Publié le 12 Jul 2023 - 18:39
7000 MILLIARDS FCFA DE BUDGET EN 2024

Quid de la dette ?

 

Alors que le Président de la République et ses hommes se réjouissent du budget record et symbolique de 7 000 milliards, l’ancien directeur de la Solde met un bémol et explique pourquoi les emprunts ne doivent pas être intégrés dans le budget. Ses détracteurs lui demandent pourquoi attendre maintenant pour ruer dans les brancards.

 

‘’Quand le président Senghor partait, le budget était de 300 milliards. Dix-neuf ans après, au départ d’Abdou Diouf, il était de 596 milliards. Dix ans après, quand le président Wade partait, on était à 2 400 milliards. Aujourd’hui, en 2024 déjà, nous serons à 7 000 milliards. Donc, ce que nous pouvons faire en termes de transformations positives, d’accès universel à l’eau, à l’électricité, à l’assainissement, en termes d’infrastructures majeures : autoroutes, routes, ponts, chemins de fer, mes prédécesseurs n’auraient pas pu le faire, parce que doole yamoul, Yallah mooko def’’. Ainsi s’exprimait le président de la République Macky Sall, lors de sa rencontre avec les maires, la veille de l’annonce de sa non-candidature en vue de les exhorter à s’unir pour préserver cet héritage.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le chiffre ‘’magique’’, 7 000 milliards, est sur toutes les lèvres. Chez les partisans du président sortant comme chez ses adversaires. La sortie de l’ancien directeur de la Solde, Charles Emile Abdou Ciss, lui a donné une autre ampleur.

Dans une tribune, le formateur en finances publiques met en exergue le décalage entre les chiffres annoncés par le gouvernement et la réalité des chiffres contenus dans les documents officiels. Interpellé pour de plus amples informations, il confirme avoir relevé une différence de plus de 1 000 milliards entre les chiffres contenus dans les documents officiels et les annonces. En effet, alors que le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) et Tableau des opérations financières de l’État (TOFE) font état d’un budget de 5 633,51 milliards, il est annoncé partout et en grande pompe le chiffre de 7 000 milliards. Et le ton a été donné par le président de la République lui-même.

D’où vient alors ce décalage ? Notre interlocuteur soutient qu’en fait, le gouvernement a bien comptabilisé les emprunts comme ressources budgétaires et les a intégrés dans le budget. Ce qui ne serait pas conforme aux exigences légales et communautaires, selon le spécialiste.

D’une manière très pédagogique, il explique : ‘’Lorsqu’on parle des recettes de l’État, l’article 8 de directive de l’UEMOA parle des impôts, taxes et le produit des amendes ; les rémunérations des services rendus et redevances ; les fonds de concours, dons et legs ; les revenus des domaines et des participations financières et les produits divers. On peut aussi les classer en deux grandes catégories, à savoir les ressources fiscales, non fiscales et les dons. Il n’y a plus les emprunts.’’

Les emprunts ne sont pas des ressources budgétaires

Dans la même veine, souligne M. Ciss, l’article 11 de la directive de l’organe communautaire est on ne peut plus éloquent. Il résulte de cette disposition que ‘’les dépenses comprennent : les dépenses ordinaires et les dépenses en capital’’.

‘’Maintenant, ces deux catégories, on peut les décomposer ainsi. Les dépenses ordinaires c’est cinq catégories de dépenses : dépenses de personnel ; charges financières de la dette (les intérêts) et c’est la preuve que le capital est exclu ; les dépenses d’acquisition de biens et services ; les dépenses de transfert courant et les dépenses en atténuation de recettes. En ce qui concerne les dépenses en capital ou les dépenses d’investissements, c’est les dépenses d’investissement exécutées par l’État et les dépenses de transfert en capital, c’est-à-dire des dépenses que l’État fait exécuter par ses démembrements. Par exemple, quand l’État fait exécuter par l’Apix, l’Ageroute… Cette directive montre de manière très claire que les emprunts à moyen et long terme ne doivent pas être considérés comme des ressources budgétaires’’.

Pour justifier un tel rejet, l’ancien directeur de la Solde fait appel au critère de l’encaissement définitif. ‘’On se dit qu’une ressource budgétaire de l’État, on peut la définir comme un encaissement définitif, quelque chose que l’État encaisse et ne rembourse pas. Voilà la différence et la dette n’en fait pas partie. À partir de ce moment, il n’y a plus possibilité de considérer la dette comme une dépense ordinaire. Elle est considérée comme une ressource de trésorerie’’, a-t-il précisé.

À la question de savoir pourquoi attendre maintenant pour fustiger une telle méthode qui ne date pas d’aujourd’hui, lui qui était partie intégrante dans l’élaboration de ce même budget, il se défend : ‘’Je pense que le plus important, c’est le contenu. Il se trouve que j’ai tiqué quand j’ai vu l’annonce des 7 000 milliards. A priori, quand un citoyen voit 7 000 milliards, il est content. Mais j’ai eu la surprise quand j’ai analysé les documents officiels. Alors j’ai vu que les 7 000 milliards ne reflètent pas l’exactitude des chiffres. Ce qui a justifié ma réaction pour édifier les Sénégalais, à qui nous nous devons d’être transparents. Il ne faut pas non plus oublier que nous avons adopté le Code de transparence. Il faut donc faire preuve de transparence’’.

Une recette budgétaire, c’est un encaissement définitif

Il faut rappeler que pour le budget en cours, le même procédé était utilisé. Ce qui fait qu’il était estimé à plus de 6 400 milliards. D’où les justifications fournies par certains qu’il faut recourir à la même méthode pour pouvoir réaliser une comparaison pertinente. Autrement, la comparaison serait biaisée.

Par ailleurs, certains experts considèrent qu’étant donné que c’est l’argent public qui sort pour payer la dette en principal et intérêt, rien ne doit s’opposer à son intégration dans le budget et il en est ainsi depuis le basculement effectif dans le budget programme en 2020.  

Par ailleurs, Charles Emile Abdou Ciss est revenu sur l’historique de cette prise en charge des emprunts dans l’élaboration du budget. Globalement, explique-t-il, il faut distinguer trois grandes phases. Avant 1997, la dette n’était pas dans le budget général, mais était suivie dans un compte spécial du Trésor, appelé la Caisse autonome d’amortissement. C’est à partir de 1997 que la dette, dans ses deux composantes (remboursement du capital et intérêts) a été budgétisée et considérée comme une dépense ordinaire. Le produit des emprunts a aussi été budgétisé et considéré comme des ressources budgétaires.

‘’À partir de 2009, il y a eu un nouveau changement. Les nouvelles directives ont de nouveau exclu la dette comme dépense ordinaire, mais les intérêts qu’on appelle charge financière de la dette sont toujours dans le budget comme dépenses ordinaires. Les emprunts à moyen et long terme ont été exclus des ressources budgétaires et considérés désormais comme des ressources de trésorerie. Ce qui est resté, c’est les dons. Il faut donc s’y conformer’’, indique le haut cadre de l’Administration.

Section: