Héritiers d’un patrimoine intellectuel et scientifique
Le 7 février 2025 marque le 39e anniversaire de disparition de Cheikh Anta Diop, l’un des plus grands intellectuels africains du XXe siècle. Si son héritage continue de rayonner à travers ses œuvres et ses idées, il se perpétue également à travers ses enfants qui, chacun à sa manière, prolongent son engagement pour la science, l’Afrique et la transmission du savoir. Bien que relativement discrets, les quatre fils de Cheikh Anta Diop incarnent, chacun dans son domaine, la rigueur intellectuelle et l’esprit panafricain de leur père.
Cheikh Mbacké Diop : le gardien de la mémoire scientifique
Cheikh Mbacké Diop, l’aîné des fils de Cheikh Anta Diop, est sans doute celui qui incarne le plus directement l’héritage intellectuel de son père. Physicien de formation, il a consacré sa vie à la recherche scientifique et à la vulgarisation de l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Son parcours est une synthèse parfaite entre la rigueur scientifique et l’engagement panafricain.
Il a fait ses armes dans le domaine de la physique nucléaire, travaillant au Laboratoire de physique nucléaire de Gif-Sur-Yvette, en région parisienne. Ses recherches ont porté sur des domaines pointus, notamment la physique des basses énergies et il a contribué à des avancées significatives dans ce champ.
Cependant, son travail ne s’est pas limité aux laboratoires. Il a également mis ses compétences au service de la diffusion des connaissances, en créant une police informatique permettant d’écrire des hiéroglyphes, un outil précieux pour les chercheurs en égyptologie.
Le passeur de l’héritage
Cheikh Mbacké Diop est bien plus qu’un scientifique : il est un gardien de la mémoire. En 2003, il publie ‘’Cheikh Anta Diop : L’Homme et l’Œuvre’’, une biographie exhaustive qui retrace la vie et les contributions de son père. Cet ouvrage, édité par Présence africaine, est une référence incontournable pour quiconque souhaite comprendre l’ampleur du travail de Cheikh Anta Diop. Il y dévoile des aspects méconnus de la vie de son père, de son enfance à ses combats politiques, en passant par ses relations tumultueuses avec Léopold Sédar Senghor.
Cheikh Mbacké Diop est également co-directeur de la revue ‘’ANKH’’, dédiée à l’égyptologie et aux civilisations africaines, aux côtés de l’éminent égyptologue Théophile Obenga. Cette revue est un espace de dialogue scientifique et culturel où se poursuit le combat pour la réhabilitation de l’histoire africaine.
Par ailleurs, il incarne l’engagement panafricain de son père. Il a été sollicité à maintes reprises pour présenter la vie et l’œuvre de Cheikh Anta Diop dans des cadres associatifs et universitaires. Son travail de vulgarisation a permis à de nouvelles générations de s’approprier les idées de son père, notamment sur l’antériorité des civilisations noires et l’unité culturelle de l’Afrique.
Jomo Kenyatta Diop : un hommage à l’amitié panafricaine
Le deuxième fils de Cheikh Anta Diop, Jomo Kenyatta Diop, porte un nom qui résonne comme un hommage au père de l’indépendance kényane. Tout comme son homonyme, Jomo Kenyatta Diop incarne une certaine idée de la lutte pour la dignité africaine.
Cependant, contrairement à son frère aîné, il a choisi une voie plus discrète, loin des projecteurs. Il vit en France, où il exerce la profession de médecin. Bien que discret, il reste profondément attaché à l’héritage de son père. Son choix de carrière dans le domaine médical reflète une autre facette de l’engagement de Cheikh Anta Diop : celui de mettre la science au service du développement humain. Le choix du nom Jomo Kenyatta n’est pas anodin. Il témoigne de l’amitié et de la collaboration entre Cheikh Anta Diop et les leaders panafricains de son époque, notamment Kwame Nkrumah. C’est lors de ses recherches au Kenya que Cheikh Anta Diop a rencontré Nkrumah, avec qui il partageait une conviction profonde : l’origine de l’humanité se trouve en Afrique orientale. Jomo Kenyatta Diop incarne cette filiation intellectuelle et politique, bien qu’il préfère rester en retrait.
