A Gueule Tapée, la déscolarisation frappe
Des contraintes socio-économiques et culturelles hypothèquent la scolarisation de nombre d'enfants. Et ce phénomène, qui jure d'avec les objectifs d'éducation pour tous (Ept), touche des zones aussi insoupçonnées que le quartier de Gueule Tapée au cœur de la capitale sénégalaise, Dakar. Reportage.
Censé soutenir les familles démunies dans les charges scolaires de leurs enfants, le programme de bourse familiale gagnerait à regarder dans la direction de certaines localités, a priori hors de soupçon, mais minées par des difficultés d'éducation. C'est le cas à la Gueule Tapée, quartier populaire de Dakar, à une dizaine de minutes de voiture du centre-ville.
A. Wade, petite fille de teint noir, 8 ans, s'active dans la commercialisation d'eau fraîche au Rond Point Sahm. On l'imagine suspendre ce commerce à la rentrée scolaire, et regagner les salles de classes comme bon nombre de jeunes de son âge. Mais elle affirme ne plus aller à l'école. La raison, ses parents n'ont pas assez de moyens financiers pour lui procurer ses fournitures scolaires. Son père, mécanicien, a comme seule préoccupation d'assurer la dépense quotidienne à une famille nombreuse. Sa maman, vendeuse de cacahuètes, n'arrive pas à tirer profit de son commerce. ''Mes parents ne s'inquiètent guère de notre formation, c'est le dernier de leur souci'', avance la fillette, notant qu'aucun des six enfants de sa famille, dont quatre filles et deux garçons, n'a pu dépasser le seuil du primaire, par manque de suivi.
Son cas n'est pas isolé. A. Fall est aussi victime de la précarité du statut social de ses parents. Âgée d'une douzaine d'années, elle confie avoir arrêté ses études en première année de cours élémentaire (CE1). Elle était totalement prise par les travaux ménagers de la maison, la vente de jus au niveau des carrefours. A l'en croire, sa mère est occupée par la vente de repas, dans une gargote, son père est ''un débrouillard''. ''Ma mère est l'unique soutien de la famille. Étant la seule fille de la famille qui compte quatre enfants, je me chargeais de tous les travaux domestiques'', dit-elle, ajoutant que ses frères sont tous apprentis mécaniciens.
Oumou H., elle, aide sa maman dans la vente de poisson au marché de Tilène. Devant la porte de leur maison, à Gueule Tapée, en compagnie de ses copines, elles devisent tranquillement. Au menu de la discussion, l'approche de la fête de Tabaski (Aïd El Kébir). Âgée de 15 ans, Oumou soutient que sa mère est divorcée, et a la garde des trois filles issues de cette union. ''À vrai dire, mon père nous a totalement abandonnées'', avoue Oumou. D'après elle, ses deux sœurs, respectivement de 12 et 9 ans, et elle, n'arrivant pas à suivre convenablement les cours primaires, leur mère a arrêté de financer leurs scolarités.
La pauvreté, facteur d'exclusion scolaire
En fait, selon le rapport de l'Unicef de mars 2013 sur la situation des enfants au Sénégal, 45,3% des chérubins âgés de 6 à 11 ans étaient exclus du système scolaire entre 2010-2011. Et la proportion de ces exclus du système scolaire est deux fois plus élevée parmi les enfants de familles pauvres (57%) comparativement aux ménages les plus riches (25%).
Selon Théophile Guèye Ndoye, enseignant à l'école El Hadj Amadou Lamine Diène, de Gueule Tapée, trois facteurs contribuent à la déscolarisation des enfants : le manque de suivi, le problème d'harmonie familiale et la désadaptation sociale scolaire. Lorsque les parents n'encadrent pas l'enfant dès sa sortie de l'école, facilement ses études sont perturbées. Le plus souvent, dit-il, l'enfant est laissé à lui-même et les enseignants ne peuvent pas agir car ne disposant pas de mesures de contrainte. ''Très souvent, les mères sont beaucoup plus attentionnées à l'éducation de leurs enfants. Mais malheureusement, elles ne sont pas toutes éduquées, donc elle n'arrive pas à suivre leurs enfants. Quant aux pères, ils ne soucient guère de l'éducation de leurs enfants'', renseigne M. Ndoye. Il déplore le fait que si les pères de famille s'intéressent ''parfois'' à l'éducation de leurs enfants, c'est dû aux primes qui leur sont allouées pour la scolarisation de leurs enfants.
Le manque de suivi, facteur déstabilisateur
De l'avis de Mme Manga, enseignante à l'école El Hadj Alié Codou Ndoye, dans la même localité, la désadaptation scolaire est une cause de la déscolarisation. Le fait de faire changer l'enfant d'école fréquemment peut perturber sa formation. Les couples pauvres divorcés sont plus touchés par cette situation, explique l'enseignante. Lorsqu'une femme est divorcée, elle emmène avec elle tous ses enfants ailleurs. Inscrit dans une autre école, l'enfant peut avoir des difficultés à suivre ses études. Faute de suivi, il arrête ses études.
D'après le rapport de l'Unicef, citant les données du ministère de l'Éducation nationale, le taux d'abandon à Dakar est de 3% en 2011.