Variants et impuissance publique
Le silence presque audible des autorités sénégalaises sur le variant britannique du coronavirus, a de quoi laisser perplexe, d’autant plus que rien ne permet de dire, à l’étape actuelle de la contagiosité, que les choses s’arrangent pour les potentiels contaminables que nous sommes. Avec un taux de positivité qui tourne autour de 14,59 % à l’échelle nationale au jour d’aujourd’hui, allant parfois flirter avec les 15 % sans qu’aucun facteur ne permette d’augurer de jours meilleurs à court terme, l’on est enclin à déduire que les mesures coercitives prises par le gouvernement pour freiner les contagions et annihiler le virus, sont proprement inefficaces.
On l’avait dit ici : le couvre-feu ne sert à rien ; au mieux, stabilise-t-il une situation qu’on gagnerait à endiguer ; au pire, débride-t-il l’odyssée mortifère d’une pandémie qui n’a pas encore révélé tous ses sordides secrets et qui interloque au quotidien le monde scientifique par la densité de ses variantes et par leurs subtiles métamorphoses. Les condamnant, ipso facto, à une vigilance quotidienne plus accrue, à une ingéniosité qui, à force d’être sollicitée et par les politiques et par une opinion publique de plus en plus agacée, fini elle-même par s’épuiser.
Mais l’épuisement n’est pas de mise ; ni pour les scientifiques ni pour les politiques. Et pourtant, face au variant britannique de la Covid-19, l’état n’a pas encore cru devoir prendre de nouvelles mesures, laissant, semble-il, un certain fatalisme fait de dépit et de lassitude, guider le reste des évènements. Les mesures qui ont été valables pour contrer la contagion dans son expression première qui, jusqu’au mois de janvier, nous paraissait encore somme toute banale, ne sauraient plus être de mise avec la réalité qui s’établit sous nos yeux. Car le variant britannique de la Covid-19, à l’instar de son cousin sud-africain, porte deux mutations : le N501Y qui rend les variants plus contagieux, et le E484K qui les rend plus résistants. Et le coronavirus, nous le savons désormais, mute tout le temps ; et les mutations les plus adaptées à l’environnement dans lequel elles s’établissent, y survivent tranquillement…
Ce ne sont pas de bonnes nouvelles ; elles indiquent clairement que le chemin qui nous sépare des solutions significatives à ce mal planétaire se complique plus de la nature même du mal que des capacités politiques à nous en affranchir. Mais cela n’exonère pas les pouvoirs publics du devoir d’imaginer : la mortalité de plus en plus grande qu’induit la pandémie, les détresses qu’elle suscite au quotidien, parfois avec une brutalité déconcertante, exige des dirigeants qu’ils traquent le mal par la célérité de leurs réactions anticipatives et protectrices. Les seules appréhensions économiques ne devraient plus être le seul critère de l’action publique dans les couloirs où nous sommes désormais acculés. Le coronavirus dresse devant nous par ses variants inquiétants et les variantes de ces variants, des menaces inédites ; une guerre frontale et asymétrique à la fois ; franche et perverse.
Alors, faut-il confiner ? Certes oui, mais région après région, selon la prégnance des contagions et des morbidités qu’elles induisent ; vacciner vite au sein de ces communautés, puisque l’on nous annonce la disponibilité prochaine des premiers vaccins, en supposant qu’ils soient même partiellement efficaces ; contraindre plus que l’on ne l’a encore jamais fait les populations à une discipline des gestes barrières ; à un réflexe quasi-pavlovien de l’hygiène, avec la menace de la répression des contrevenants. C’est grâce à cette rigueur que des pays comme la Chine ont obtenu des résultats spectaculaires aux heures des premières manifestations du sinistre virus.
Certes, à ces mesures internes, doit se greffer la solidarité internationale. Difficile de s’extirper des méandres que tracent les nouveaux variants sans cette solidarité. Celle-ci doit d’abord mettre à la disposition des pays les plus pauvres les vaccins les plus utiles. Le Forum de Paris sur la paix, tenu le 12 novembre 2020, a très justement évoqué la nécessité d’’’un multilatéralisme plus solidaire face à la Covid’’. Encore, faudrait-il qu’il ne s’agisse pas de vœux pieux...
En même temps, la complexité des nouveaux variants qui surgissent tous azimuts rend plus difficile la fabrication d’un vaccin viable et rend discutable l’efficacité de ceux existants. Ce qui fait justement dire que les Occidentaux ne sont pas plus sortis de l’auberge que nous.
Dans l’attente d’un vaccin approprié aux nouvelles menaces et qui rendrait définitivement possibles pour tous, les chances d’éradication du coronavirus sous quelque forme qu’il lui plaise de se régénérer, il revient à nos pouvoirs, aux décideurs du Sénégal, en l’occurrence, de reprendre l’initiative quant à la circonscription du mal ; de protéger bien plus qu’au-delà de la publication quotidienne de chiffres, pas toujours exhaustifs d’ailleurs, sur le niveau de contagiosité et de mortalité de nos populations.