Publié le 4 Mar 2014 - 17:30
AN 1 DU DRAME DES TALIBÉS DE RUE 19X6

 L’indifférence et la routine ont repris le pouvoir !

 

Il y a un an jour pour jour, survenait le drame des enfants talibés brûlés vifs au cours d'un incendie à la rue 19 X 6. Ils étaient neuf à passer de vie à trépas, victime d'un système d'organisation et de conditions d'existence qui les a laissés longtemps en sursis. 365 jours plus tard et des tonnes d'indignations et de larmes asséchées, la situation est presque au statu quo, en dépit des efforts que fournissent certains démembrements de l'Etat pour changer le cours des choses.

 

Ce jour-là, la République toute entière s’était donné rendez-vous à la Médina. C’était le lundi 4 mars 2013. Un incendie mortel de la veille vers 23h avait dérangé la quiétude précaire du quartier centenaire et l’avait plongé dans la tristesse. Il l’a projeté également sur les feux de l’actualité, le temps d’une rose.

Dix jeunes vies dont 9 enfants talibés ont été abrégées par les flammes dans une maison à la rue 19x6 où s’étaient logées environ dix familles et une ‘’école coranique (?)’’. «Debout» sur un tas d’objets calcinés, le «gotha» politique avait exprimé son indignation. Ministres, députés, élus locaux, responsables politiques, ils avaient tous, à qui mieux mieux, manifesté leur profonde désolation devant un décor sinistre.

Après l’effervescence médiatique, la routine semble de retour, un an jour pour jour plus tard ! Les enfants continuent de plus bel à trimbaler à travers les rues. Crasseux dans leurs haillons, exposés au soleil et au froid, les mains moites tenant les sébiles, ils continuent à traîner leurs frêles silhouettes entre les maisons et les feux de signalisation, à la recherche de cette cotisation quotidienne et obligatoire au bénéfice de leurs supposés maîtres coraniques.

De 6h du matin à 22h, il n’y a pas une heure où on ne les voit pas quémander leur pitance et celui de leur tuteur, quel que soit le climat. Pendant ce temps, tous les constats et les reportages faits au sujet de leur niveau de savoir restent unanimes : ils n’ont rien dans le crâne. Deux, trois, quatre à cinq années dans un foyer nommé daara sans même faire la distinction des lettres alphabet arabe. L’incendie de la Médina est venu donc mettre à nu les conditions d’existence de ces jeunes «abandonnés» par leurs parents.

«50 000 enfants talibés»

Selon un rapport sur la situation des enfants au Sénégal, présenté le mardi 12 mars 2013 par l'Unité de coordination et de suivi de la politique économique, «un enfant sur cinq âgé de 10 à 14 ans ne vit avec aucun parent biologique. Au moins 50 000 enfants sont talibés».

Sous le coup de l’émotion, tout le monde a condamné. Le président de la République en premier. Arrivé sur les lieux le lendemain du drame aux environs de 18h, Macky Sall, accompagné de son premier ministre Abdoul Mbaye et d’autres personnalités politiques, s’indigne : «C’est avec beaucoup de regrets, beaucoup de douleur que je constate ce désastre qui s’est passé dans des conditions que j’imagine atroces. Des enfants ont péri dans des flammes, sans assistance. Ils ont payé de leur vie après avoir été livrés à la rue.»

Après lui, les nommés, les élus, et les sans-poste. Awa Marie Coll Seck ministre de la Santé : «En tant que mère de famille, entendre parler d’un nombre important d’enfants que l’on retrouve morts, brûlés et qui ne sont presque pas identifiables, ça choque et ça fait mal.» Le député imam Mbaye Niang embouche la même trompette. «C’est très étroit et les conditions, il faut le reconnaître, si elles ne sont pas inhumaines, sont extrêmement difficiles. On ne peut pas enseigner le Coran dans ces conditions.»

«Un business entre parents et marabouts»

De son côté, Cheikh Fall du Comité intersyndical de lutte contre les pires formes de travail des enfants, s’exprime ainsi : "La mendicité infantile est sans conteste une des pires formes de travail des enfants. Car les conditions dans lesquelles cette mendicité s’exerce nuisent à la santé, à la sécurité et à la moralité de l’enfant."

L’association nationale des imams et oulémas du Sénégal par la voix de son secrétaire général El hadji Oumar Diène se signale par une révélation : «Beaucoup de ces enfants qui mendient sont loués par leurs exploitants. Nous ne sommes pas restés dans nos bureaux pour faire des affirmations gratuites. Nous avons mené des enquêtes de terrain.

Pour certains enfants venus de Kolda, le responsable à Dakar prend 400 francs des 500 francs demandés quotidiennement et réserve les 100 francs aux parents. Ni ces enfants, ni leurs marabouts n’appartiennent aux daaras. Ils sont des businessmen». Quand aux maîtres coraniques incriminés, ils crient à la stigmatisation.

Afin de faire face à la situation, l’Etat prend deux décisions. Une humanitaire et une autre policière. D’abord, il prend en charge les 41 rescapés pour qu’ils «puissent passer le cap du traumatisme psychologique» (Abdoulatif Coulibaly). Ensuite, le président annonce «des mesures très fortes» pour «mettre un terme à l’exploitation des enfants». Il affirme : «Nous allons intervenir et identifier les sites comme celui-ci, les fermer.

Les enfants seront récupérés et remis soit à leur parent quand ils ont la possibilité de les garder, soit à l’Etat qui les gardera. Pour les enfants venus de la sous-région, nous prendrons des mesures, au besoin de concert avec les autorités de leurs pays, afin de les ramener chez eux». Et contre les récalcitrants, il promet de «sévir».

Seulement, une année après, quand nous avons posé la question aux acteurs intervenant au sujet des daaras, ils ont tous reconnu que c’est plus difficile qu’on ne le pensait. On fait savoir même qu’il y a eu des enfants de la sous-région qui ont été envoyés chez eux. «Mais à chaque fois, la vague qui venait est supérieure à celle renvoyée». Face à l’impuissance, l’Etat semble opter pour les mesures d’accompagnement.

BABACAR WILLANE

 
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