Publié le 17 Mar 2021 - 04:29
LUTTE - INCERTITUDES AU-TOUR DU REDEMARRAGE

L’arène aux abois, les lutteurs dans la dèche

 

L’arène sénégalaise fait partie des secteurs les plus touchés par la Covid-19.  Si la quasi-totalité des championnats a redémarré en début d'année, aucun combat ne s’est encore déroulé. Par conséquent, aucune rentrée d’argent pour bon nombre de lutteurs dont c’est la principale activité. Certains d’entre eux ne cachent pas leurs inquiétudes, si la situation ne se décante pas.

 

A pareil moment de l’année, les bandes annonces des combats pullulaient déjà sur les chaînes de télévision. La tension montait pour des combats devant se tenir parfois une année plus tard. Les polémistes et supporters commençaient alors à animer les grand-places. Des affiches des ténors, des espoirs et des petits combats, la couleur était déjà annoncée. Mais, à l’heure actuelle, un nombre infime de combats a été ficelé sans être sûr de se tenir.

Initialement prévue pour le 1er mars, l’ouverture de la saison de lutte 2021 tarde à se concrétiser. Et pour cause ! Les promoteurs ne comptent pas s’aventurer à investir leurs capitaux dans le montage de combats, alors que le public, une source de revenu importante, n’y aura pas accès. ‘’Les promoteurs qui sont prêts et qui peuvent venir régulariser les combats qu’ils avaient montés au niveau du bureau du CNG seront autorisés, avec l’accompagnement du CNG, à organiser leurs combats, à partir du 1er mars, à huis clos, avec le respect des mesures sanitaires’’, disait le porte-parole du Comité national de gestion de la lutte (CNG), Adama Bopp, à nos confrères d’Emedia.

Aussi difficile que cette mesure puisse être pour les promoteurs, elle l’est encore plus pour les lutteurs qui, même en temps normal, n’arrivaient pas tous à décrocher un contrat. L’un d’eux, Malick Dionne, plus connu sous le surnom de ‘’Gris 2’’, témoigne : ‘’C’est très dur ! Pour mon cas, j’ai reçu une avance pour affronter Abdou Diouf, il y a presque deux ans. A quelques mois de la date du combat, la Covid est arrivée. J’ai préparé le combat à trois reprises sans qu’il ne se tienne. Et à chaque fois, j’ai dépensé beaucoup d’argent pour m’attacher les services d’un préparateur physique et le régime alimentaire qui sied. Là, je peux dire que l’argent qu’on m’avait donné est épuisé. Je roule sur fonds propres, sans savoir quand nous allons en découdre’’, révèle le Fassois.

Son homologue, Sa Thiès, pensionnaire de l’école de lutte Double Less, abonde dans le même sens. ‘’On vit actuellement beaucoup de difficultés. La lutte est notre gagne-pain ; on a des familles à nourrir et beaucoup de personnes qui comptent sur nous. Mais je rends grâce à Dieu qui a mis sur mon chemin des personnes qui m’aident financièrement. Les promoteurs veulent des combats, mais c’est impossible sans sponsor’’.                                      

Des interrogations sur l’avenir de la lutte 

Les professionnels de la lutte s’interrogent sur les lendemains de leur discipline sportive, qui traversait déjà des difficultés avant l’apparition du nouveau coronavirus, avec la fuite des sponsors, l’insuffisance des finances, la prégnance de la violence dans l’arène. A ces maux chroniques de la discipline, viennent s’ajouter la crise sanitaire liée à la Covid-19 avec son lot de souffrances. La situation est loin de se décanter, malgré les 27 millions du fonds Covid octroyés aux promoteurs de lutte, il y a quelques mois. Une somme dérisoire par rapport au milliard trois cents millions alloué au sport. ‘’Nous n’avons pas besoin qu’on nous donne de l’argent ; juste qu’on rouvre l’arène’’, argue Sa Thiès, pour qui la réouverture de l’arène est une question de survie.

 La léthargie dans laquelle se trouve le monde de la lutte a obligé certains amoureux du ‘’sport de chez nous’’ à changer de cap. Thiatou Falang est l’un d’eux. La lutte était devenue sa seule activité ; il nourrissait le rêve de devenir un jour le Roi des arènes. Hélas ! Le fils de Diender ne dépasse pas les combats préliminaires, rémunérés pas plus de 200 000 F CFA.

Avec la longue traversée du désert de son sport favori, le jeune homme est obligé de trouver un palliatif. ‘’Actuellement, je suis carreleur. C’est le métier que je faisais avant d’embrasser la lutte. Je l’ai repris, car je ne peux me permettre de rester à ne rien faire, alors que rien n’est sûr’’, confie-t-il. Mais il n’a pas pour autant lâché la lutte. ‘’Je m’entraine à chaque fois que j’ai un peu de temps libre. Si les choses reviennent à la normale, je remettrai mon ‘nguimb’’’, promet-il.

Les lutteurs ne sont pas les seuls à subir la crise que traverse la discipline. Iba Kane, journaliste spécialiste en lutte, plaide pour une subvention de l’Etat à l’endroit des promoteurs, pour combler le gap de l’absence du public. ‘’Je pense que c’est la première fois, dans l’histoire de la lutte, qu’on reste aussi longtemps sans la pratiquer au Sénégal. L’arène est fortement impactée par la Covid. Tout le monde en souffre, des ténors aux espoirs, en passant par les comédiens de l’arène. Même nous les journalistes sportifs sommes impactés. L’Etat doit faire un geste à l’endroit des promoteurs. Ce sont des privés ; ils ne prendront pas le risque d’investir dans ce contexte’’, confie le reporter du quotidien sportif ‘’Sunu Lamb’’.

Le ministre sénégalais de la Justice, Me Malick Sall, a déclaré, sur France 24, que les lutteurs, privés de leur passion depuis fort longtemps, ont été les responsables des violences notées lors des manifestations dans les rues de Dakar, il y deux semaines. Une déclaration qui a provoqué l’ire du monde de la lutte sénégalaise.

Cependant, c’est connu de tous que certains lutteurs se transforment en ‘’garde du corps’’ au service des politiques. Et leur nombre pourrait augmenter considérablement, si rien n’est fait pour sauver l’arène sénégalaise.

En attendant de trouver une solution définitive aux problèmes de la lutte, les acteurs du ‘’sport de chez nous’’ peuvent retrouver le sourire, à la suite de l’annonce du ministère des Sports, vendredi dernier, du retour du public dans les stades.

‘‘Maintenant que le président de la République a allégé le couvre-feu, ramené désormais de minuit à 5 h, et pris la décision de lever l’état de catastrophe sanitaire à partir du 19 mars prochain, les conditions sont réunies pour une reprise des compétitions sportives suivant d’autres modalités à définir et à arrêter’’, a déclaré Matar Ba.

SOKHNA ANTA NDIAYE (STAGIAIRE)

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