COVID-19 : Non-dits et prudence stratégique
C’est encore l’OMS qui nous alarme sur les périls, toujours vaguement perçus, du coronavirus, sur l’Afrique. L’organisation onusienne annonce 40 % de décès en un mois sur le continent et estime que le nombre de morts devrait atteindre les 100 000 dans les tous prochains jours.
Un chiffre qui prêterait à sourire, au-delà des frontières de l’Afrique où il est largement dépassé à l’échelle des nations, s’assimilant, chez certains, à un indubitable péril national.
Au niveau des pays, l’Afrique semble bien éloignée de cette réalité ; mais c’est la fulgurance avec laquelle les contaminations se font, depuis à peu près trois mois, qui fait redouter, à plus ou moins brève échéance, un péril bien plus grand que celui observé au-delà de la Méditerranée ou Outre-Atlantique.
Au Sénégal, le taux de contamination inflige au tableau des chiffres, depuis décembre 2020, une oscillation entre 13 et 17 %. Elément rassurant, cependant : le taux de guérison, qui se chiffre à 88 % des personnes mises sous traitement et qui peut être le signe indicateur d’une certaine maitrise de la situation.
Mais bien sûr, sans le paramètre des variants, dont les mutations aussi diverses que complexes hypothèquent les chances d’un vaccin fiable et rendent difficiles les protocoles de circonscription pour toutes les entités thérapeutiques du monde. C’est, au demeurant, la raison pour laquelle, et politiques et scientifiques, plus qu’aujourd’hui qu’hier, indiquent qu’une prompte sortie de la funeste pandémie appelle une solidarité internationale sans faille et une coopération scientifique de la même facture. De Johannesburg à Londres, en passant par Rio, les variants du coronavirus hissent leur tête macabre et narguent toute la science planétaire de leur intelligence létale. Toute panacée qui se voudrait nationale, voire identitaire, est condamnée à l’impuissance.
D’autant plus que les nouveaux dangers que ces variants font poindre sont chaque jour plus sidérants : au Sénégal, les docteurs Mamadou Mansour Diouf du CHU de Bordeaux en France et Boubacar Signaté, médecin-urgentiste à SOS Médecin à Dakar, attirent l’attention des pouvoirs publics sur les sérieux risques d’impuissance sexuel irréversibles, chez les hommes guéris de la Covid-19. Etant donné que celui-ci affecte les vaisseaux sanguins en provocant la coagulation du sang qui y passe, l’on n’est pas surpris de ces implications.
Obstruction des vaisseaux sanguins qui irriguent l’organe sexuel, provocant donc impuissance ou priapisme nécessitant une intervention chirurgicale rapide. C’est par les mêmes effets pervers que le sang qui passe par les poumons est coagulé et provoque les embolies pulmonaires qui ont pu être à l’origine des morts subites que l’on a pu observer ces derniers temps dans les rues de Dakar et ses environs, sans que les pouvoirs publics aient pu être à même d’expliquer de la façon la plus officielle possible les origines du mal et ses expressions collatérales sur les fonctions érectiles, le foie, les reins, le cerveau…
Volonté délibérée d’éviter une panique collective qui serait d’autant plus désastreuse qu’elle ressusciterait dans l’imaginaire collectif les croyances, les mythes et les rumeurs qui, dans le contexte des menaces peu ou prou discernables, alimentent les peurs et hypothèquent l’efficacité de l’action publique. Soit ! Mais l’ignorance peut avoir des effets autrement plus dangereux sur les réflexes thérapeutiques individuels qui sont toujours la première parade aux sinistres de masse.
A cette pudeur délibérément affichée sur les conséquences du mal, même guéri, dans ses manifestations cliniques les plus spectaculaires, s’ajoute l’inefficacité des mesures prises jusqu’ici pour contenir le virus. On l’a dit ici : le couvre-feu de 21 h à 6 h ne sert à rien ; cela est vrai pour Dakar comme pour Thiès ; un confinement eût indubitablement été plus utile dans ces régions, en ce sens qu’il eût réduit les flux humains qui, aux heures de pointe, cristallisent et dans les transports publics et dans les marchés et commerces la population active. Naturellement, autant les conditions économiques du pays que l’ire prévisible des populations ne s’y prêtaient ; les pouvoirs publics ont pris en considération ces paramètres et ont jugé plus réaliste d’user d’une procédure plus digeste et politiquement moins risquée : en décidant de ce couvre-feu aux apparences de fermeté et en renvoyant les populations à leur seul instinct de survie par des recommandations au ton ferme, mais en toute absence de contrôle.
Ce choix du saupoudrage politique a relégué à la seule opérationnalité sanitaire l’initiative de l’action. Celle-ci n’a réussi qu’à stabiliser les cas guéris, avec les implications décrites plus haut et sans le suivi qu’ils eussent dû appeler instantanément.
Sans doute, les pouvoirs publics espèrent-ils de la prochaine étape qui sera celle de la vaccination, le moment de leur efficacité ! Prendre des actes plus coercitifs concomitamment à une vaccination de masse. En effet, aucune autre stratégie d’affranchissement du contexte Covid n’est aujourd’hui possible sans la vaccination ; son adoption diligente greffée sur des stratégies nationales, ‘’prudentes et progressives’’, pourra favoriser les premiers signes du recul des contaminations et de la morbidité. Prudentes et progressives ? Oui, car nul ne sait le niveau de morbidité de tous ces vaccins qui afflueront sur le continent ; celui de leurs effets secondaires ou tout simplement de leur efficacité.
La volonté légitime d’en finir avec ce virus qui hypothèque tout, depuis bientôt deux ans, ne saurait définitivement légitimer toutes les permissivités, toutes les solutions, des plus saines aux moins orthodoxes et qui reviendraient à faire des citoyens africains en général, sénégalais en particulier, les cobayes des limites scientifiques de notre époque, et de l’impéritie politique de nos gouvernants. Et il appartient justement à ceux-ci d’y veiller.