Publié le 27 Jun 2018 - 21:42
1 031 USAGERS DE STUPÉFIANTS EN DEUX ANS AU CEPIAD

Le déni social, l’autre mal à combattre

 

Le représentant régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), Pierre Lapaque, a livré hier les grandes lignes du rapport annuel sur les drogues 2018. Il a invité à éviter la politique de l’autruche pour prendre ce problème à bras-le-corps, en se réjouissant que le Centre contre les addictions (Cepiad) soit un premier pas dans ce sens. 

 

Ce lundi, la sécurité publique procédait à l’incinération de 1 734,66 kg de drogues saisies dans la région de Dakar. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime lui a emboité le pas, hier, en publiant son rapport mondial 2018 sur les drogues. Un document dont les conclusions ne rassurent guère puisque, globalement, ‘‘les marchés se développent’’, alors que ‘‘la production de cocaïne et d’opium atteignent des records’’. Le représentant régional de l’Onudc, Pierre Lapaque, expliquant les logiques de ce phénomène au plan local, s’est félicité du fait que ‘‘le Sénégal a une bonne connaissance des données’’, mais pourrait mieux faire en affinant davantage le profilage des usagers de la drogue. Le pays a été l’un des premiers à regarder lucidement le problème en y implantant un Centre de prise en charge intégrée des addictions à Dakar (Cepiad) en 2015.

Depuis, les barrières sociologiques qui empêchaient la réalité de ce problème semblent s’estomper, mais ce n’est pas gagné. ‘‘Il y a une augmentation de l’héroïne ; le déni est une erreur fondamentale. 1 031 personnes sont venues au Cepiad, depuis deux ans. On avait vraiment sous-évalué le problème. Toutes ces personnes sont localisées dans la région de Dakar, car il n’y a pas de centre pour les autres régions. Elles sont majoritairement sénégalaises. Il y a 70 femmes parmi elles. Mais il y a aussi des Guinéens, des Maliens, des Français, des Canadiens’’, explique-t-il, tout en concédant que ce centre n’est pas la panacée, bien qu’elle demeure fondamentale dans la solution à apporter à ce problème.

Classant les drogues par fréquence d’utilisation, le ‘‘yamba’’ est de loin la drogue préférée des consommateurs au Sénégal, mais l’héroïne, la cocaïne, le crack, la méthamphétamine, et récemment le khat (traditionnellement d’usage en Afrique de l’Est) complètent la liste. Dernièrement, l’intégration dans le cursus universitaire d’une filière en addictologie, en partenariat avec la Cedeao, pourrait aider à effacer les incohérences qui expliquent qu’il n’y en eût pas il y a une décennie.  

L’usage multiséculaire des opioïdes - ‘‘on en a découvert dans les tombeaux des pharaons’’ -, dira M. Lapaque, est une raison de plus de décomplexer la parole et ne pas appliquer la politique de l’autruche. Un déni sociologique désastreux pour les familles qui contribue à amplifier le phénomène et libère des larges boulevards pour les narcotrafiquants. ‘‘On ne peut pas traiter les gens contre leur volonté. Si on n’arrive pas à en parler à nos jeunes, les trafiquants parviendront à leur vendre leurs produits’’, souligne-t-il, mettant en évidence une stratégie de pénétration des cartels qui visent les jeunes qui sont un des principaux atouts du continent noir. 

Une tactique qui semble payer, puisque l’Ouest, le Centre et le Nord de l’Afrique totalisaient à eux 87% du total mondial des saisies d’opioïdes pharmaceutiques (tramadol) saisis en 2016 sur un total de 87 tonnes. La même quantité d’héroïne a été à peu près saisie, cette année-là également. Les pays d'Asie, qui représentaient auparavant plus de la moitié des saisies mondiales, ont déclaré seulement 7% du total global saisi en 2016. Si le Sénégal tente de tirer son épingle du jeu, tant bien que mal, la situation n’est guère mieux ailleurs dans le continent. Pierre Lapaque d’expliquer que ‘‘les pays africains ne transmettent pas les données. Soit ils n’arrivent pas à les collecter, soit le cas échéant, elles ne sont pas fiables. On parle en tendances, car on ne peut pas aller plus loin’’.

Usage préoccupant du Tramadol

Il n’y a pas que les drogues dures. Des techniques de substitution servent aussi aux consommateurs, avec l’usage non médical d’opioïdes. L'usage non médical de médicaments sur ordonnance devient une menace majeure pour la santé publique et l'application de la loi dans le monde entier. Selon le dernier Rapport mondial sur les drogues, publié par l'Onudc, lorsque les troubles liés à l’usage de drogues sont la cause des décès, ce sont les opioïdes qui causent le plus de dommages et représentent 76% des décès. Si le fentanyl et ses analogues demeurent un problème en Amérique du Nord, le tramadol - un opioïde utilisé pour traiter les douleurs modérées à sévères - est devenu une préoccupation croissante dans certaines régions d'Afrique et d'Asie.  L'accessibilité du tramadol à des fins médicales est essentielle pour traiter la douleur, mais les trafiquants les fabriquent illicitement et les promeuvent sur les marchés illégaux, causant des dommages considérables à la santé.

Si cet opioïde modéré est en surdosage, de 350 à 400 mg, ‘‘les gens qui le prennent cherchent le même effet que l’opium’’, souligne Pierre Lapaque qui déplore le prix modique, 100 CFA, pour se le procurer.  Selon le rapporteur, la quantité produite laisse peu de place au doute sur la ‘‘popularité’’ de cette drogue, puisque d’une centaine de kilos, elle est ‘‘passée à 3-4 tonnes’’.  Toutefois, le cannabis demeurait la drogue la plus consommée en 2016, avec 192 millions de personnes l'ayant utilisé au moins une fois au cours de l'année précédente. Le nombre total de consommateurs de cannabis continue d'augmenter et a augmenté d'environ 16% au cours de la décennie jusqu'en 2016, reflétant une augmentation similaire de la population mondiale.

Sans différences d’âge, de sexe, de couleur...

Le rapport établit que 275 millions de personnes, soit environ 5,6% de la population mondiale âgée de 15 à 64 ans s’adonnent à la consommation de drogue. Pour l’année écoulée, il est estimé que 13,8 millions de jeunes âgés de 15 à 16 ans ont consommé du cannabis. ‘‘La pauvreté et l’absence de perspectives économiques et sociales peuvent les inciter à intégrer les filières de la drogue’’, explique M. Lapaque. L’usage des drogues, selon les genres, montre que la majorité des personnes qui consomment des drogues sont des hommes, ‘‘mais les femmes ont des habitudes d'usage de drogues spécifiques’’. Elles continuent de représenter seulement une personne sur cinq en traitement.

La prévalence de l'usage non médical d'opioïdes et de tranquillisants par les femmes reste à un niveau comparable à celui des hommes, sinon plus élevé. Si l’usage féminin est tardif, elles ont tendance à augmenter leur consommation d'alcool, de cannabis, de cocaïne et d'opioïdes plus rapidement que les hommes et à développer rapidement des troubles liés à la consommation de drogues. Le rapport note également que les femmes ayant des troubles liés à la consommation de substances présentent des taux élevés de stress post-traumatique et peuvent également avoir vécu des situations d'adversité durant leur enfance, telles que la négligence physique, ou l'abus sexuel. 

OUSMANE LAYE DIOP

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