La rançon de l’inhumanité
Entre le mois de décembre et début janvier, trois personnes ont perdu la vie en détention à Thiès, à Saint-Louis et à Mbacké. Un quatrième a rendu l’âme dans les locaux de la Dscos à Tambacounda. Retour sur ces cas.
En moins d’un mois, les prisons du Sénégal ont connu plusieurs événements dramatiques. Entre la fin de l’année dernière et le début de ce mois de janvier, trois personnes détenues dans le cadre de mesures préventives y ont perdu la vie. Il s’agit des prisons de Thiès, Saint-Louis et Mbacké. A Tambacounda, un individu a perdu la vie dans les locaux de la DSCOS.
La première victime est le garde du corps de l’ex-maire de Dakar, Bassirou Diop, décédé à la prison de Saint-Louis, le 7 décembre. Ce dernier est mort alors qu’il était en détention à la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Saint-Louis (Nord). Il a été arrêté avec plusieurs autres gardes du corps, à la suite de violents affrontements dans la langue de Barbarie, survenus lors de la campagne électorale pour les Législatives.
Selon l’Administration pénitentiaire, l'ancien militaire est mort à l'hôpital. Barthélemy Dias n’est pas convaincu. "Il faut qu'il nous dise où Bassirou Diop a perdu la vie", a-t-il déclaré récemment, lors d'un point de presse.
Le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, s’est également exprimé sur cette affaire, en marge d'une visite au stand de la police nationale sis au pavillon brun du Cices, à l'occasion de la 32e édition de la Foire internationale de Dakar (Fidak). Le garde des Sceaux a laissé entendre qu’aucune enquête ne sera pas ouverte dans ce dossier, car "la mort n'est pas suspecte". "Pourquoi une enquête devrait-elle être ouverte ?", s’est-il interrogé.
En effet, il explique : ‘’Une enquête, c’est quand il y a une mort suspecte. Ce n’est pas le cas. Les conclusions de l’autopsie ne rendent nullement compte du caractère suspect du décès. On ouvre une enquête, quand il y a une mort suspecte."
Malgré cela, Me El Hadj Diouf, l’un des avocats des 80 éléments de la sécurité de Barthélemy Dias et de la coalition Sàmm Sa Kàddu, arrêtés à la suite de ces violents affrontements de Saint-Louis, n’en démord pas. Selon lui, le défunt Bassirou Diop a été victime de "mauvais traitements" en prison. "Aujourd’hui, je pense qu’on va faire l’autopsie, situer les responsabilités, mener une enquête exhaustive pour réellement sanctionner ceux qui sont fautifs et qui ont traité ces gardes du corps de Barthélemy Dias comme des animaux", avait prévenu la robe noire. Avant d’alerter sur un supposé mauvais traitement infligé à d’autres prévenus : ‘’Ils sont extrêmement fatigués et ils me disent qu’ils ne reçoivent que des piqûres. On ne les emmène pas à l’hôpital."
Entretemps, le procès a eu lieu pour des fortunes diverses pour tous ces prévenus.
Âgé de 83 ans, Mamadou Guèye est décédé le 13 décembre
Il y a aussi eu le cas du chef du village de Keur Mbaye Maty, dans la commune de Chérif Lo, décédé le 13 décembre 2024. Âgé de 83 ans, Mamadou Guèye est mort dans les liens de la détention, à la Maison d'arrêt et de correction de Thiès. Il a été emprisonné dans le cadre d’un litige foncier portant sur 153 ha opposant le défunt à un de ses demi-frères, le nommé Massamba Guèye.
Déféré au tribunal de grande instance de Thiès, le vieil homme a été envoyé en prison pour occupation illégale de terrain appartenant à autrui, violences et voies de fait. La famille du défunt chef de village a fait face à la presse, dans la foulée, pour interpeller directement l'État du Sénégal et le ministre de la Justice, afin qu'ils interviennent dans cette affaire. Fama Guèye, la cadette du défunt Mamadou Guèye, renseignait que le litige foncier datait de plusieurs décennies. Cette affaire s’est envenimée, lorsque le maire de la commune, Ousmane Sarr, a attribué les terres familiales à Massamba Guèye. Son père ayant contesté cette décision, il a fait l’objet d’une plainte.
