Publié le 9 Jul 2025 - 10:10
DÉMOCRATIE, LIBERTÉS PUBLIQUES, POLITISATION DE L’ADMINISTRATION

L’éternel recommencement

 

Malgré les alternances qui se suivent depuis 2000, le Sénégal reste enfermé dans des débats puérils, politiciens, avec une classe politique qui a du mal à s’emparer des questions essentielles de développement. L’espoir suscité par la dernière alternance s’amenuise jour après jour. Cette thématique plus que d’actualité est au cœur de l’un des deux ouvrages de Yoro Dia, "Le Sénégal, une démocratie de Sisyphe"

 

Présenté comme une exception démocratique en Afrique, le Sénégal semble pourtant enfermé dans un cycle sans fin. De 2000 à aujourd’hui, malgré les alternances successives et la solidité apparente de ses institutions, le pays n’échappe pas à l’éternel débat sur les règles du jeu électoral et le respect des libertés fondamentales. Journaliste et ancien ministre sous Macky Sall, Yoro Dia décrit ce paradoxe dans deux ouvrages qu’il vient de publier aux éditions L’Harmattan et qui seront présentés samedi prochain : “Le Sénégal, une démocratie de Sisyphe” ainsi que “Les intellectuels sénégalais dans la marche vers la première alternance”. 

Comme Sisyphe condamné à pousser indéfiniment son rocher, le Sénégal s’échine, après chaque changement de régime, sur les mêmes chantiers démocratiques : Code électoral malgré trois alternances; maintien ou révision des articles 254 et 80 du Code pénal ; sortie du président de la République du Conseil supérieur de la magistrature…. Tel un serpent de mer, ces sujets continuent d’alimenter le débat public après chaque alternance, malgré les promesses mirobolantes des nouveaux gouvernants, qui oublient très vite leur passé en tant qu’opposants.

“De 1962 jusqu’aux dernières législatives, le Sénégal semble se complaire oisivement dans ces débats”, constate l’ancien ministre pour s’en désoler. Au lieu de profiter de ces acquis démocratiques et de sa stabilité, il s’enferme dans des débats puérils et sans fin. L’auteur se désole : “Cette démocratie de Sisyphe est un frein à la marche vers l’émergence économique”, regrette M. Dia.

Dialogues puérils, arrestation et poursuites tous azimuts, politisation excessive de l’administration

Avec la dernière alternance, sanctionnée par l’arrivée au pouvoir de jeunes leaders ayant toujours prôné une rupture systémique, l’espoir était grand. Malheureusement, certaines pratiques s’accentuent et continuent de polluer le débat public, d’empêcher de mobiliser les énergies autour de l’essentiel.

Entre les arrestations et convocations tous azimuts, les dialogues répétitifs et infructueux sur des questions politiques, les attaques contre la justice, le pays semble plutôt opter pour le surplace, au lieu de profiter de la stabilité de ses institutions. Au grand dam de l’auteur qui déplore : “Nos élites politiques gaspillent énergie et intelligence dans des querelles électorales stériles, au lieu de se concentrer sur la marche vers l’émergence économique… Même les questions sécuritaires comme la crise casamançaise ou la menace terroriste sont reléguées au second plan.”

Au-delà des questions économiques, le docteur en sciences politiques semble bien conscient que notre démocratie est encore à parfaire. Quelques points d’attention retiennent l’attention dans son ouvrage ‘´Une démocratie de Sisyphe’´. Parmi ces points, la Justice… “Seul service de l’État qui porte le nom d’une vertu, la Justice est paradoxalement le maillon faible du système démocratique sénégalais fondé sur l’État légal. Sa réforme est un prérequis pour renforcer l’État de droit dont il est le pilier”, plaide le politologue. 

De l’indépendance à nos jours, les différents présidents ont utilisé ce pilier comme un instrument de combat contre leurs adversaires, plutôt qu’un cadre pour créer les conditions d’un État émergent. Opposant, explique Yoro, on est prompt à promettre des réformes audacieuses, mais une fois au pouvoir on s’en sert. Intellectuel très rigoureux dans l’analyse des faits, Yoro Dia n’a pas épargné la justice sous le règne de son ex-patron.

La Justice: le maillon faible du système démocratique

Malgré les limites, le Sénégal reste perçu comme une vitrine démocratique en Afrique. Mais, alerte Yoro Dia, il ne faudrait surtout pas s’enfermer dans ce confort illusoire. Car bien que cités en exemple, les mêmes blocages demeurent, rendant chaque alternance presque vaine. 

La question centrale reste donc entière, selon lui. Jusqu’à quand le Sénégal va-t-il tourner en rond autour de son mythe démocratique sans affronter les vrais défis économiques, sociaux et sécuritaires ? À un moment, il faudra bien choisir entre: continuer à faire du surplace ou briser enfin le cycle de Sisyphe, l’éternel recommencement. 

Le mal du système sénégalais que décrit le ministre Yoro Dia c’est aussi “l’État prébendier”, avec ses éternels prédateurs issus notamment de la classe politique, mais pas que. C’est aussi cette déstructuration de l’administration notée en particulier depuis les années 2000 avec l’avènement des libéraux. Pendant longtemps, renseigne-t-il, des fonctions stratégiques qui étaient une sorte de chasse gardée pour les hauts fonctionnaires. “Il était impensable qu’on y nommât un politicien”, renseigne l’auteur.

Un système robuste malgré les limites

Il en fut ainsi des postes de : secrétaire général du Gouvernement; secrétaire général des Affaires étrangères, mais aussi les régies financières. ‘´La politisation de ces fonctions est contreproductive’´, estime l’ancien ministre qui précise : ‘´Notre administration est soumise au pouvoir politique dont elle est l’instrument d’exécution. C’est cette culture de soumission légale de l’administration au pouvoir politique qui permet au Sénégal de réaliser la prouesse mondiale de faire des transitions d’une semaine entre deux présidents de la République.’´

Ce modèle, c’est aussi des fondements solides posés depuis le début des indépendances avec le président Senghor. Il a été renforcé avec l’avènement des 1974 d’une opposition légale avec Wade. Le défi aujourd’hui c’est de bâtir une démocratie plus moderne, tournée vers l’essentiel.

Par Mor Amar

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