, mais cette fois à Thiès. L’art occupe tout de même une place dans son métier. Pour les meubles comme pour les chaussures, l’artiste travaille sur commande. Son premier marché a été l’aménagement et la décoration d’une école maternelle de Thiès. Né en Guinée, Alioune est d’origine sarakolé. Il est sorti du système scolaire avec le Bfem obtenu en 2008. Entre 2008 et 2012, il a fréquenté en alternance l’Ecole d’architecture de Dakar et une école de formation en électricité et, enfin, a subi un trimestre en comptabilité. En fait, le jeune homme rêvait de devenir architecte. ‘’Je ne voulais que de cela, mais la scolarité coûtait beaucoup trop cher pour mes parents. Mes inscriptions dans les autres écoles n’ont abouti qu’à de brefs passages, parce que ce n’était pas ce que je voulais’’. En 2012, il abandonne définitivement les bancs. Un choix personnel.
Frêle, Alioune est, selon ses proches, un homme pieux, peu bavard et surtout respectueux. Yaye Ndong, une dame d’un certain âge, témoigne : ‘’Depuis qu’il est là, il ne va nulle part sans m’aviser. Il me respecte, il partage ses repas avec tout le monde. C’est un jeune homme altruiste et bien élevé.’’ Des propos que confirme son mari. ‘’Je suis responsable du ‘daara’ attenant à sa maison. Vous savez que gérer des enfants n’est pas chose facile. Ils font beaucoup de bruit, souvent ils entrent chez lui ou mangent chez lui. Alioune ne s’en est jamais plaint ; au contraire, il leur explique des fois son métier’’. Souley, son meilleur ami, révèle que le jeune entrepreneur adore les débats sur des questions sociétales, même si, très souvent, son travail lui prend tout son temps, au point qu’il oublie de manger. ‘’Alioune ne connait ni pause ni repos’’, lance-t-il tout sourire.
Emmanuella Marame Faye (stagiaire)