Les députés de Yewwi demandent une enquête parlementaire
Les députés de l’opposition se sont saisis de cette affaire au parfum de scandale.
Comment lever l’opacité autour du contrat passé entre le ministère de l’Environnement du Sénégal et la société ‘’LAVIE COMMERCIAL BROKERS’’, détenue par un douteux marchand d’armes nigérien ? Les explications du gouvernement n’ont pas convaincu les députés de l’opposition. Dans une note, le membre du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, Abass Fall, informe l’opinion de la lettre qu’il a adressée hier au président de l’Assemblée nationale. A Amadou Mame Diop, le président de la commission Énergie et Ressources minérales demande ‘’l'ouverture d'une enquête parlementaire portant sur le contrat de 45 milliards signé par les Ministres de l'Environnement et des Finances d'alors (décembre 2021 ndlr).’’
Après le Forum civil, section sénégalaise de Transparency international, les représentants du peuple comptent mener leurs propres investigations, afin de tirer au clair une transaction aux allures de scandale. Conformément aux dispositions de l’article 48 du Règlement intérieur, l’Assemblée est habilitée, par une résolution, à créer des Commissions d’enquête chargées de recueillir des informations sur des faits déterminés.
Révélée mardi dernier sur le site de l’OCCRP (l’Organized Crime and Corruption Reporting Project), un regroupement de journalistes internationaux spécialisés sur la corruption et le crime organisé, cette affaire implique au moins l’ancien ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdou Karim Sall et son collègue ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo. Et vu les antécédents du vendeur, mis en cause dans les actions frauduleuses au Niger et au Nigéria, les suspicions concernent le respect du code des marchés publics, une surévaluation des montants réels, l’implication de matériels non conformes à des commandes d’armement, etc.
Le gouvernement veut éteindre le feu
Dans ses explications, le Porte-parole du Gouvernement, Abdou Karim Fofana, a soutenu que ‘’le contrat dont il est question a été passé, conformément à la réglementation en vigueur. Il a été approuvé par les services compétents de l’État, sous le sceau du ‘’secret défense’’, conformément aux dispositions du décret 2020-876 du 25 mars 2020 complétant l’article 3 du décret 2014 -1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics, modifié par le décret 2022-22 du 7 janvier 2020 qui exclut du champ d’application du Code des marchés publics les travaux, fournitures, prestation de services et équipements réalisés pour La Défense et la sécurité du Sénégal et classé ‘’Secret Défense’’ qui sont incompatibles avec les mesures de publicité exigées par le code des marchés publics’’.
Signé par le président de la République Macky Sall, le décret n°2020-876 complétant l'article 3 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des Marchés publics, modifié par le décret n°2020-22 du 07 janvier 2020 dispose précisément, en son article premier : ‘’II est ajouté à l'alinéa 3 de l'article 3 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des Marchés publics, modifié par le décret n° 2020-22 du 07 janvier 2020 un point c ainsi rédigé : ‘’c) Les travaux, fournitures, prestations de service et équipements réalisés pour la défense et la sécurité du Sénégal, engagés par les Forces armées, la Police nationale et la Brigade nationale des Sapeurs-pompiers et lorsqu'ils sont incompatibles avec les mesures de publicité prévues par le Code des Marchés publics parce qu'exigeant le secret et la protection des intérêts essentiels de l'Etat.’’
Le décret évoqué ne parle ni du ministère de l’Environnement, ni de la direction des eaux et forêts
Ainsi, le décret précise les organismes habilités à passer ce genre de commandes : les ‘’Forces armées, la Police nationale et la Brigade nationale des Sapeurs-pompiers’’. Le ministère de l’Environnement n’est nullement cité dans ce décret. Toutefois, dans son communiqué, le ministre porte-parole du gouvernement a précisé que ‘’le ministère de l’Environnement est fondé à passer des contrats d’armement au profit des Directions en charge des Eaux, Forêts, Chasses, Conservation des Sols et Parcs nationaux qui sont assimilés aux forces de sécurité et de défense conformément au décret N°2021-563 du 10 mai 2021.’’ Nos tentatives de nous procurer ce décret sur le site du journal officiel du gouvernement ont été sans succès.
Un manquement évident du communiqué du gouvernement est qu’il est complètement aphone sur le fournisseur de ces armes. Aboubakar Hima, dit ‘’Petit Boubé’’ a fondé sa société Lavie Commercial Brokers au Sénégal en novembre 2021. Deux mois plus tard, il a obtenu un contrat d’armement de 45 milliards de francs CFA.
Une annexe du contrat fouillé par l’OCCRP révèle qu’une délégation sénégalaise s’est rendue à Dubaï, en classe business et logé dans un hôtel 5 étoiles, pour inspecter les armes. Aussi, les prix unitaires sur les différents matériels achetés ne sont pas divulgués. Seuls le montant global de l’opération est mis sur le contrat.
A l’Assemblée nationale de décider…
Si la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale peut laisser entrevoir un éclaircissement ‘’parlementaire’’ de cette affaire pour les Sénégalais, ces derniers devront prendre leur mal. Car, l’article 48 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale précise que les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés et soumettre leurs conclusions à l'Assemblée nationale. Il ne peut être créé de commission d'enquête, lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin, dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création.
Il poursuit : Les commissions d'enquête ont un caractère temporaire. Leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport et au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois, à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées. Elles ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois, à compter de la fin de la mission.
Il faut également savoir que tous les membres des commissions d'enquête, ainsi que ceux qui, à un titre quelconque, assistent ou participent à leurs travaux, sont tenus au secret. Toute infraction à cette disposition sera punie des peines prévues à l'article 363 du Code pénal. L'Assemblée nationale peut, seule, décider, après audition du rapport et discussion, par un vote spécial, la publication de tout ou partie du rapport d'une commission d'enquête. Seront punis des peines prévues par l'article 363 du Code pénal, ceux qui publieront une information relative aux travaux, aux délibérations, aux actes ou aux rapports non publiés des commissions d'enquête (article 5 de l'ordonnance n°60-14 du 3 septembre 1960). Les délibérations des commissions d’enquête se déroulent à huis clos.
Lamine Diouf