Publié le 26 May 2014 - 15:41
ÉDITO DE MAMOUDOU WANE

La faillite des élites...

 

“En traitant avec les communautés juives, Mohammad (PSL) chercha avec acharnement à gagner leur confiance et à se faire accepter comme chef de la grande communauté. Ce faisant, il fixait l'attitude modèle des musulmans à l'égard des autres traditions religieuses, une attitude de tolérance et de coexistence qui, à de regrettables exceptions près, a été la politique des communautés islamiques au cours des temps.” Austin Ralph “Le monde Arabe”

 

       Sans être dans la posture passive de celui qui s'abreuve de la réflexion des autres, du discours d'adieu de l'ambassadeur Lewis Lukens, il faudra bien accepter qu'il draine une part de vérité. “Où est passé le courage sénégalais ?” s'est interrogé le diplomate. Sans doute parle-t-il en priorité du leadership de notre pays sur la scène internationale, mais il élargit bien la perspective avec une finesse bien diplomatique.

“J’espère que l’attitude de tolérance du Sénégal ne fera que grandir et que ce pays continuera à être un leader dans la région”. Crainte légitime ! Nous pensons que les valeurs laïques qui fondent la République reculent. Le pire, c'est que personne ne veut s'en rendre compte...

Comment par exemple comprendre que la seule clameur qui a accompagné la sortie du livre “Le Coran et la culture grecque” (L'Harmattan) du Professeur titulaire Oumar Sankharé ne soit que colère et bave ? En sommes-nous arrivés à une situation telle que n'importe qui peut se lever et prononcer sa 'fatwa' contre les “mal pensants” ? Au nom de la liberté de penser, comment ne pas s'étonner que, personne ne se soit levé pour défendre Sankharé au point que le malheureux soit obligé de s'excuser d'un “crime” qu'il n'a pas commis ? Nos universitaires, intellos, société civile, artistes et autres ont-ils si peur d'être classés dans le “Guiness sénégalais de top mécréants qu'ils en ont perdu la langue ? Ce qui est en tout cas sûr, c'est que cette “symphonie” n'est pas sortie de la cuisse de Jupiter. Elle porte la griffe d'un mouvement dénommé “Jamra” qui a lu à la place de tout le monde.

Car peu de personnes qui se sont pourtant forgé une opinion, ont réellement parcouru les 197 pages du livre qui fait débat. De quelle légitimité peut bien se prévaloir Jamra pour “décréter” comme sous un coup de baguette magique que le bouquin du Professeur Sankharé était blasphématoire ? Quelle frange de la population représente Jamra pour avoir le droit d’asséner la “vérité” et de pousser consciemment et inconsciemment la vindicte populaire contre un universitaire qu'on ne peut pas soupçonner d'être un farfelu du point de vue du niveau académique. Comment se fait-il que l'espace public sénégalais soit si vicié au point que le premier à crier étouffe toutes les autres voix. L'actualité de ces derniers jours en a d'ailleurs perdu le souffle au point que Touba est sortie de sa réserve pour condamner. 

Il n'y avait pas de quoi, au fond... En vérité, l'ouvrage que nous avons parcouru est plutôt ordinaire. Et sans doute ce coup de pub' va faire exploser les ventes dans les librairies. Bien que rédigé par un brillant universitaire, ce n'est point un chef-d’oeuvre. A certains passages, la faiblesse de l'argumentaire est bien visible et le raisonnement tiré par les cheveux, pour ne pas dire au forceps. Le Pr Sankharé essaie de lire le Coran selon une perspective de grammairien.

C'est à travers les mots, les expressions, les allégories qu'il s'en va chercher des filiations ou connexions qui peuvent certes être fondées mais qui ne sont pas assez prouvées. Le paradigme est celui d'un littéraire. Une autre approche, peut-être historique, aurait pu rendre compte d'autre chose. Malgré tout, l'ouvrage est intéressant du point de vue scientifique et peut surtout titiller les chercheurs, car, aussi bien du point de vue de son architecture que du niveau de langue utilisés, il n'est pas destiné à la grande consommation. Et justement, il aurait pu être réduit en cendres grâce à un argumentaire bien mené...Simplement... Et en toute intelligence.

Au fond, l'affaire Oumar Sankharé n'est pas un cas isolé. Nous pensons que le fait que rien n'ait bougé dans ce pays, au niveau de l'espace public, pour dénoncer les déclarations de Me Abdoulaye Wade qui, auréolé de son statut d'ancien chef d’État, s'est permis de dire qu'il pouvait... en toute liberté, faire chuter un régime démocratiquement installé par le peuple souverain, est l'indicateur d'une faillite en marche des forces progressistes et laïques au profit des forces réactionnaires.

Il faut sans doute diagnostiquer ce phénomène, mais la réaction dominante auprès de certaines sentinelles de la République semble désormais être...l'indifférence au moment où, l’État a fini de s'agenouiller devant certaines chapelles. L'indifférence ? Chacun semble s'occuper de son petit lopin de terre et de coeur. Une posture dangereuse pour tout le monde. Car, lorsque le feu prend la savane, il ne fait point de discrimination entre les hautes et basses herbes. Sagesse bambara !

 

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