Publié le 12 Feb 2025 - 15:56
DRAME  

Les dernières volontés de Matar Diagne

 

Préférant mourir dans la dignité plutôt que de vivre dans la douleur, l'étudiant Matar Diagne a laissé pour la postérité une lettre-testament qui retrace un pan des maux dont souffre la société sénégalaise.

 

Le verdict est implacable. Les crimes de la société sont dévoilés sans fard, sans haine, avec plein d'humanisme. “Je ne serai plus vivant quand vous lirez ce texte. J’ai décidé de mourir dans la dignité plutôt que de vivre dans le déshonneur”, lâche en guise d'introduction Matar Diagne, fatigué d'être injustement accusé, jugé et condamné, sans aucune possibilité de se défendre. Son tort, il le dévoile dans sa lettre devenue virale sur les réseaux sociaux. Après avoir obtenu brillamment son baccalauréat en 2020 - il était premier de son centre - il a accepté de rejoindre l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, malgré une grave maladie qui le rongeait et qui le poussait à se retrancher davantage sur lui-même. Il explique : “J’ai toujours été une personne réservée dont l’intégration était quelque peu pénible. Pendant cette période, j’avais commencé à m’intégrer socialement, mais à cause de la maladie, j’ai recommencé à m’isoler. Malgré tout, j’ai décidé d’aller à l’université et de poursuivre mes études, et là, je vis entre l’UFR et ma chambre. Mais certaines personnes ne voient pas cela d’un bon œil. 'Ki dafa bonn, dou dem thi nitt yi. Beugoul nitt yi', disent-ils. Cela m’a davantage isolé...”

Malade, isolé, calomnié, Matar aurait finalement choisi la mort plutôt que de continuer à vivre dans cet enfer. L’isolement, additionné à la souffrance de la maladie, a eu des conséquences néfastes sur lui. “Je ressens une tristesse intense. Il y a une tempête dans mon cœur. La fois où j’ai eu à me confesser, mes confessions ont été exposées en public. La conséquence en est que je me méfie, je n’ose même pas en parler avec des amis. Face à cette situation, je me mute dans mon silence, comme je sais si bien le faire depuis que je suis enfant”, clame-t-il dans sa lettre. Mais le plus cruel de tous, ce sont ceux-là qui, selon lui, s’adonnent aux moqueries avec joie, sans mesurer les conséquences de leurs actes. À côté, il cite les conjectures sur ses maladies, les calomnies et les accusations non fondées... Malgré cette méchanceté, il a préféré partir dans la dignité. Il s'est gardé de nommer ceux qu'il considère comme étant ses bourreaux. “Je ne vais citer personne, car je ne veux que personne soit pris pour cible. Je pense que je suis plus grand que cela. C’est une situation qui m’a profondément détruit”, écrit-il, sous l'emprise de la pression et de l'oppression des pairs.

C'est toute cette pression mêlée à celle de la maladie qui a poussé Matar à choisir la mort. La maladie seule, insiste-t-il, aurait été très douce, “mais les mauvaises choses” qui circulent sur lui, qu'il a tenté de nier jusqu’à la dernière énergie, lui ont été létales. “Ces bobards ont fait de moi une autre personne”, tranche-t-il. Et il indexe directement ceux qui le connaissent. “Quand des gens qui ne vous connaissent pas vous haïssent, alors sachez que ce sont certainement vos détracteurs qui sont passés par là pour vous salir. J’espère que ceux qui ont fait cela auront la conscience tranquille. Le plus triste, c’est que ce seront ces mêmes personnes qui seront les premières à faire de bons témoignages sur moi. La douleur physique, ce n’est rien. Mais celle du cœur est infernale. Goor momoul yénn yi. Je suis une personne très digne, et j’ai un très grand sens de l’honneur.”

La faillite de la société

Sans rancœur ni rancune, pardonnant à ceux qui lui ont fait du tort et demandant pardon à ceux à qui il a fait du tort, il s'est surtout adressé à la société, à la communauté estudiantine, pour l'inviter à faire son introspection et à bannir ses comportements destructeurs. “Peut-être que ma mort ouvrira les yeux à certains étudiants et certaines familles”, soupire-t-il, avant d'exprimer ce qui peut sonner comme une de ses toutes dernières recommandations à une société en perdition : “N’isolez personne, n’ignorez personne, ne vous moquez de personne et ne fuyez personne. Rapprochez-vous des gens qui s’isolent, parlez-leur et essayez de les comprendre, sans les juger. Boulene bayi ken mouy wét ak ay problemame. Boulène khébale kéne problémame. Cet acte, je l’ai fait en quelque sorte en guise de sacrifice pour que géne bayi xell les autres qui ont des soucis. Ne jugez jamais avant de connaître toute l’histoire.”

