Publié le 8 Jun 2023 - 01:31
TENSIONS POLITIQUES AU SÉNÉGAL - ÉTAT VS OPPOSITION

Guerre de l’information, désinformation et tentatives de manipulation

 

Les émeutes pour dénoncer la condamnation d’Ousmane Sonko s'accompagnent d’une guerre informationnelle impitoyable entre l’État et les partisans du leader de Pastef. Dans cette bataille qui s’est jouée sur le terrain médiatique, l’État a utilisé un certain nombre d'éléments de la guerre informationnelle dans le but de décrédibiliser le mouvement de contestation et de jouer la carte de la menace étrangère. Une stratégie qui a aussi pour but de rallier l’opinion publique à sa cause. 

 

Dans la bataille de l’information qui l’oppose à une certaine frange de l’opposition, l’État du Sénégal, à l’occasion de ces manifestations, semble avoir pris un temps d’avance dans ce domaine. Contrairement aux émeutes de mars 2021, le gouvernement est venu, décidé à contrôler l’information. Au fil des journées, l’État est parvenu a imposé ses éléments de langage : forces occultes, volonté de déstabilisation, armes de guerre, menaces d’attaques sur des infrastructures critiques, cocktails Molotov, menace sur la cohésion sociale.

L’absence de contre-information venant du camp adverse (Ousmane Sonko séquestré chez lui et empêché de faire toute adresse à ses partisans) a facilité cette mise en route de la machine d’information de l’État. Les ministres et autres responsables de la police ont multiplié les plateaux et les interventions à la radio, afin de distiller le bon message relatif à la décrédibilisation des manifestants assimilés à des pillards et/ou à des éléments perturbateurs de la quiétude de la société sénégalaise.

La suspension de l’Internet participe de cette stratégie de censurer ou de réduire au maximum le point de vue du camp adverse.

En outre, la chape de plomb qui s’est abattue sur Pastef empêche le développement de toute position contraire à celle prise par l'État, concernant l’interprétation des émeutes. Le choix d’axer sa rhétorique sur les forces subversives semble avoir atteint son but et a peu à peu fait oublier les origines de la contestation. Les images de saccage et de pillage des magasins et autres banques, même si au début ont servi d’appel d’air pour stimuler la mobilisation au fil des jours, a fini par servir de repoussoir à une partie de la population effrayée par ce déferlement de violence.

La suspension des réseaux sociaux WhatsApp et YouTube, ainsi que la suspension des données mobiles privent Pastef de relais des informations allant à l’encontre du narratif officiel axé sur la volonté de rétablir l’ordre républicain. L’absence de figure de proue pouvant incarner cette révolte de la jeunesse a nui à sa pérennité face à une kyrielle qui se succède sur les plateaux télévisés pour faire avancer leurs arguments. Le choix, dès les premières heures des manifestations, de couper le signal de Walfadjri, répond à cette stratégie d'annihiler les messages issus du camp adverse. 

Stratégie de communication de l’État à la conquête de l’opinion publique

L’État du Sénégal semble vouloir pratiquer les grands principes de la guerre de l’information mise en œuvre par le major George Wilson, ancien haut responsable d’Irlande du Nord en 1970, dans sa lutte contre l’Armée républicaine irlandaise (Ira) qui s’opposait au pouvoir britannique. Il s’agit tout d’abord de complètement réduire le point de vue adverse avec la censure (suspension d’Internet, emprisonnement des leaders de Pastef), ensuite militarisé l’information (forces occultes, armes de guerre, attaques contre les infrastructures vitales, forces étrangères) filtrer l’information et fournir des documents photographiques, afin d’influencer l’opinion.

Toutefois, cette stratégie peut parfois connaître quelques couacs. La volonté de la police d’illustrer cette menace des forces occultes semble s’être retournée contre elle. La vidéo publiée lors de la conférence de presse du commissaire Ibrahima Diop, le 4 juin dernier, montrant un individu en tee-shirt rouge armé, présenté comme un manifestant, a très vite était contredite sur la toile. D’autres vidéos ont rapidement circulé présentant cette même personne en compagnie des forces de police. La volonté de la plateforme des forces vives de la nation F24 de tenir de nouvelles manifestations le 9 et le 10 juin apparait comme un moyen de reprendre la main sur le plan communicationnel.

Pour le journaliste politique Ibrahima Bakhoum, le gouvernement est loin d’avoir remporté cette guerre de la communication. Le gouvernement est resté sur les médias traditionnels (presse écrite, radio et télé), alors qu’une frange de la jeunesse s’informe à travers les réseaux sociaux et ne lit plus la presse. Au fil des années, l’opposition très présente sur les nouveaux outils de communication a pris une longueur d’avance sur l’État qui est resté très classique dans ses modes de communication.

Poursuivant son propos, il indique que le choix du gouvernement de limiter l’accès à Internet pour lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux est contre-productif. ‘’D’une certaine manière, l'État s’est tiré une balle dans le pied. Si le pays ne fonctionne pas et que les gens ont des difficultés pour communiquer, ça peut être problématique.  J’ai vu un chiffre comme quoi on perd 5 milliards par jour à cause des troubles. À cause de ces restrictions sur Internet, les gens ont des problèmes pour communiquer et échanger des documents et des informations qui ne peuvent pas circuler. Les jeunes qui utilisent VPN peuvent rapidement contourner ces restrictions’’, a déclaré l’ancien directeur de publication de ‘’Sud Quotidien’’. 

AMADOU FALL

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