Le désenchantement des paysans du bassin arachidier

Les nouvelles autorités, dès la prise de pouvoir, avaient annoncé une batterie de mesures visant à améliorer les conditions de vie des paysans à travers des politiques telles que l'augmentation à 120 milliards de F CFA du budget destiné à la récente campagne agricole. Ces mesures n'ont pas porté leurs fruits et la situation du monde rural est plus que jamais alarmante.
Les complaintes concernant l'échec de la politique agricole du nouveau régime fusent de partout dans le monde paysan, qui exprime toute sa déception au regard du bilan après un an d'exercice du pouvoir, notamment dans le domaine de l'agriculture.
En effet, bien que des décisions fortes aient été prises au début du règne des nouvelles autorités pour redorer le blason du secteur agricole, la désolation est le sentiment le mieux partagé chez les agriculteurs du bassin arachidier. Tous, sans exception, peignent un tableau sombre de la première année du régime du président Bassirou Diomaye Faye.
Face à cette situation de chaos généralisé, les réactions ne manquent pas. C’est le cas de celles des paysans affiliés à l’organisation paysanne Aar Sunu Moméel. Ces derniers estiment qu’en un an, l’agriculture a subi une chute due à un mauvais management du ministre de tutelle. Selon Bassirou Ba, président de l’organisation susmentionnée, certes, le budget pour le financement de la campagne agricole a été porté à 120 milliards F CFA, mais il n’en demeure pas moins qu'une mauvaise gestion a conduit à l’échec de toutes les prévisions gouvernementales.
Au premier plan des responsables, Bassirou Ba pointe du doigt la gestion du ministère de l’Agriculture qui n’a pas su coordonner, selon lui, la politique agricole lancée par nos autorités en vue d’obtenir des résultats probants. C’est pourquoi les objectifs escomptés n’ont pas été atteints.
Plus de la moitié des agriculteurs n’ont reçu aucune graine à semer
Pour ce qui est des semences, Bassirou Ba assume que ‘’la qualité a été très mauvaise, en ce sens que les semences distribuées sont en réalité des graines à faible teneur, récoltées il y a trois ans et dont plus de la moitié des sacs, souvent infectés par des parasites, est constituée de sable’’. À cela s’ajoute le fait que ces semences ne sont pas certifiées, n’ayant pas suivi le circuit indiqué pour obtenir l’agrément de semences.
D’après lui, les récoltes de cette année ont été catastrophiques, surtout dans la filière arachidière, un état de fait causé par le manque d’intrants agricoles.
Concernant l’implication des forces de sécurité dans la chaîne de distribution des intrants, des paysans interrogés soutiennent que les opérateurs économiques se sont encore bien servis sur le dos des pauvres agriculteurs, car ce sont les mêmes procédés qu'ils ont adoptés, consistant à encaisser les milliards, pour n’avoir donné aux producteurs que des semences de mauvaise qualité, pourtant subventionnées par l'État.
Les forces de sécurité n’auront donc servi à rien du tout.
De plus, la moitié des agriculteurs n’a reçu aucune graine à semer, ce qui les obligeait à acheter eux-mêmes leurs semences.
Des efforts salués quant à la disponibilité de l'engrais
Par contre, certains agriculteurs saluent les efforts de nos autorités qui ont, selon eux, fait en sorte que l'engrais soit disponible. Là encore, des observations ont été faites. En effet, nos interlocuteurs disent avoir regretté le retard accusé dans la distribution de l’engrais, ce qui a conduit beaucoup de paysans à s’en procurer sur le marché à des coûts élevés. Et malgré la disponibilité de l’intrant, seule une petite partie a été subventionnée, d’où le renchérissement du coût de vente au marché noir. Tout cela contredit les promesses tenues par le régime.
C’est ainsi que Bassirou Ba explique l’échec de la campagne agricole de cette saison. Dans le bassin arachidier, le constat est que, hormis l’arachide, des céréales comme le mil et le maïs ont également été impactées par ces manquements liés aux intrants agricoles. ‘’Le mil, le maïs et même le bissap et autres spéculations sont en quantité insuffisante’’, regrettent des paysans contactés dans la région de Kaffrine, notamment à Mbirkilane et à Koungheul. Pour eux, cette situation est un désastre alimentaire, car les cultures céréalières sont une source fondamentale de survie du monde rural.
Donc, d’après eux, si, en plus du mauvais rendement de la culture arachidière, une mauvaise récolte en céréales de base s’y ajoute, cela signifie tout simplement que le monde rural va vivre des lendemains difficiles, d’où l’urgence, selon les agriculteurs, de trouver des mécanismes visant à les accompagner pour faire face à ces difficultés.
Le coup de gueule de Tamsir Ndiaye
‘’Je n’ai rien à dire au sujet de ce régime qui ne se soucie pas de respecter ses promesses’’, fulmine Tamsir Ndiaye, un gros producteur de Dinguiraye, qui s’offusque de la posture des autorités qui ne font, selon lui, que ‘’raconter des contre-vérités’’. Notre interlocuteur, avec 50 ans d’expérience dans les champs, a traversé tous les régimes qui se sont succédé à la tête du Sénégal, faisant de lui une figure respectée de l’agriculture et connu pour son franc-parler en faveur des intérêts des paysans. Il affiche son désarroi quant à la suite donnée aux promesses de nos dirigeants. ‘’Les autorités avaient annoncé 120 milliards F CFA pour financer la campagne agricole de la saison qui vient de s’achever. Mais le constat est que sur le terrain, je me demande si réellement cette enveloppe a bien été injectée dans le secteur, car tous les paysans ont acheté eux-mêmes des semences, soit en Casamance, à Tambacounda ou parfois dans le Saloum, chez des agriculteurs qui gardaient des graines de qualité’’, a-t-il déclaré.
Il ajoute que les semences n'étaient pas disponibles comme promis par les autorités à travers ces 120 milliards qui dépassent de loin l’enveloppe dégagée par le défunt régime. ‘’L’année dernière, j’ai acheté le kilo de semences d’arachide à 500 F CFA en Casamance. Donc, je ne vois pas ce que nos gouvernants ont fait et je ne suis pas le seul dans ce cas’’, a-t-il rappelé.
L'espoir d'un changement radical dans le secteur primaire a certes plané avec les discours servis par Diomaye Faye. Mais entre promesses et concrétisation, il existe parfois un grand fossé. C’est ce que semble dire M. Ndiaye, qui a expliqué que ‘’même les engins agricoles n’existent pas dans les champs. Pourtant, nos décideurs avaient inscrit dans leur politique de relance de l'agriculture une dotation en matériel agricole au niveau des zones agricoles’’.
En verve, le vieux Tamsir Ndiaye pense déjà à la prochaine saison agricole. Les paysans ont intérêt, selon lui, à commencer à cibler des zones qui disposent de semences pour s’en procurer, puisqu’il est sûr que ce régime n’aura rien à leur offrir, si ce n’est de les gaver de promesses.
Alioune Badara Diallo Kane