Publié le 29 Jul 2024 - 14:20
3 QUESTIONS AU DR CHEIKH OUMAR BA, DIRECTEUR EXÉCUTIF D’INITIATIVE PROSPECTIVE AGRICOLE ET RURALE (IPAR) THINK TANK ET SOCIO-ANTHROPOLOGUE

‘’Le foncier est une bombe à retardement’’

 

Le nouveau régime a émis un arrêté pour suspendre pour une durée de deux mois toutes les constructions sur le littoral de Dakar et sa région, avant la mise en place d'une commission. Quel peut être, selon vous, la marge de manœuvre du gouvernement dans cette volonté de lutter contre la prédation foncière sur le littoral, surtout que beaucoup de promoteurs bénéficient de titres délivrés par les services étatiques ?

Même si le gouvernement de Diomaye Faye peut disposer d’une certaine marge de manœuvre liée au fait qu’il bénéficie d’un soutien des populations qui réclament la transparence dans les transactions financières, néanmoins, d’un autre côté, cette marge de manœuvre peut être limitée dans le sens que l’État ne peut pas remettre en cause des personnes qui disposent de titres fonciers, parce que les titres de propriété sont inaliénables et inattaquables.

En outre, la seule manière de réapproprier des propriétés appartenant à des promoteurs disposant de documents légaux, c’est de verser des indemnités, mais cette démarche pourrait se compter en milliards, dans ce cas.

Sur ce, il est possible d’assainir la situation et de repartir sur de nouvelles bases. Ainsi, tous ceux qui avaient reçu des titres ou la possibilité d’aménager ou d’exploiter des terres de manière légale, il est possible de renégocier avec l’État. Quand l’État montre des garanties de transparence et dans son rôle régalien, ça ouvre des perspectives de pouvoir trouver des terrains d’entente.

Toutefois, la remise en cause de tous les bénéfices acquis en matière foncière sur le littoral reviendra aussi à remettre cause la continuité de l’État.

Quoi qu’on dise, l’Administration n’a pas bougé et il y a la continuité de l’État. Il faut être prudent et trouver l’équilibre pour éviter que ça remette en cause des acquis et des équilibres fragiles.

Les scandales se multiplient : Mbour 4, Bambilor, bande des Filaos, Ndingler… Faut-il revoir la loi sur le domaine national de 1964 ou tenir des assises pour mettre fin à la prédation foncière au détriment des populations locales ?

La solution pourrait être la tenue d’assises sur le format des assises de la justice. Cela permettrait de croiser tout ce qui a été produit comme connaissances par l’État, la société civile et les institutions de recherche. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de propositions comme celles du cadre de Réflexion et d'action sur le foncier au Sénégal (Crafs), qui permettrait de montrer tout le bien-fondé de certaines dispositions à prendre. D’abord, toute démarche doit être inclusive dans la gestion de la gouvernance foncière au niveau local.

Ensuite, il est important qu’on sécurise l’investissement du privé et qu’on préserve le droit des communautés à disposer de leurs terres et, enfin, on gagnerait que comprendre qu’une réforme ne doit pas éluder les questions de fond.

On doit aussi se demander pour qui l’on fait la réforme, pourquoi on fait cette réforme,  avant d’aborder la question : comment faire la réforme ? (…).

Aujourd’hui, on a des terres propices à l’agriculture et à l’élevage qui ne sont pas valorisées, faute de moyens. Il faudrait arriver à travailler pour que l’investisseur qui dispose de moyens puisse arriver à œuvrer de manière transparente avec des modèles avec un cahier des charges et une implication dans le processus de valorisation de ces terres.

L’état doit garantir que chaque population qui apporte la terre et le secteur privé qui apporte ses moyens financiers puisse jouer son rôle et respecter son engagement dans le but de construire une dynamique.  Nous sommes pour une réforme foncière qui recoupe les intérêts de toutes les parties prenantes.

Macky Sall avait refusé d'appliquer les conclusions du rapport de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF) au motif que les collectivités territoriales et l'agrobusiness allaient privatiser tout le domaine national. Pensez qu'une réforme au profit des populations de base est impossible, au regard de la boulimie foncière des promoteurs privés et des autorités locales ?

Le foncier est une bombe à retardement. La loi actuelle qui régit le foncier est celle sur le domaine national de 1964. Malgré de nombreuses tentatives de la changer, on est toujours resté avec les dispositions de cette loi. Je pense que c’est un esprit qui permet de gérer de manière durable les terres sans les aliéner et sans les exposer à un marché foncier.

Néanmoins, il est à noter que dans la pratique, tout le monde ne respecte pas cette clause de ne pas vendre les terres du domaine national et si l’on ne fait pas une réforme, on risque de se retrouver avec une loi qui, dans la pratique, a montré énormément de limites dans sa mise en œuvre.

Il est nécessaire d’aller vers une réforme et l’on a tous les moyens pour y arriver, mais cela suppose qu’on engage un dialogue avec toutes les parties prenantes. Il faut identifier les points de convergence et de divergence, et s’accorder finalement sur les consensus à retenir. Des consensus qui constitueront les bases d’une réforme qui intègre les besoins des communautés souvent gestionnaires de ces terres et les besoins d’investissement du secteur privé.

M.M. NGOM
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