‘‘Dockers’’ ou esclaves des temps modernes ?
Le 1er Mai est, en principe, une journée où les travailleurs ne travaillent pas. Mais ce pléonasme ne s’applique pas nécessairement à tous les acteurs du secteur portuaire au Sénégal. Les dockers, par exemple, comme par abus de langage, on appelle tous les manutentionnaires de sacs dans les entreprises portuaires. Ils sont nombreux à bosser du Lundi au Dimanche, 15 à 20 heures par jour, voire plus, qu’il pleuve ou vente, qu’il fasse froid ou sous le soleil ardent, avec des salaires de clochard. Exactement ce pourquoi les ouvriers américains se battaient dans les années 1884 et qui a abouti à la création de la journée internationale des travailleurs. J’ai donc profité de ma journée de congé pour me pencher sur leurs conditions de travail que mes semblables jugent misérables.
Ils sont nombreux, ces ouvriers, robustes comme Tapha Tine (ou Balla Gaye 2), à gagner leur vie grâce à cette activité de manutention manuelle de charges. Au port de Dakar, Ils font la navette entre les cales des navires et les hangars avec, sur le dos ou la tête, des sacs de riz, de ciment, de mais ou d’autres produits. Dans les entreprises de manutention, ils s’occupent, pour la plupart, du déchargement ou chargement des sacs dans les camions. Leurs conditions de travail laissent parfois bouche bée. Mais le plus stupéfiant, c’est le salaire de misère qu'ils perçoivent par rapport à tout l’effort qu’ils déploient.
Issa*, un magasinier d’une société du secteur, m’explique : «Lorsqu'une entreprise doit décharger un navire de riz, elle négocie avec un chef manutentionnaire qu'elle rémunère à 1000 francs CFA par tonne. Ce dernier engage une équipe de dockers qui s'occupe du déchargement du navire à raison de 350 francs CFA par tonne. Les tarifs peuvent légèrement varier cependant. Tout dépend des entreprises ou du produit manutentionné. Généralement, les dockers perçoivent leur dû en fin de semaine. Les équipes composées d'une dizaine de personnes se partagent la somme.»
Oui, vous avez bien lu. Il s’agit bien de 350 francs Cfa par tonne. Ce salaire de misère fait que certains sont obligés de se tuer à la tâche, dépassant largement les 8 heures de travail par jour comme fixées par le code du travail. Mon interlocuteur poursuit : «Quand le navire accoste au port, les équipes se relayent 24h/24. Mais il peut arriver qu’une seule équipe reste dans l’entreprise de 8h à 23heures ou minuit lors des livraisons. D’autres passent la nuit ici pour reprendre le travail le lendemain. Ils n’ont pas d’heures de pause. Tant que les camions sont là, il n’y a pas de rupture dans le travail.»
La sécurité est quasi inexistante dans le travail de ces ouvriers. Pour soulever les sacs de riz, ils n’ont ni gant, ni cache-nez pour se protéger de la poussière. Pour le déjeuner en milieu de journée, certains se rabattent sur ce riz non cuit issu des flasques (sacs déchirés) qu’ils mélangent dans un récipient avec un peu de sucre et d'eau.
Cette surexploitation dont ils font l'objet peut expliquer les cas de corruption ou de vol très fréquents dans ces entreprises. Abdou*, un ancien magasinier dans le milieu confie : «Il faut être très vigilant avec les dockers lors du chargement des camions. Ils peuvent facilement charger plus de sacs que prévu et revendre le surplus à 8 ou 10 000 francs Cfa le sac ou les ramener chez eux. Et cela de connivence avec les conducteurs de véhicule. Il est également très fréquent de surprendre les dockers déchirant des sacs pour en retirer quelques kilogrammes de riz afin de les revendre. Par jour, on peut déceler 4 à 5 cas de vol.»
Tous ces facteurs font penser qu'il n'existe pas de législation concernant l'emploi des dockers dans le pays. Pourtant, depuis 1994, il existe un décret fixant les conditions particulières d'emploi des dockers dans les ports du Sénégal. Il existe également un Bureau de la Main d’œuvre (BMO) qui s'occupe de leur recrutement et rémunération. Mais, la plupart de ces ouvriers sont analphabètes. Nombre d'entre eux savent à peine écrire leurs prénoms. Certains sont au courant de l’existence de cette structure mais préfèrent travailler dans l'informel, accusant les autorités du BOM de discrimination ou de magouille. Les chefs manutentionnaires, quant à eux, souvent regroupés dans des GIE, profitent de l'ignorance et la naïveté de ces malheureux ouvriers pour se sucrer sur leurs dos. Un vrai esclavagisme des temps modernes !
* Prénoms d'emprunt
Arouna BA - arounaba1@gmail.com
Etudiant Logisticien