Une première électrique
Le président de la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar a renvoyé l’affaire opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang au 16 mars prochain. Le juge a précisé que c’est un ultime renvoi. Avant que cette décision ne soit prononcée, les avocats des deux parties se sont adonnés à un houleux débat, chacun voulant parvenir à ses fins.
Il est 10 h passées de quelques minutes. L’affaire opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang est évoquée à la barre de la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance. Le leader du parti Pastef est attrait à la barre de cette juridiction par Mame Mbaye qui lui reproche les faits de diffamation. L’opposant Ousmane Sonko est également poursuivi pour les délits de faux et usage de faux, et injures publiques.
Dans un tohu-bohu total, le président de la chambre appelle au calme et à la sérénité, afin que l’audience se tienne dans les meilleures conditions. Invitation qui n’a pas empêché Me Ousseynou Fall, avocat de la défense, de riposter : ‘’Il y a certes des juges respectueux, mais il y a aussi des avocats respectueux. Je n’étais pas constitué la dernière fois, mais il y a des avocats dignes. Vos observations s'adressent à tout le monde, y compris aux avocats de la défense et nos confrères de la partie civile et au procureur de la République aussi. Nous n'accepterons aucun écart.’’
A peine avoir terminé son propos, son confrère Me Abdou Aziz Djigo de la défense sollicite le renvoi pour assurer la défense de son client. Aussitôt, ses confrères se lèvent pour partager le même avis. Ignorant ainsi le désaccord du camp adverse qui souhaite coute que coute que l’affaire soit jugée, puisqu’étant en état.
‘’Chaque fois que des affaires veulent passer, les avocats obtiennent des renvois. Et je ne sais pas pourquoi cette affaire Ousmane Sonko vous entrave ? J'ai saisi le parquet par correspondance à la date du 10 février 2023, pour demander toutes les dispositions pour qu'un visionnage ait lieu. Parce qu'il y a des pièces dans le dossier. Le parquet n'a pas à dicter les règles. Nous avons demandé d'obtenir le dossier, mais on n’a jusque-là pas eu gain de cause. C'est pour toutes ces raisons que nous demandons le renvoi’’, assène Me Ciré Clédor Ly. Sans que la parole ne lui soit donnée, Me Abdoulaye Tall saute de son siège et déclare : ‘’Nous voulons la date du 18 mai pour le renvoi.’’
Prenant la parole pour faire ses observations, le représentant du ministère public, qui s’oppose au renvoi du dossier, renseigne : ‘’Nous avons été saisis par correspondance par Me Babacar Ndiaye, le 7 février, pour que le dossier lui soit communiqué. C'est le 8 que le parquet a accepté sa demande. Nous avons suffisamment répondu à sa requête.’’
L’avocat interpellé de demander la parole pour apporter sa réplique. Il déclare : ‘’Il est clair de préciser que c'est à ma seule demande et pas pour une autre. Je suis allé au greffe et on m'a notifié que le dossier n'était pas au service de l'enrôlement. Il y a certaines pièces du dossier qui ne m'ont pas été communiquées, en l'occurrence la clé USB. C'est une affaire ordinaire et on ne voit pas l'urgence de la retenir. Il faut permettre à la défense de se préparer et de venir sereinement la plaider.’’
Son confrère Me Bamba Cissé d’ajouter : ‘’Le parquet a rajouté le délit de faux qui est une infraction du droit commun (...). Le temps des hommes politiques n’est pas le temps de la justice. C’est un dossier ordinaire. Il faut qu’il soit jugé comme tel.’’
Prenant la parole à son tour, Me Ousseynou Ngom dénonce la non-réception, jusqu’à présent, de la citation. L’avocat dit défier quiconque d’en apporter la preuve. Rejoignant ses confrères de la défense, Me Ousseynou Fall précise que le renvoi est opportun, d’autant plus que c’est un dossier ordinaire. ‘’Si vous voulez rendre une justice impartiale dans ce procès, vous devez nous accorder le renvoi. Il y avait aucun empressement. C'est un dossier ordinaire. Si les politiques ont un agenda bien déterminé, vous les magistrats, vous devez faire preuve de sérénité et de magnanimité’’, tonne-t-il, sa voix raisonnant dans la salle 3 du palais de Justice de Dakar qui est pleine à craquer.