Dans sa lettre testament, Matar a exprimé une dernière volonté : publier un livre posthume dont le manuscrit a déjà été envoyé à une maison d'édition. “J’ai terminé mon roman intitulé « LA FUITE DES INDÉSIRABLES », il parle de l’émigration clandestine. Je l’ai envoyé à la maison d’édition Harmattan-Sénégal. Aidez-moi à le publier, c’est sans doute la seule trace que je laisserai sur terre.” Pour les retombées de ce livre, il souhaiterait qu'elles soient dédiées à la prise en charge du cancer. “Je souhaite que les retombées de ce livre, même si c’est un seul exemplaire vendu, soient dédiées à la prise en charge de l’AVC de ma mère.”

Il a par ailleurs expliqué pourquoi il a écrit ce texte. “J’ai écrit ce texte pour anticiper les propos de ceux qui tenteront de salir ma mémoire. Je ne suis pas une personne parfaite, et je commets des erreurs comme tout le monde. Mais toute ma vie durant, j’ai fait de telle sorte à ne pas nuire à mes semblables, et s’il arrive que je le fasse, certainement, je le jure, ce n’est pas intentionnel. Je veux mourir en paix, sans haine. Donc, je pardonne à tout le monde, ceux qui m’ont blessé, consciemment ou inconsciemment. Et je demande pardon à toutes les personnes que j’ai pu causer du tort. La meilleure manière de m’aider maintenant, c’est de prier pour moi. Ne jugez pas mon acte. Laissez Allah en disposer, car Allah est miséricordieux !”

La cruauté de la société mise à rude épreuve

EnQuête a contacté le psychologue Malick Ndiaye pour diagnostiquer ce mal qui gangrène la société, et l'importance de recourir aux professionnels comme les psychologues ou les travailleurs sociaux.

Pour beaucoup, la mort de ce jeune étudiant met tout simplement à nu de nombreux maux dont souffre la société sénégalaise. Psychothérapeute doublé de travailleur social, Dr Malick Ndiaye fait le diagnostic : “On peut dire que c'est un testament laissé à la postérité, à sa communauté d’appartenance, dans la mesure où il y dénonce tout son mal-être qui le rongeait. Ce mal-être est propre à beaucoup de personnes qui vivent dans l’isolement. L’isolement affectif, l’isolement relationnel, ne sont pas des conditions propices pour vivre une vie apaisée, une vie exempte de troubles. S’il est avéré qu’il a dû mettre fin à ses jours pour mourir comme il le dit dans la dignité, cela voudrait dire qu’il avait un grand désarroi, un grand vide et quelque part aussi une absence de recours potentiel.”

De l'avis du psychologue, cette affaire doit interpeller plusieurs composantes de la société. En premier lieu, il y a la famille, les proches. “Nous sommes très prompts à chanter la solidarité, la vie communautaire, mais il y a de plus en plus de problèmes à ce niveau. Les ressorts du soutien proche devraient être les premiers à offrir à la personne la possibilité d’exprimer son ressenti, son mal-être. Malheureusement, ce n’est souvent pas le cas. Beaucoup de personnes disent qu’ils n’osent pas en parler aux proches, parce qu’ils risquent de faire l’objet de risées, de quolibets, de la part même de ces proches”, regrette le spécialiste. L’autre niveau de soutien, note-t-il, est d'ordre institutionnel. Selon lui, il y a des ressources qui pourraient aider toute personne se trouvant dans une pareille situation. Il en est ainsi des travailleurs sociaux, des psychologues et même des médecins et autres personnels soignants.

“Tout ce qui est personnel médical, paramédical. Tout ce qui est personnel social, psychosocial. Toutes ces personnes sont formées à l’écoute, elles sont formées pour recevoir des personnes en détresse et les aider à sortir de cette situation”, rappelle Dr Ndiaye qui souligne qu'en milieu universitaire, l'assistance existe. “Normalement, les étudiants doivent savoir qu’il y a un service social à l’université ; il y a des travailleurs sociaux qui, quel que soit l'état de détresse, devraient pouvoir offrir une écoute et un accompagnement adéquat.”