Samory Touré Diop : l'héritier discret
Porteur d’un nom chargé d’histoire, Samory Touré Diop incarne un héritage familial et panafricaniste aussi riche que prestigieux. Troisième fils du grand savant Cheikh Anta Diop, il porte le prénom du légendaire résistant malinké du XIXe siècle, Samory Touré, qui s’était illustré par son opposition farouche à l’expansion coloniale française en Afrique de l’Ouest.
Médecin de profession, il a fait le choix d’une existence loin des projecteurs. Comme la plupart de ses frères, il évolue dans un domaine moins exposé politiquement et intellectuellement, bien qu’il soit animé par le même esprit de rigueur et d’engagement que son père. Installé en France, il se distingue par une grande discrétion, évitant les apparitions publiques et les prises de parole médiatiques.
Malgré cette retenue, son prénom rappelle un destin forgé par la résistance et l’ambition d’indépendance. À l’instar de Samory Touré, qui avait su bâtir un empire résistant aux assauts des troupes françaises, Samory Touré Diop inscrit son parcours dans une forme de continuité, celle d’un engagement en profondeur, loin des tribunes et des discours, mais non moins essentiel.
Loin d’être un simple hommage historique, son prénom traduit l’empreinte laissée par Cheikh Anta Diop sur ses enfants : une conscience aiguë de l’histoire et des luttes africaines transmise dans un cadre familial où chaque choix, jusqu’au nom, est un message. En cela, il reste fidèle à l’héritage d’un père visionnaire, tout en traçant sa propre voie, discrète, mais significative.
Massamba Sassoum Diop : le médecin urgentiste engagé
Le quatrième fils de Cheikh Anta Diop, Massamba Sassoum Diop, est une figure marquante du paysage médical sénégalais. Médecin urgentiste, il a fondé SOS Médecin Sénégal, une structure pionnière dans le domaine des urgences médicales et de l’évacuation sanitaire.
Un pionnier de la médecine d’urgence
Il a créé SOS Médecin en 1997, répondant à un besoin crucial en matière de santé publique. Sa structure, certifiée ISO en 2005, est devenue une référence en Afrique de l’Ouest. Chaque jour, son équipe et lui volent au secours des malades et des accidentés, sauvant des vies et améliorant l’accès aux soins.
Ce toubib ne se contente pas de soigner, il réfléchit aussi aux enjeux de santé publique. Lors de la pandémie de Covid-19, il a été l’un des premiers à analyser les particularités de la propagation du virus en Afrique. Il a notamment émis l’hypothèse que la jeunesse de la population africaine et les conditions climatiques pourraient expliquer le faible taux de mortalité observé sur le continent. Ses interventions médiatiques, notamment sur RFI, ont contribué à éclairer le débat public.
Un homme ancré dans son terroir
Contrairement à ses frères, Massamba Sassoum Diop est très fréquent au Sénégal et du village familial de Thieytou. Cet ancrage local témoigne de son attachement à ses racines et à l’héritage de son père. Récemment, il a été distingué par le Marie Marvingt Award 2024, une récompense prestigieuse décernée par l’Aerospace Medical Association (AsMA) pour ses contributions à la médecine aérospatiale.
Les fils de Cheikh Anta Diop, chacun à sa manière, perpétuent l’héritage de leur père. Cheikh Mbacké Diop en est le gardien scientifique, Jomo Kenyatta Diop le discret porteur de flamme, Massamba Sassoum Diop le médecin engagé. Ensemble, ils forment un tableau vivant de l’œuvre et de la pensée de Cheikh Anta Diop, rappelant que son combat pour la dignité et l’unité africaine reste plus que jamais d’actualité.
En ce 39e anniversaire de sa disparition, leur engagement est un hommage vivant à l’homme qui a redonné à l’Afrique sa place dans l’histoire universelle.
AMADOU CAMARA GUEYE