Les vérités de Boubacar Camara
Croissance, hausse des prix, endettement, dépendance envers les bailleurs… Boubacar Camara a fait la leçon aux tenants du régime, lors de l’émission ‘’Jury du dimanche’’, hier.
Boubacar Camara est d’une race de politiciens qui semble en voie de disparition au Sénégal. Au moment où les uns et les autres s’illustrent à coups de détournements de milliards ou d’injures et d’invectives, lui est souvent dans le débat de fond. Ses critiques contre le régime sont dument argumentées. Mais surtout, ils sont souvent accompagnés de propositions qui méritent d’être posées sur la table et discutées par les différents acteurs du landerneau politique.
Hier, dans ‘’Jury du dimanche’’ avec Mamoudou Ibra Kane, l’ancien directeur général des Douanes est largement revenu sur la hausse quasi généralisée des prix, dans un contexte où le gouvernement annonçait 2023 comme ‘’année sociale’’. D’emblée, le douanier a tenu à dénoncer la politique de l’enfumage du gouvernement qui, depuis le 30 décembre, savait que le prix de l’électricité doit augmenter. ‘’La Commission de régulation de l’énergie avait dit OK : il faut aller dans cette direction, c’est-à-dire dans le sens d’une augmentation des prix de l’électricité, mais le président n’en a pas parlé dans son discours à la Nation. C’est une politique de l’enfumage. On ne dit pas la vérité aux Sénégalais’’, a-t-il souligné, non sans relever que ces mesures vont permettre à l’État de récupérer une manne financière estimée à 158 milliards F CFA, compte non tenu des taxes qui vont avec, à peu près 60 % du coût, dans le but de financer un déficit de 5,5 %.
Pourtant, les solutions ne manquent pas, selon M. Camara. À la place du gouvernement, il aurait, selon son propos, opté pour une réduction de l’ensemble des dépenses qui renforcent la consommation inutile de l’énergie. ‘’Il faut revoir la politique de consommation d’énergie, promouvoir le solaire et encourager les entreprises à aller vers le solaire, au lieu de continuer à s’approvisionner auprès de la Senelec. Et pour promouvoir le solaire, il faut deux choses : casser l’exclusivité de la Senelec sur les achats d’énergie solaire et enlever les taxes. Aujourd’hui, si vous faites du solaire, vous êtes obligés de vendre à la Senelec. Il faut libéraliser et permettre aux entreprises de vendre à tout le monde. Si on le fait, le secteur va se développer’’, analyse l’expert qui met en exergue un paradoxe : ‘’Au moment où l’on décide de cette hausse, le prix du baril est en train de baisser à l’échelle internationale. On est autour de 70 dollars. L’augmentation n’est donc pas liée à une répercussion d’un choc exogène, mais au fait qu’il y a un équilibre introuvable du budget.’’
De l’avis de l’inspecteur général d’État, cette hausse s’explique surtout par l’obligation pour l’État de satisfaire les exigences des bailleurs de fonds. Dans un exposé très pédagogique, il montre pourquoi le Sénégal ne peut passer outre les injonctions des partenaires techniques et financiers, notamment les institutions de Bretton Woods. Il explique : ‘’On ne peut dire non (aux bailleurs) quand on finance son économie avec l’endettement. Le problème est qu’en 2012, on était autour de 40 % de taux d’endettement. Et tout le monde disait que c’était élevé. La réponse était que ce taux était soutenable. Mais entre 2012 et maintenant, il y a eu une augmentation presque exponentielle. On se situe autour du plafond de 70 % fixé par les critères de convergence et ce sont des critères que ceux qui prêtent regardent de manière scrupuleuse. Si on dépend de ces emprunts, on est obligé de s’ajuster et c’est ce qui est arrivé’’.
‘’Nous sommes habitués au paradoxe avec ce gouvernement’’
Des solutions, M. Camara en a gogo et en a largement parlé dans son ouvrage. En ce qui concerne l’endettement, il préconise de partir des ressources naturelles et de structurer l’économie autour de ces ressources. ‘’Sur la base de ces ressources naturelles, vous structurez des financements et vous levez des fonds pour financer l’économie, au lieu de les brader ou de signer des contrats n’importe comment’’.
Ce qui est paradoxal, c’est l’arrivée de cette hausse dans un contexte où le gouvernement annonce une année sociale. Alors que la baisse sur les prix des denrées et du loyer peine à se matérialiser, est venue s’ajouter cette nouvelle hausse qui met carrément à nu les promesses du pouvoir.
Pour M. Camara, aucune surprise. Il déclare : ‘’Nous sommes habitués au paradoxe avec ce gouvernement. On ne peut commencer une année sociale avec une hausse comme ça. Ils ne pourront pas s’en sortir, parce qu’ils n’ont pas une maîtrise des prix… Ce n’est pas avec les taxes au cordon qu’on baisse les prix, il faut subventionner directement le consommateur, augmenter son pouvoir d’achat et prendre des mesures structurelles qui permettent de transformer l’économie, d’avoir de l’énergie. Si vous n’avez pas l’énergie, vous ne pouvez développer votre pays.’’
Sur le taux de croissance que le gouvernement ne cesse de brandir, Boubacar Camara estime que le régime actuel a plutôt échoué. Car il avait promis, avec le Plan Sénégal émergent, un taux à deux chiffres, alors qu’à l’époque, il n’y avait pas les hydrocarbures. Onze ans après, cela ne s’est pas matérialisé. Il a fallu attendre l’exploitation de ces ressources pour espérer arriver à cet objectif. Pourtant, dit-il, si tout avait été fait normalement avec la mise en œuvre de tous les grands projets, l’amélioration de la gouvernance, ce taux à deux chiffres était à portée.
Pire encore, cette croissance, même régulière, est de piètre qualité, a-t-il renchéri, parce que non portée par les secteurs qui occupent les Sénégalais. ‘’On a une croissance ‘ruusitu mburu’ (miettes de pain). Ça ne peut pas être significatif. Pour avoir une croissance de qualité, à même de raboter la pauvreté, il faut que cette croissance porte sur des secteurs qui permettent d’améliorer le niveau de vie des populations, d’augmenter leur pouvoir d’achat et donc d’épargne… Pour y parvenir, elle doit être portée par des secteurs comme l’agriculture, la pêche, l’élevage, le tourisme, l’industrie culturelle et l’artisanat. Ainsi, l’argent ne sort pas. Il reste’’.