Pour lui, “ce n'est pas une question de toubab” comme certains ont tendance à le faire croire. “Le psychologue, c’est une affaire de prendre soin de soi. De la même manière qu’on se brosse les dents, de la même manière qu’on va faire un tour chez le dentiste, lorsque quelque chose perturbe notre fonctionnement, nous empêche d’être concentré et d’être épanoui, il est bon d’aller voir un psy. Si vous n’en avez pas dans les alentours, allez consulter le médecin qui a les outils pour un premier niveau de prise en charge....”, confie-t-il. À la question de savoir qui doit consulter le psychologue, il rétorque : “Toute personne qui sent un besoin d’exprimer des choses qu’elle ne peut pas partager avec les autres, toute personne qui est dans une situation de détresse psychologique, de détresse morale ; toute personne qui ne se sent pas bien dans sa peau devrait pouvoir aller voir le psy pour bénéficier de cette écoute et explorer des voies de solutions et un accompagnement sur la durée selon la nature du problème.”

La nécessité de renforcer le service social

Cela dit, la question de l'accessibilité des psychologues pose un grand problème. D'abord, ce problème d'accessibilité peut s'expliquer par le nombre très limité de spécialistes. Dr Malick Ndiaye précise : “Je n’ai pas les statistiques, mais c’est un nombre très très faible, dans la mesure où si vous faites le tour dans les hôpitaux, vous vous rendrez compte que beaucoup d’entre eux n’en ont pas. Il y a juste quelques cliniques qui en disposent à Dakar. À l’intérieur du pays, ce sont nos collègues, psychologues conseillers en orientation scolaire et professionnelle qui offrent des services de soutien psychosocial aux populations, dans la mesure où il n’y a pas de psychiatres, pas de psychologues cliniciens. Et les psychologues conseillers, comme on les appelle, sont trop submergés par le travail d’écoute, d’accompagnement et d’orientation du monde scolaire, que la possibilité qui leur est offerte de participer à cette mission de santé communautaire est très faible.”

Par rapport au coût excessif présumé des services du psychologue, il rétorque : “C’est une idée erronée que de faire croire que les psychologues sont difficiles d’accès, parce qu’ils sont chers. Si vous devez payer 20.000 francs pour consulter un gynécologue, vous devez être capables de payer 20.000 pour consulter un psy. Si vous payez 20.000 chez un pédiatre pour votre enfant, vous devez pouvoir le faire pour qu’il soit accompagné par un psy. Maintenant, le problème, c’est que la prise en charge ne se fait pas en une séance…. C’est tout un processus et c'est peut-être pourquoi cela peut nécessiter certains frais. Mais c'est comme dans n'importe quelle thérapie.”

Revenant sur la gestion de ce genre de pathologie en milieu universitaire, Monsieur Ndiaye a insisté sur la nécessité de renforcer le service social, pour faire face aux besoins dans les universités surpeuplées. “Les services administratifs et techniques sont submergés. Aujourd’hui, il est plus d’actualité d’étoffer les services sociaux en service d’accompagnement psychosocial en milieu universitaire. Cela veut dire qu’il faut une équipe de travailleurs sociaux et une équipe de psychologues”, diagnostique-t-il, tout en soutenant que ce service devrait aussi être élargi à l'école. Selon lui, une bonne partie des problèmes qui arrivent à l'université aurait pu être prise en charge par les travailleurs sociaux. Il regrette : “Le service social scolaire est presque mort. Il n’y a presque plus d’assistance sociale dans nos lycées ; on en compte du bout des doigts. Alors qu’il y a 25 ans, 30 ans, il y avait des assistants sociaux dans la plupart des lycées. Et cela permettait de gérer certains problèmes. Par exemple, la drogue qui a envahi l’école, le petit banditisme, l’indiscipline et l’incivisme… Les professeurs, non seulement, n’ont pas le temps, mais aussi ils n’ont pas été préparés pour prendre en charge ces types de problèmes.”

De l'avis du spécialiste, “il est grand temps que le service social scolaire revienne pour justement prendre en charge, amortir, voire éliminer certains problèmes”. Interpellé sur les nombreux griefs soulevés par Matar Diagne contre la société, Dr Malick Ndiaye a tenu à faire une forte recommandation. “Il ne faut jamais laisser seule une personne qui souffre. Encore faudrait-il que l’on prête attention à notre entourage. Sommes-nous capables de garder les secrets comme le font les psy et les travailleurs sociaux et de ne jamais les divulguer ? Il faut que l’on prête attention à ces gens qui souffrent en silence, qu'on soit prêt à les aider à relever la tête, pour qu’ils ne sombrent pas dans la détresse, que ce soit une dépression, une crise mélancolique ou un mal irréparable”, a plaidé le psychothérapeute.

Par Mor Amar

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