La face visible de l’iceberg
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Plus de trois mois après la grâce du Guinéen Mamadou Oury Diallo, les Sénégalais continuent de demander des comptes sur les circonstances ayant mené à cette libération scandaleuse. ‘’EnQuête’’ a essayé d’en savoir un peu plus sur la procédure de délivrance des grâces présidentielles.
Et si la grâce de Mamadou Oury Diallo n’était que l’arbre qui cache la forêt ? Petit à petit, les langues commencent à se délier, dans cette affaire rocambolesque, et, par extension, dans la grande nébuleuse qui enveloppe les grâces présidentielles.
La question qui se pose est surtout de savoir comment le trafiquant notoire de médicaments a pu être extirpé de la Maison d’arrêt et de correction de Diourbel, où il purgeait tranquillement sa peine, depuis son jugement en première instance, le 4 décembre 2018, pour contrebande, trafic illicite de médicaments, exercice illégal de la profession de pharmacien et association de malfaiteurs ?
Me Abdoulaye Babou, à l’instar de plusieurs Sénégalais, a certes été surpris. Mais passé l’émotion, certaines déclarations du prévenu, lors de son face-à-face avec le juge du tribunal de grande instance de Diourbel, ne cessent de le hanter. Le Guinéen disait à qui voulait l’entendre : ‘’Ceux qui sont derrière m’ont demandé de tout endosser et qu’ils viendront me tirer d’affaire.’’
Naturellement, de telles affirmations maladroites n’avaient semblé attirer l’attention de qui que ce soit. Apparemment, tout le monde les prenait pour des blagues, même de très mauvais goûts. Sauf le Guinéen lui-même ou ses commanditaires. L’histoire leur a donné raison.
Aujourd’hui, le trafiquant Bara Sylla croupit en prison, tandis que son ou ses complices vaquent à leurs occupations.
Par où est-il passé ? Comment ? Du côté de l’Administration pénitentiaire, c’est toujours motus et bouche cousue. Idem pour le ministère de la Justice. Ce, malgré les engagements fermes du président de la République à l’endroit des pharmaciens. Il disait avoir instruit le ministre de la Justice d’ouvrir une enquête et que cette affaire ne resterait pas impunie. Macky Sall ne s’en limitait pas. Il avait aussi révélé que lui-même n’avait été informé de l’identité de la personne graciée que quand il y a eu le tollé. ‘’En clair, informaient des sources, le nom d’Amadou Oury Diallo a été glissé sur la liste des personnes à gracier transmise au chef de l’État qui ne fait qu’apposer sa signature’’.
Par qui ? Les Sénégalais attendent encore de connaitre les conclusions de l’enquête commanditée par le président Macky Sall. D’ailleurs, à cause du scandale, cette année, à l’occasion de la fête de l’Eid El Fitr, aucun détenu n’a eu à profiter de la générosité du chef de l’Etat.
En tout cas, persistent et signent nos sources, cette affaire n’est que la face visible de l’iceberg. A les en croire, d’autres détenus, qui ne sont pas éligibles à la grâce, se glissent souvent sur les listes présentées au président du Conseil supérieur de la magistrature. ‘’C’est un véritable scandale’’, soulignent nos interlocuteurs. Ce qui conforte davantage le débat autour des conditions d’octroi de la grâce présidentielle.
Au banc des accusés, il y a principalement l’Administration pénitentiaire. D’après certaines informations, il revient aux maisons d’arrêt de présenter des listes de personnes remplissant les conditions pour jouir de la grâce. Ces listes de demandeurs, poursuivent nos interlocuteurs, seront ensuite envoyées à la Direction des affaires criminelles et des grâces qui va établir un projet de décret. Lequel sera enfin transmis au président de la République pour signature. Toute une chaine qui va devoir s’expliquer dans cette affaire qui n’en finit pas de défrayer la chronique.
Mandat d’arrêt international contre Oury Diallo
Mais ce qui est encore plus scandaleux dans cette affaire Oury Diallo, s’étrangle toujours Me Abdoulaye Babou, c’est qu’il ne remplissait pas les conditions pour demander une grâce. Pour ce faire, renseigne la robe noire, ‘’il faut une décision de condamnation définitive. Or, Mamadou Oury Diallo avait relevé appel de la décision de première instance. ‘’Par conséquent, il n’est pas éligible à la grâce présidentielle. Il ne doit même pas figurer parmi les demandeurs’’, fulmine-t-il. Et d’enfoncer le clou : ‘’Mamadou Oury Diallo est un multirécidiviste. Il est mêlé à toutes les affaires de trafic de médicaments. Et le voilà qui se volatilise. C’est une affaire de mafia. Nous sommes convaincus que les véritables coupables n’ont pas été traduits devant la justice.’’
D’où les suspicions légitimes autour de cette affaire rocambolesque. Une chose est sûre, confient certaines sources : si le Guinéen a pu bénéficier d’une telle faveur, c’est certainement parce qu’il a des complices dans le circuit. Jusqu’à quel niveau ? C’est la question qui empêche de dormir bien des Sénégalais.
Condamné à une peine d’emprisonnement ferme de 5 ans, le bonhomme s’est volatilisé comme un fantôme dans la nature. Lundi 13 mai, le tribunal qui devait statuer sur l’affaire en appel est tombé des nues, quand un des avocats de la partie civile a soulevé la grâce dont a bénéficié M. Diallo. Ce, d’autant plus qu’aucune pièce disponible dans le dossier n’était en mesure de le confirmer. Passé l’effet de surprise, la juridiction avait renvoyé les parties jusqu’au 27 mai prochain. Le verdict en appel a finalement été rendu avant-hier par la Cour d’appel de Thiès. Le juge Souleymane Teliko a confirmé la décision rendue en première instance et lancé un mandat d’arrêt international à l’encontre du ressortissant guinéen.
MOR AMAR