Âgé et en mauvaise santé, il avait été accusé de violence contre son demi-frère. Des allégations catégoriquement rejetées par la famille qui n’a pas compris que leur pater aussi âgé et déclinant physiquement soit envoyé en prison, dans des conditions presque inhumaines.
Le procureur s’étant opposé à sa libération, même provisoire, le vieux a perdu la vie en prison. Ses héritiers demandent une enquête approfondie pour comprendre les circonstances exactes de son décès.
A. Lo a perdu la vie le samedi 14 décembre à la prison de Mbacké
Le 14 décembre à la Maison d'arrêt et de correction de Mbacké (Mac), un détenu âgé de 59 ans a aussi rendu l’âme. A. Lo a perdu la vie au cours de son évacuation vers le centre de santé de cette localité, selon un agent de l'Administration pénitentiaire. Le quinquagénaire, domicilié à Touba, souffrait de douleurs épigastriques depuis trois jours, d'après un agent de la prison. Informé du drame vers 11 h, le chef de service du commissariat urbain de Mbacké a adressé une réquisition à l'hôpital Matlaboul Fawzaini de Touba pour déterminer les circonstances du décès.
Après examen, le médecin B. B. a conclu à une cause indéterminée avant de recommander une autopsie. À la suite de la réception du document médical, le commissaire Alioune Fall, chef de service du commissariat urbain de Mbacké, s’en est ouvert au délégué du procureur près le tribunal local de grande instance. Le rapport médical, transmis au commissaire Alioune Fall, atteste que le décès a été causé par une cardiomyopathie hypertrophique et ischémique décompensée.
Le médecin légiste, le docteur A. M. G., en service à l’hôpital Général Idrissa Pouye de Grand-Yoff (ex-CTO), a conclu à l’absence de signes traumatiques et de traces de violence.
Mort de Samba Sow le 6 janvier dans les locaux de la Dscos
Il y a quelques jours, le chef du quartier de Gourel Amath, à Tambacounda, Samba Sow, est décédé. C’était le lundi 6 janvier dans les locaux de la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (Dscos) où il répondait à une convocation. Sa famille exige une enquête pour éclaircir cette affaire et faire toute la lumière sur les circonstances de son décès.
"C’est une nouvelle très triste avec le décès de notre grand frère, père et tout à la fois, Samba Sow, chef de quartier de Gourel Amath. Pourtant, ce matin, nous étions ensemble avant qu’il ne parte, car il voulait me montrer un terrain. Après cela, je suis allé à Biankotto. À ma grande surprise, vers 15 h, mon frère m’a appelé pour m’informer que le chef de quartier était décédé dans les locaux de la Dscos, où il avait été convoqué. Jusqu’à présent, nous ignorons ce qui s’est réellement passé. La famille réclame une autopsie pour connaître les véritables causes de sa mort", a déclaré Amadou Kassé, frère du défunt, sur la radio Sud FM, tout en précisant qu’il n’accuse personne.
Convoqué dans les locaux de la Dscos pour un litige foncier, le chef de quartier de Gourel Amath a subitement eu un malaise et est décédé sur place. Les faits se sont déroulés le lundi 6 janvier 2025 à Tambacounda. Cette disparition brutale a provoqué une vive émotion au quartier Gourel Amath, où l’homme était bien connu. Sa famille, profondément affectée par cet incident, exige la lumière.
Pointée du doigt dans cette affaire, la Dscos apporte sa version des faits. Sur une radio, le patron de ladite structure a parlé d’une mort naturelle. "Nous avons convoqué le défunt sur instruction du procureur de la République du tribunal de grande instance de Tambacounda et c’était relatif à une affaire de vente illégale de terrain. Il est venu et, à son arrivée, il nous a dit qu'il venait de l'hôpital pour des problèmes de tension et autres. L'adjoint du commandant de brigade était sur place et lui a demandé de partir et de revenir le lendemain. C'est au moment où il s'est levé pour partir qu'il est tombé", a déclaré le colonel Amadou Ousmane Ba, patron de la Dscos.
Le colonel Ba de poursuivre : "Malheureusement, quand les sapeurs-pompiers sont venus, il avait déjà rendu l'âme. Le corps a été transporté à la morgue de l'hôpital. L'autopsie est en cours et une enquête est ouverte. Mais je pense que c'est une mort naturelle. Toutes nos condoléances à la famille", a-t-il confié.
CHEIKH THIAM