Le cri du cœur de Prosper Bamara, réfugié tutsi
Reclus à Dakar depuis plus d’une décennie avec sa famille, à cause de la persécution dont il était victime dans son pays natal au Rwanda, Prosper Bamara, ancien cadre dans l’Administration rwandaise, à l’instar de plusieurs autres réfugiés établis au Sénégal, peine à joindre les deux bouts. Sans droit d’asile, il ne peut ni travailler, ni inscrire ses enfants à l’école, ni leur assurer un minimum de conditions vitales.
Les plaintes des réfugiés au Sénégal ne cessent de se multiplier. Snobés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ils sont de plus en plus nombreux à courir derrière des droits d’asile, indispensables pour une vie paisible dans les pays d’accueil.
Au Sénégal, pour en disposer, c’est la croix et la bannière. À la suite du collectif qui avait assiégé pendant plusieurs mois le Bureau régional du HCR, d’autres se signalent pour faire part des montagnes de difficultés auxquelles ils font face. Diplômé en chimie et ingénierie chimique, spécialisé en biotechnologie des hydrocarbures, Prosper Bamara a fui le Rwanda de Paul Kagamé depuis 2011, abandonnant postes et privilèges sur place. La quarantaine, marié et père de cinq enfants, il témoigne : ‘’La situation est extrêmement difficile. Je suis au Sénégal depuis 2011-2012. Mes enfants étaient venus quelques années auparavant à cause de la persécution dont nous faisions l’objet. Mais nous tenons difficilement. Sans papiers, tu ne peux pas travailler ; les enfants ne peuvent pas aller à l'école. Aujourd'hui, le plus préoccupant, c'est la situation de mes enfants. Leur avenir est vraiment compromis. Nous demandons de l'aide aux autorités pour pouvoir mener une vie décente dans ce pays.’’
Malgré un dossier solide, Bamara s’était heurté au refus de la Commission nationale d’éligibilité. À l’instar de nombre de réfugiés, il lui a été difficile de compter sur l’appui et le soutien du département onusien dédié aux réfugiés. ‘’Aujourd’hui, souligne l’ancien cadre dans l’Administration rwandaise, mes enfants ne cessent de m’interroger sur leur histoire, sur leur avenir, sur leur inscription à l’école, sur leur existence légale, bref, sur leur vie tout simplement. Nous vous supplions de nous aider à disposer de ces papiers, en vue de pouvoir accéder dignement à certains comme celui de travailler, celui de se loger décemment, celui de garantir une éducation à ses enfants. Sans titre, ce n’est pas possible’’.
Dans une lettre adressée au président de la République et parcourue par ‘’EnQuête’’, des organisations dont l’Union des journalistes rwandais en exil (UJRE basée à Genève) et le Centre de lutte contre l’injustice et l’impunité au Rwanda (CLIIR) intercèdent en sa faveur. ‘’Nous avons l’honneur de vous (le président de la République) faire part de notre préoccupation en rapport avec la situation précaire dans laquelle vit chez vous au Sénégal la famille Bamara Prosper, concernant surtout de graves violations des Droits de l’homme, en général, et des droits de l’enfant, en particulier, portant notamment sur le déni du droit de pouvoir scolariser des enfants, le déni des droits d’asile de ceux-ci et de toute la famille ainsi que la privation des libertés fondamentales de la personne humaine’’, dénoncent les signataires. Une situation extrêmement préoccupante.
Le mirage rwandais
À travers cette lettre, les deux organisations attirent l’attention des autorités sénégalaise pour une prise en charge efficiente de cette situation, afin de rendre à la famille Bamara sa dignité. Elles expriment leur inquiétude : ‘’Nous attirons votre attention ainsi que celle de l’autorité compétente en matière de réfugiés sur cette situation qui nous inquiète au plus haut point, en tant que journalistes et défenseurs des Droits de l’homme. Nous avons été profondément choqués d’apprendre par la presse sénégalaise que cette famille vit dans le dénuement humain total et sans-abri fixe, depuis déjà plus de 11 ans, et implore aujourd’hui votre indulgence de chef d’État’’.
Tutsi, Prosper a perdu une bonne partie de sa famille dans le génocide rwandais, en 1994. Avec l’avènement de Kagamé à la tête du pays, certains avaient cru que c’en était fini pour le calvaire de cette ethnie minoritaire du Rwanda. Hélas, aujourd’hui encore, il y en a qui sont contraints de fuir la répression dans leur pays, sous l’ère même Kagamé.
Aujourd’hui, tout ce que veut Prosper, c’est de retrouver une vie normale, loin de ses terres natales. Pour ce faire, il multiplie les initiatives depuis plusieurs années pour obtenir ce titre juridique. Dans une lettre adressée à Antoine Diome, il laisse paraitre son état de désespoir : ‘’Monsieur le Ministre, implorait-il, dans la confiance totale en votre connaissance approfondie du droit interne, du droit international, des droits de l'enfant et des Droits de l’homme, ainsi qu’en votre grand cœur, je fais appel à votre sens élevé de l'humanitaire, priant votre puissante autorité d'étendre sur nous la bonté d'offrir le droit à la vie à mes enfants et à nous leurs parents. Nous n'avons pas péché ; nous n'avons plus de famille élargie, car exterminées durant le génocide…’’
Avec ses enfants dont l’un est né à Dakar en 2009 et son épouse spécialiste en neurologie, Prosper Bamara regarde d’un autre œil son pays natal et le président Kagamé présenté comme un héros un peu partout en Afrique de l’Ouest et au-delà. ‘’Je pense que la jeunesse ouest-africaine n’est pas bien informée sur le Rwanda. Du point de vue des droits humains, inutile de faire des commentaires ; tout le monde est au courant de ce qui se passe au Rwanda ; c’est une situation exécrable. Les gens nous parlent de développement économique, des infrastructures... Même sur ce plan, le Rwanda est loin des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Je ne parle même pas du Maroc. En fait, il y a juste un tapage médiatique énorme orchestré par les pays occidentaux, en particulier la France, qui nourrissent une certaine complaisance avec Kagamé pour diverses raisons’’.
MOR AMAR