Le ndogu des bons samaritains, le dîner des pervers
La vie de Sans domicile fixe est difficile pendant ce mois de ramadan. Entre le manque de repas pour le ''xëdd'' (repas de l'aube), un ndogu (rupture du jeûne) et un dîner incertains, les Sdf ne savent pas à quel saint se vouer. Mais certaines s'en tirent bien avec leurs charmes. Reportage.
Ils ont le sourire forcé, des visages sombres marqués par le poids des infortunes de la vie et un carton pour dortoir. Ils trimbalent des sacs ou des colis sur les trottoirs vides, en cette heure où Dakar s'anime à pas feutrés. L'appel du muezzin de la mosquée de la Zawiya El Hadji Malick Sy, à Dakar, à potron-minet rappelle qu'on est en plein mois du ramadan. C'est l’heure du ''xëdd'', premier repas qui marque le début du jeûne. La rue Jules Ferry, loin de son train train grouillant de jour ouvrable et mal éclairée par des néons, accueille les premiers piétons. Ils dépassent des ''habitants'' particuliers en famille ou en solitaire, des Sans domicile fixe (Sdf).
Il est 5h 10mn du matin, tasse d’eau à sa main gauche, un pain sec sur la main droite et trois dattes, Badou, la trentaine, chemise carrelée entrouverte, raconte sa galère de ce mois béni pour les musulmans du monde entier. ''Il est difficile pour nous de faire le xëdd, tout comme pour le ndogu (rupture) du jeûne'', se plaint cet ancien élève coranique qui vit dans les rues de Dakar depuis l’âge de 15 ans. A quelques pas de lui, en face de la pharmacie Guigon, une femme maigrichonne, un foulard mal noué sur la tête. Nommons-la Nogaye. Flanquée de trois enfants, les siens à l'en croire, dont deux jumelles de cinq ans et un garçon de huit mois entre les bras, la dame avoue qu’il lui est parfois difficile de jeûner, car ne trouvant rien à se mettre sous la dent. Or elle doit allaiter : ''Comment puis-je jeûner tous les jours si je n’ai pas de quoi manger, et vu ma situation de maman. Vous voyez comme je suis chétive'', dit Nogaye, juste 25 ans, originaire du centre du pays, chassée de chez elle par ses parents pour grossesse hors mariage, d'après la concernée.
''Mon premier ramadan dans la rue''
Plus loin sur la Place de l’Indépendance, camouflée dans une perruque pour ne pas être reconnue, Binette est une nouvelle arrivée dans la communauté des Sdf. ''Je suis dans la rue depuis deux mois, dit-elle, une moitié de baguette de pain en main et une tasse de lait. Le ramadan des Sdf que nous sommes est difficile, c’est mon premier ramadan dans la rue et j’en sais quelque chose''.
Vers 13 heures, sur les rebords de la route et à quelques mètres d'eaux stagnantes d’où s’échappent une odeur nauséabonde, une famille malienne composée du père, plus de la soixantaine, d’une femme, la quarantaine, et de leur trois filles (5, 8 et 12 ans) dit chercher pitance pour le nodgu, dans un Wolof des plus approximatifs. ''Aujourd’hui, le jeûne a été dur, il faut qu’on trouve vite de quoi manger sinon la nuit va être difficile pour nous'', informe le couple installé à Dakar depuis plus de six ans.
Bons samaritains et mosquées à la rescousse
A quelques minutes de la rupture, et même s’ils paraissent épuisés, certains Sdf font montre d’énergie à revendre ; ils se livrent, comme un effort de survie, à des sprints de Jeux olympiques – sauf que ce n'est pas un jeu – à la vue d’un bienfaiteur qui apporte des mets. A l’entrée des Maristes, une voiture 4x4 de couleur grise s'arrête, à l’intérieur une dame de teint clair baisse une vitre et tend un sachet bleu rempli d'aliments. C'est la ruée d'homme, femmes, jeunes ou vieux vers ce ''trésor'', car le premier arrivé est servi. Plus rapide et plus agile, la jeune Fanta, 8 ans, remporte la course et obtint la médaille du ''ndogu''. Sa mère, la soixantaine, n’ayant plus les jambes pour courir assez vite, est sauvée par sa fillette : ''Chaque jour, à l’heure de la rupture, elle m’apporte à manger grâce à sa vitesse'', narre la dame, toute fière de sa Fanta. A défaut de tomber sur un ''ndogu'' de croissants, lait en poudre, sucre et dattes, d'autres se contentent de pains et dattes qu’un vieux, barbe à la Oustaz Alioune Sall, leur distribue.
Démarche titubante, le jeune Dame, Sdf à Khar Yalla prend le chemin menant à une mosquée de la localité. Il espère y trouver à manger après une journée de quête bredouille. ''Je vais à la mosquée de Khar Yalla pour couper le jeûne car là-bas, on trouvera forcément un ndogu'', soutient le jeune homme au sourire édenté. Il est accompagné de son ami de rue de plus de trois ans, Ibnou, habillé d'un grand boubou traditionnel de couleur verte. Lui ne fait pas mystère de ce qu'il cherche à la mosquée : ''Moi, je n’y vais pas pour prier, mais juste pour manger et après, je n’attends pas la prière.''
Le dîner des pervers…
L’équation du ndogu résolue, reste celle du dîner. A ce propos, les filles et femmes n’auraient pas trop de peine à trouver donneur, ce qui n'est pas le cas pour les hommes. ''Le dîner, c’est le repas des femmes'', déclare Badou, le Sdf de Sandaga. Binette, à la Place de l’Indépendance, belle et jeune, avec une poitrine bien dotée qu’elle ne se prive pas de mettre en valeur au moyen d'un décolleté, fait mouche. ''Il peut arriver que je dîne trois fois la nuit en mangeant divers repas : sandwichs, hamburgers ou autres'', confesse-t-elle, sourire malicieux. Les invitations pleuvent sur elle : ''Ce sont les commerçants de Sandaga, les taximen ou, parfois, des hommes dans des voitures qui me proposent le dîner''. Une ''bienfaisance'' non sans arrière-pensée : ''Parfois, ce sont des branlettes, des pipes ou le sexe. Cela dépend de l'importance du dîner proposé'', lâche Binette. Exposée à ce même cas de figure, Nogaye est la cible de pervers. ''Pour avoir le dîner, des taximen et commerçants de Sandaga viennent me proposer des choses pas catholiques que je fais pour trouver à manger pour mes enfants et moi'', souffle-t-elle tristement.
Des actes que les hommes Sdf dénoncent tout en ayant conscience qu’ils n’y peuvent rien. ''Les Sénégalais ne sont pas des croyants ; comment, pendant ce mois béni, on peut se permettre certains vagabondages, vocifère Badou. On fait tout pour arrêter ça mais ils (les pervers) nous disent qu'on n'est rien. Quand on avise la police, c’est toujours la même réponse : ''ok''''. Pis, selon Badou, même les jeunes garçons seraient pris dans l’étau de pédophiles : ''Les homosexuels viennent, ici, pour faire du n’importe quoi avec les enfants''.
MAMADOU LAMINE SANÉ