‘’Les présidents de l’AES vont écouter Bassirou Diomaye Faye, mais…’’
Dans cette interview exclusive avec ‘’EnQuête’’, le journaliste nigérien Seidik Abba, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (Cires) et chercheur associé au Groupe interdisciplinaire en histoire de l’Afrique, fait le point sur le bilan d'un an du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au Niger, à la suite du coup d'État contre le président Mohamed Bazoum. Il examine la popularité grandissante du CNSP, les incertitudes entourant la transition politique et les accusations portées contre l'ancien président Mahamadou Issoufou.
Le CNSP bénéficie-t-il toujours de la confiance du peuple, après un an à la tête du pays ?
Il y a une large partie de l'opinion qui continue de soutenir le CNSP. Il est évident que les conditions dans lesquelles le CNSP a pris le pouvoir lui ont donné une certaine popularité, en particulier dans une partie de l'opinion nigérienne qui attendait la chute du régime renversé et de son prédécesseur. Le coup d'État a été favorablement accueilli par cette frange de la population.
Le CNSP a également profité du rejet de l'Occident, en particulier de la France, et de la volonté de souveraineté en posant des actes tels que le retrait du permis d'Orano et la réduction du prix du gasoil à la pompe. Tous ces éléments lui ont conféré une certaine crédibilité auprès de la population, ce qui fait que son prestige et sa réputation restent intacts.
Les dirigeants militaires du Niger ont consolidé leur emprise sur le pouvoir et ont promis une période de transition de trois ans vers un régime civil. Certains citoyens pensent le contraire. Quelle analyse en faites-vous ?
En réalité, cette déclaration remonte à août 2023. Depuis lors, le CNSP n’a pas réagi par rapport à la transition. Personne ne peut dire combien de temps le pouvoir militaire va rester en place, car il n’y a ni calendrier ni contenu de transition. Cela peut ouvrir la voie à toutes sortes de spéculations.
Depuis quelque temps, le Niger, le Mali et le Burkina se sont inscrits dans une logique de transition commune. Par exemple, le Burkina a prolongé sa transition à cinq ans, et le Mali va bientôt organiser des élections avec la possibilité pour Goïta de se présenter. Au Niger, on peut envisager une période de transition assez longue, puisque le CNSP avait dit au début qu’il fallait convoquer les Nigériens dans un dialogue pour définir la transition. Pour l’instant, cette convocation n’a pas eu lieu et personne ne connaît la durée de la transition, parce qu’il n’y a pas eu de concertation et le CNSP n’a pas proposé de calendrier de transition.
D’ailleurs, dans le cas particulier du Niger, la transition n’a pas encore commencé, car elle n’a pas de contenu, ni d’institutions ni de parlement de transition. À part la charte de transition adoptée comme au Mali, il n’y a rien. Il n’y a pas encore de textes qui montrent que l’on va vers des élections et leurs préparations n’ont pas encore commencé. Les militaires n’ont pas encore dit par quelles modalités on va passer pour avoir une transition. Il est donc très tôt pour dire combien de temps elle va durer.
Que risque Bazoum ?
Depuis le 14 juin, à la demande des autorités, particulièrement du parquet militaire, qui veut poursuivre le président Bazoum pour haute trahison et apologie du terrorisme, son immunité a été levée par la Cour d’État. On doit aller vers une judiciarisation de son cas. Il va passer devant les instances de jugement. Est-ce que le CNSP va aller jusqu’à cette instance pour le juger ? Dans quelles conditions le jugement va-t-il intervenir ? Parce que s’il est jugé, il peut profiter de cette tribune pour révéler les dessous du coup d’État. Je ne suis pas sûr que cela arrange le CNSP.
Cette question du sort du président Bazoum embête les militaires. Ils ne savent pas quoi faire. Après la levée de l’immunité, c’est la prison qui devait suivre. De ce côté, les militaires n’ont pas traduit en acte leur volonté de poursuivre le président Bazoum. Ils sont embêtés, car poursuivre Bazoum peut se retourner contre eux.
L’autre option, c’est l’exil après sa libération. Certains pays jouent la médiation entre le CNSP et Bazoum pour cette option. Je crois que même le CNSP n’a pas de réponse quant au sort qui doit être réservé au président Bazoum.
Certains accusent Issoufou de jouer un jeu double. Qu'en pensez-vous ?
La position de Issoufou est ambiguë. Il n’a pas clarifié sa position, car lui-même n’a pas condamné ouvertement le coup d’État après un an. Cela a alimenté la suspicion. Rien n’a changé pour lui ; il continue de bénéficier de la protection de la garde présidentielle. Il a été reçu récemment au Ghana par l’ambassadrice du Niger. Il y a un certain nombre de choses qui font croire que le président Issoufou est encore dans le système de cette transition, alors que le coup d’État a été fait contre un régime auquel il appartenait. Ce sont ces faits qui accréditent la thèse sur le rôle qui a pu être le sien, rôle qui n’est pas encore clarifié. Il n’y a pas encore d’éléments objectifs pour dire que le coup d’État a été commandité par le président Issoufou, mais il y a des indices concordants qui poussent à se poser des questions, à commencer par cette absence de condamnation très claire, alors que d’habitude, il condamne les coups d’État hors du pays.
On n’a jamais entendu le président Issoufou évoquer le sort de son successeur, alors que c’est lui qui a facilité l’arrivée de Bazoum. Il y a un certain nombre d’éléments qui sèment le trouble et ne permettent pas de clarifier son rôle dans ce qui s’est passé le 26 juillet 2023.
Le général Tiani a fondé la Confédération des États du Sahel avec les juntes malienne et burkinabé, actant la rupture avec la CEDEAO. Pensez-vous qu'ils vont revenir sur leur décision ?
Ces pays sont dans une posture de non-retour au sein de la CEDEAO. Ils sont dans une position de rupture. Il n’y a aucune chance que ces États reviennent dans le giron de la CEDEAO. Ils vont poursuivre dans le chemin de la Confédération des États du Sahel qui a pour objectif d’avoir une architecture de défense et de sécurité, et une diplomatie commune. Il y a déjà eu un premier sommet de ces États et la présidence a été confiée au président Assimi Goïta. Ils vont accepter de recevoir le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, mais c’est par courtoisie. Ils vont l'écouter, mais je ne suis pas sûr qu’il trouve les arguments pour les convaincre de revenir au sein de la CEDEAO.
Ce qu’il faut espérer, c’est que ce divorce se fasse à l’amiable et qu’on ne rentre pas dans une confrontation, car ces pays ont besoin de la CEDEAO et cette dernière a aussi besoin d’eux. L’AES est une organisation à vocation de sécurité et la CEDEAO est une organisation à dominante économique. Il y a une possibilité de trouver une complémentarité. Ces États ont des intérêts communs pour lutter contre le terrorisme. Il faut travailler ensemble pour construire une réponse transnationale pour lutter contre ce phénomène. Même si ces pays ne reviennent pas, il faut une collaboration, une coopération.