‘’Connais-toi-toi-même !’’
Il ne nous avait pas habitués à cela et c’est à une vitesse vertigineuse que Mamadou Diop Decroix est remonté, la semaine dernière, dans notre estime. Il n’en a ‘’rien faire’’ bien sûr et pour rester poli, je le sais, mais enfin, il me fallait bien le dire, car c’est à la vérité que je le dois et pas à lui-même.
Dans le débat sur le référendum et le mandat du président de la République, qui agite tant le landernau politique, je m’attendais à le voir faire chorus avec son talent et ses affidés habituels. C’est-à-dire sans nuances, avec violence, toujours et hargne, souvent. Sur ce plan, j’en ai été, cette fois, pour mes frais !
Car c’est avec beaucoup de hauteur d’esprit que Decroix a abordé ce sujet sur lequel tant de sottises ont été écrites, ou vont l’être sous peu ! Bien loin donc des déclarations à l’emporte-pièce auxquelles, de sa part, l’on avait fini par nous habituer ! La principale problématique qu’il a voulu poser concerne la forme même de notre Etat auquel il fait le reproche, à juste titre peut-être, de n’être qu’un simple placage de l’Etat colonial et des rapports que celui-ci aurait introduits entre Administration et administrés, gouvernement et gouvernés.
C’est très intéressant, très neuf par les temps qui courent. Mais très faux aussi car Decroix a tort ou, disons-le autrement : sa raison n’est qu’une apparence. S’il a en effet vu, aperçu, entrevu un arbre véritable, la forêt pourtant vaste et dense qui se trouvait derrière cet arbre lui a complètement échappé ! Soit paresse ou lassitude ou de propos délibéré alors, il a décidé, en tout cas, de limiter son regard et son horizon à ce seul arbre et jusqu’à la fin des temps !
Or, ce n’est pas la colonisation qui a plaqué sur nos sociétés le type d’Etat et d’administration qui lui plaisait et l’arrangeait pour nous dominer et nous exploiter, mais ces sociétés elles-mêmes qui, bien au contraire, ont plaqué sur les nouvelles structures les vieilles lunes qui leur étaient plus familières et confortables. La preuve en est simple et à la portée de tous qui trouve dans les termes si communs de ‘’Nguur’’ et de ‘’Buur’’ qui ont la même racine et sont donc de la même famille que ‘’roi’’ et ‘’royauté’’ ou ‘’pouvoir’’ et ‘’potentat’’. Dans nos parlers, au nord comme au sud, la chose publique, la ‘’res-publica’’ n’existe pas car tout y appartient au Prince ou à ses délégués ou représentants.
Le terme si commun de ‘’baadolo’’ qui peut se traduire, indifféremment, par ‘’manant’’, ‘’pauvre type’’, ou ‘’pauvre c…’’ comme aurait dit Nicholas Sarkozy, c’est, tout simplement le roturier, l’homme du peuple ni savant ni lettré et surtout ni titré ! Le pur citoyen lambda !
Ce ne sont pas les Français qui ont inventé cela et l’ont introduit ainsi avec leur administration. C’est nous-mêmes qui sommes comme ça !
C’est nous aussi et personne d’autre qui faisons de Diéry Dior Ndella un martyr du nationalisme africain, un pur paladin, un héros du patriotisme sénégalais, pour avoir tué à Thiès l’officier français qui voulait le mettre en prison pour avoir ‘’vendu’’ un sien captif afin de s’acheter de quoi boire (quelques barriques de vin avec ses commensaux habituels. Qui est le héros de cette histoire ? Qui est le bon, qui est le méchant ? Est-ce l’esclavagiste ou l’officier colonialiste ? Toujours et de tout temps on a évité de répondre directement et je gage que l’on continuera, longtemps encore, à éviter cette question : elle est trop dérangeante, même pour des marxistes réputés comme Diop-Decroix en est un par exemple.
Il est tellement plus simple, plus expédient et politiquement rentable de mettre toutes nos tares, toutes nos insuffisances sur le dos des Français et de leur maudite colonisation, alors que nous remettre en cause, par quelque bout que cela puisse être, pourrait nous exposer à bien des dangers ! L’alcool sur une plaie ouverte, cela fait mal bien sûr ! mais c’est juste pour un instant et toute infection se trouve évitée. Mais gare à la gangrène si vous ne faites rien et au lieu du docteur n’appelez que les sorciers !
La question que Cheikh Hamidou Kane met dans la bouche de la ‘’Grande Royale’’ dans l’Aventure Ambigüe’’, nous ne nous la posons jamais : ‘’Pourquoi ont-ils gagné alors qu’ils n’avaient pas raison ?’’ C’est que la réponse n’en est pas plaisante ! Pourquoi ils ont gagné, (les Français) du fait de notre faiblesse technologique, sûrement, mais peut-être, un peu morale aussi. Les Chinois, au même moment et dans les mêmes conditions, à peu près, ont été soumis aux ‘’diables étrangers de l’Ouest’’.
Ils n’ont pas eu besoin d’un Cheikh Anta Diop pour démontrer que leur civilisation était antérieure et supérieure alors à celle des Européens. Sans regarder en arrière et se lamenter sur leur passé glorieux et révolu, ils se sont mis à apprendre de leurs vainqueurs et à s’exercer à leurs armes. Moyennant quoi, ils leur disputent, avec les Indiens et les autres Asiatiques, aujourd’hui, l’empire du monde et la première place dans l’univers connu. Socrate disait il y a plus de 2000 ans : ‘’Connais-toi toi-même !’’ Rien n’a jamais été aussi vrai pour nos compatriotes sénégalais mais, très souvent, hélas ! nous répugnons à le faire…
Par Abdou Salam Kane