Publié le 23 Apr 2024 - 17:33
TENSIONS ENTRE POUVOIR ET OPPOSITION

Motion de censure, atout politique ou suicide politique

 

La montée des tensions entre la majorité parlementaire (Benno) et le nouvel exécutif pourrait déboucher sur le vote d’une motion de censure contre le gouvernement d’Ousmane Sonko qui doit prochainement faire sa Déclaration de politique générale (DPG).  Mais pour certains analystes, ce vote de défiance apparaît comme un suicide politique, au regard de la dynamique du Pastef. 

 

C’est une passe d’armes qui semble préfigurer le début de la confrontation entre le nouveau régime et les caciques de l’APR. La fin de la période transitoire qui aura été marquée par une sorte de paix des braves ou chaque camp épie l’adversaire vient peut-être de voler en éclats.

En effet, lors de son passage à la RFM, le nouveau porte-parole du gouvernement, Moustapha Sarré, a déconseillé aux députés de BBY d’éviter toute tentative de vote d’une motion de censure, à la suite de la Déclaration de politique générale d’Ousmane Sonko prévue au plus tard trois mois après sa nomination. 

‘’Une telle motion de censure serait ramer à contre-courant de la vision de la majorité du peuple sénégalais. Si jamais il arrivait que des personnes cherchent à faire tomber le gouvernement, ils auront en face d'eux certainement toute l'opinion publique du Sénégal, en tout cas la plus grande partie de l'opinion publique’’, a-t-il prévenu.

Cette sortie n’a pas été du goût du chef de la majorité parlementaire. Abdou Mbow a rappelé au porte-parole du gouvernement le principe sacré de la séparation des pouvoirs. ‘’Sa mise en œuvre relève exclusivement de la compétence des députés quant à l'appréciation qu’ils feront du contenu de la Déclaration de politique générale du Premier ministre, comme ce fut le cas de la motion de censure déposée par le groupe parlementaire Yewwi Askan Wi suite à la Déclaration de politique générale du Premier ministre Amadou Ba’’, a fait savoir sèchement le responsable politique de Thiès.  

Une dissolution de l’Assemblée nationale, en cas de vote de défiance contre Ousmane Sonko

Théodore Cherif Monteil, ancien parlementaire, s’interroge sur la pertinence de la motion de censure au Sénégal, vu que le Premier ministre, dont la responsabilité est engagée devant le Parlement, ne définit pas la politique gouvernementale qui est la prérogative du président de la République. ‘’Les députés, s’ils constatent que la Déclaration de politique générale du Premier ministre ne va pas dans le bon sens de leurs orientations, ils peuvent déposer une motion de censure. Mais s’ils réussissent à faire tomber le gouvernement, rien n’empêche le président de nommer un autre gouvernement. D’une certaine manière, ça ne sert qu’à animer un jeu purement politicien’’, affirme l’ancien député. 

Dans ce climat de méfiance qui s’installe entre le pouvoir et l’opposition, les ex-ministres ont été sommés de restituer leurs véhicules de fonction (le lundi 22 avril et de quitter les logements de fonction dans deux mois. Si les intéressés refusent d’obtempérer, l’État se réserve le droit de faire usage des moyens légaux pour récupérer les véhicules. Une mesure qui risque de tendre un peu plus les relations entre le pouvoir et l’opposition aujourd’hui incarnée par la coalition déchue Benno. Le président Diomaye, qui ne dispose pas d’une majorité parlementaire, doit composer avec Benno qui est majoritaire au parlement (82/165). Ainsi, le chef de l’État, le mardi 16 avril, a reçu au palais présidentiel le président de l’Assemblée nationale Amadou Mame Diop. La dissolution du Parlement ne pourra avoir lieu qu’au mois de septembre. Donc, il est nécessaire pour les nouvelles autorités de trouver des majorités parlementaires occasionnelles pour faire passer des projets de loi liés à la cherté de la vie, à la réforme de la gouvernance et à la renégociation des contrats miniers et énergétiques. La grande crainte du nouvel exécutif est le vote par l’APR soutenu par le PDS d’une motion de censure.

Selon l’article 86 de la Constitution, ‘’l’Assemblée nationale peut provoquer la démission du gouvernement par le vote d’une motion de censure. La motion de censure doit, à peine d’irrecevabilité, être revêtue de la signature d’un dixième des membres composant l’Assemblée nationale. La motion de censure est votée au scrutin public, à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Si la motion de censure est adoptée, le Premier ministre remet immédiatement la démission du gouvernement au président de la République’’, peut-on lire dans la Constitution. 

 BBY, une coalition sans chef

La dernière tentative de motion de censure déposée sur le bureau du président s’est soldée par un échec, le 15 décembre 2022.  Cinquante-cinq députés de l’opposition, notamment de Yaw, ont voté en faveur de la motion de censure contre la majorité présidentielle.  Elle n’a pas été adoptée par l’hémicycle consacrant une certaine rupture entre Yaw et Wallu qui s’était abstenue lors de ce scrutin. L’opposition avait mis en avant les emprisonnements d’opposants, le manque de transparence et d’enseignement de qualité et des manquements dans la lutte contre la corruption. 

Selon l’ex-directeur de campagne du candidat Mamadou Lamine Diallo, le système politique sénégalais assure la prééminence du président sur l’Assemblée nationale. ‘’Le président peut même faire adopter par ordonnance son budget. De ce fait, une cohabitation comme en France sera très difficile vu que le Premier ministre n’est qu’un simple exécutant de la politique de l’État défini par le président’’, a déclaré l’ancien responsable de la coalition Aar Sénégal.

Pour Amadou Fall, directeur de publication de l’hebdomadaire La Gazette’’, toute motion de censure contre le duo Diomaye-Sonko pourrait s’apparenter à une sorte de suicide politique. ‘’Si les députés de Benno décident de s’opposer aux orientations et recommandations du programme du Premier ministre, ils risquent de subir un retour de flamme terrible de la part des électeurs sénégalais en cas d’élections législatives anticipées. Surtout que ce blocage pourrait être le prétexte, pour le président Bassirou Diomaye Faye, de dissoudre l’Assemblée nationale et de mettre en difficulté l’ex-majorité’’, affirme le politologue qui s’empresse d’ajouter que les risques d’un vote de défiance est très faible. Pour le journaliste, l’absence de leadership au sein de Benno rend difficile toute initiative commune pour s’opposer au duo Sonko-Diomaye.

Mamadou Makhfouse NGOM 

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