L’opposition farouche de la partie civile
Les avocats de la partie civile s’opposent farouchement à la requête du camp adverse et sollicitent le maintien de l’affaire. Selon Me Baboucar Cissé, ‘’l'audience a été suspendue à la date du 2 février dernier et les avocats qui étaient là n'ont pas voulu se constituer ce jour-là. C'est aujourd'hui qu'ils sont revenus pour se constituer’’. Avant même de terminer son propos, il est coupé par Me Ousseynou Fall qui bondit de là où il se tenait et lui lance : ‘’Vous racontez du n'importe quoi !’’
Maitre Cissé qui fait la sourde oreille sur la remarque de son confrère, poursuit : ‘’Nous estimons que cette affaire est en état d’être jugée, puisque tous les conseils sont là. Nous nous opposons fermement, je dis fermement, à cette demande de renvoi.’’
Moins virulent que d’habitude, Me Mouhamadou Moustapha Dieng exhorte le juge de retenir l’affaire. ‘’À la dernière audience, vous avez renvoyé pour la convocation de Sonko et vous avez dit un renvoi ferme. C'est-à-dire que toutes les dispositions sont prises. Chers confrères, retenons cette affaire et plaidons-la avec sérénité, pour aller faire autre chose’’, dit-il.
Loin de trouver un accord, les avocats campent chacun de son côté. Maitre Étienne Ndione de la défense contre-attaque et lance : ‘’Certains veulent nous faire croire que cette affaire est là depuis huit mois. C'est avant-hier que j'ai été constitué par Ousmane Sonko. Je suis allé hier au parquet, mais je n'ai pas reçu le dossier. Cette affaire ne devait pas être renvoyée à une date ferme, mais un renvoi simple. On nous dit que nous versons dans le dilatoire. C'est une affaire banale, comme toutes les autres. Cette affaire ne doit pas faire l'objet d'une discrimination. Je sollicite le renvoi, pour avoir le dossier.’’
La tension monte et le juge intervient
Chacun tirant de son côté, l’ambiance devient tendue. Le juge décide d’y remédier en exigeant le silence au risque d’évacuer la salle. Les débats reprennent et Me Souleymane Soumaré de la partie civile propose que l’affaire soit renvoyée à une date plus proche et non pas le 18 mai. ‘’Nous voulons un procès équitable’’, déclare l’avocat. Les ardeurs calmées, Me Cheikh Kouressy Ba, dans une ambiance bon enfant, tient à rappeler que Mame Mbaye Niang avait assigné Abdou Karim Guèye en justice et qu’il l’avait défendu, mais il n'était pas là. ‘’Si cette affaire était un dossier ordinaire, il n'allait pas se présenter, alors qu'il est là. Et je le félicite’’, dit-il sur un ton ironique.
Pour clore les débats, le juge rappelle : ‘’Clédor dit qu'il voudrait faire visionner des éléments. Je sais que vous êtes excellent et j'en ai appris avec vous. Je sais que pour ceux qui viennent de se constituer, vous pouvez vous imprégner du dossier maintenant’’, dit-il provoquant, ainsi une nouvelle discorde.
L’audience est suspendue à 11 h 26 mn. Les magistrats reviennent 40 minutes plus tard pour donner leur décision sur la requête des avocats de la défense. ‘’Pour mettre tout le monde à l'aise, on renvoie au 16 mars prochain’’, annonce-t-il avant de préciser que c’est un renvoi ultime.
Sonko extirpé de sa voiture, conduit de force chez lui… Alors qu'il se rendait chez lui, après un nouveau renvoi de son procès contre Mame Mbaye Niang, Ousmane Sonko a été extirpé par les Forces de défense et de sécurité de son véhicule, puis conduit chez lui au bord d'une autre voiture blindée appartenant à la police. En effet, des hommes en uniforme, encagoulés, lui ont d'abord demandé d'ouvrir les portes de la voiture. ''Est-ce que je suis en état d'arrestation'', a demandé le leader de Pastef. ''Non'', lui rétorque un des hommes de tenue. ''Je ne sortirai de ma voiture pour aller dans une autre, sauf en état d'arrestation. |
MAGUETTE NDAO