L'engrenage de la bêtise
Le trafic routier sur le corridor Bamako – Dakar a été suspendu, mardi, après les échauffourées survenues dimanche dernier, entre des populations sénégalaises et des conducteurs de camion maliens à Kaolack. Ces échauffourées, on le sait, ont fait suite au tragique accident de la circulation survenu une semaine plus tôt à Kaolack entre un taxi de la localité et un gros-porteur malien.
C'est le Syndicat des chauffeurs routiers malien qui a unilatéralement pris cette décision, attendant de la part des autorités sénégalaises des garanties sur la sécurité des camions maliens qui, par centaines, empruntent ce corridor particulièrement vital pour l'économie sénégalaise, mais plus objectivement pour les économies des deux pays.
En tout cas, le secrétaire général des acteurs portuaires du Sénégal ne s'y est pas trompé, rappelant, devant l'ire des populations de Kaolack, que "les 1 000 camions de transport de marchandises maliens qui viennent quotidiennement au Sénégal, font rentrer 253 milliards de francs CFA par an, en termes de recettes dans l'économie sénégalaise". Dont acte.
Savoir donc lucidité garder en dehors de la douleur et de l'indéniable responsabilité du camion fou dans l'accident spectaculaire du 15 août dernier. Le conducteur, en état d'ivresse, dormait. Et cet énième accident vient s'ajouter à la longue liste de ceux qui ont lieu de façon récurrente sur le même itinéraire et souvent par les mêmes acteurs du trafic routier malien à destination du Sénégal.
Oui, il y avait matière à irritation, mais pas au point de livrer les routiers maliens en victimes expiatoires du grand mal endémique de la sécurité routière au Sénégal et dont nous avions, dans une récente chronique, énuméré les causes. Pas au point surtout de perdre de vue que le corridor Dakar - Bamako est stratégique pour l'économie sénégalaise et que des milliers de familles en sont directement tributaires. Là encore, l'éruption de l'émotion a libéré le geyser de la bêtise cyclique qui, dans un premier temps, a jeté les Kaolackois sur les camions maliens dans une furie destructrice et aveugle et, dans un deuxième temps, a suscité les représailles maliennes dans la partie malienne du corridor, contre les routiers sénégalais, dans la même logique de l'impasse imbécile.
Et l'on aurait pu s'engouffrer dans un engrenage totalement incontrôlable, si les autorités en charge des deux pays n'étaient pas intervenues à temps pour appeler au calme et si le très puissant syndicat malien des transporteurs routiers n’avait, de façon très responsable, reconnu les incivilités des leurs et promis un contrôle plus regardant sur leurs comportements.
Est-on pour autant sorti de l'auberge ? Non, car tant que les routes resteront défectueuses sur le tronçon, un drame est toujours possible ; non tant que de vraies campagnes de sensibilisation ne seront pas organisées, dans un souci de réduction des accidents mortels, par les acteurs des deux pays ; non, tant que des voies de contournement ne seront pas créées dans l'objectif d'éviter les agglomérations que traversent actuellement les gros-porteurs, à des vitesses folles. Dakar - Bamako, c'est 1 350 km de routes et d'impondérables... 1350 km de risques potentiels d'accident, de possibilités d'épuisement aussi. Car si ce sont des machines qui sont conduites, ce sont des hommes qui les conduisent et le risque est bien là de l'épuisement humain et de ses conséquences tragiques.
Il faut donc prévoir des aires de stationnement et de repos sécurisés, avec l'accompagnement de volumes horaires standards qui humanisent un trafic que la routine des choses et les impératifs économiques ont fini par rendre mécaniques.
Enfin, il est sans doute utile de rappeler aux professionnels de la vindicte populaire et de la bêtise érigée en justice, qu'un accident n'est jamais qu'un accident et que de le conjurer appelle notre imagination, notre détermination et notre exemplarité, souvent façonnées par les lois que nous nous donnons. La violence, elle, produit tout, sauf l'éradication du mal...